Fabriqués par notre système immunitaire, les anticorps sont des boucliers contre les infections. Pourtant, certains virus, comme le VIH, réussissent à passer au travers de ces défenses, obligeant nos cellules à redoubler d’efforts afin de produire des anticorps plus performants, capables de neutraliser le virus.
VIH, un problème de variabilité
Lorsque l’on parle du VIH-1 (qui se différencie du VIH-2), pas moins de quatre groupes existent (M, N, O et P). Le groupe M, prédominant, est lui-même subdivisé en plusieurs dizaines de sous-types. Ajoutons à cela la diversité individuelle du VIH, due aux nombreuses mutations qui apparaissent à chaque réplication. Cette variabilité explique la difficulté du système immunitaire à contrer le VIH. Alors que les anticorps sont programmés pour reconnaître un motif bien précis à la surface du virus, la moindre modification de ce motif peut empêcher la bonne fixation de l’anticorps et donc la neutralisation du virus. Les anticorps fabriqués au début de l’infection deviennent ainsi rapidement inefficaces contre ce virus aux multiples visages.
Production des anticorps anti-VIH : un processus long et non universel
Les anticorps anti-VIH apparaissent environ trois semaines après l’infection, mais leur activité ne permet malheureusement pas de contrôler la propagation du virus. C’est seulement plusieurs mois après l’infection – à force d’éducation du système immunitaire – que des anticorps capables de neutraliser le virus sont fabriqués. « Ces anticorps sont efficaces contre la souche de VIH ayant infecté l’individu (on parle de “souche autologue”), mais ils laissent encore passer tous les mutants du virus apparus entre-temps. Nous sommes dans une situation ou le virus précède continuellement les anticorps », précise le Pr Francis Barin, de l’université François-Rabelais (Tours).
Finalement, des anticorps plus performants, pouvant reconnaître et neutraliser des souches hétérologues (qui ne sont pas à l’origine de l’infection), sont produits deux à quatre ans après l’infection. Et leur apparition n’est détectée que chez environ 20 % des personnes infectées par le VIH1.
Depuis plusieurs années, les chercheurs s’intéressent au potentiel d’anticorps encore plus rares (produits par moins de 1 % des patients). Ces anticorps reconnaissent un très large spectre de souches du VIH et sont appelés « bNAbs » pour « anticorps neutralisants à large spectre » (« broadly neutralizing antibodies » en anglais)2
Depuis la mise en évidence de ces anticorps au potentiel incroyable, les recherches fondamentales se sont accélérées afin de décrypter leurs caractéristiques et de comprendre ce qui les rend si uniques. Tout d’abord, à la différence des anticorps décrits précédemment, les bNAbs reconnaissent des régions vulnérables du VIH3. « En ce qui concerne le VIH, un site comme celui qui lui permet de se fixer à la molécule CD4 sur les lymphocytes est très conservé, car indispensable à sa fonction », explique Francis Barin. D’autres sites vulnérables ont été identifiés et ont souvent la particularité d’être bien cachés pour en limiter l’accès. Là encore, les bNAbs ont contourné la difficulté : leur structure (une partie variable de leur chaîne lourde inhabituellement longue) leur permettant d’accéder facilement à ces sites du VIH3.
bNAbs : qui sont-ils ?
Une formule 3 en 1
Pour la première fois, une équipe de chercheurs américains a observé un taux de protection de 100 % contre le VIH chez des macaques*. Un exploit obtenu en utilisant trois bNAbs couplés ensemble. Un anticorps « 3 en 1 » en quelque sorte. En effet, dans cette étude, les chercheurs ont mis au point une molécule capable de reconnaître trois sites vulnérables du VIH. Ils ont administré ces anticorps trispécifiques à des macaques, avant de les mettre en présence du SHIV (virus simien SIV porteur de l’enveloppe du VIH). Résultats ? Tandis que l’administration d’un seul bNAb permet de protéger entre 25 % et 38 % des macaques (en fonction du bNab utilisé : VRC01 ou PGDM1400 respectivement), les huits macaques ayant reçu les anticorps trispécifiques ont tous été protégés de l’infection. « Une très belle avancée technologique, souligne Francis Barin. Les essais à venir chez l’humain permettront d’en estimer l’efficacité dans la vraie vie. La question de la tolérance de cette molécule va par exemple se poser, en plus de réussir à maîtriser sa durée de vie dans l’organisme. » L’essai clinique de phase I devrait bientôt débuter pour apporter ces premières réponses.
Mieux les cerner pour mieux les imiter
Les recherches menées sur la caractérisation des bNAbs ont permis de produire synthétiquement ces anticorps et de les administrer aux patients afin de contrôler la charge virale et de limiter la progression de la maladie4. Une stratégie prometteuse, mais qui est confrontée à la capacité du VIH à former des réservoirs rapidement après l’infection. Les nombreuses mutations du VIH obligent également à utiliser une combinaison de plusieurs bNAbs, de façon à couvrir le plus large spectre possible. En ce sens, de récents travaux ont démontré l’efficacité d’un anticorps trispécifique chez le macaque (voir encadré).
Enfin, les bNAbs ouvrent sur des stratégies prophylactiques contre le VIH. Selon Francis Barin, « le processus immunitaire qui permet de produire les bNAbs est très complexe. D’après nos connaissances, tout commence par la stimulation du bon précurseur de cellules B qui sera éduqué par un virus se diversifiant progressivement. Il faut donc réussir à mimer ce processus en utilisant les bons antigènes issus du virus ». Des travaux ont ainsi réussi à prédire l’antigène à l’origine de l’activation du précurseur du bNAb VRC01 (un nom est généralement attribué à chaque bNAb identifié) et de l’utiliser pour immuniser des souris contre le VIH5.
Les bNAbs pourraient être l’arme tant recherchée pour devancer le virus. Que cela soit dans des stratégies thérapeutiques ou prophylactiques, les essais en cours – menés principalement chez les macaques –, s’appuyant sur leur utilisation et/ou leur génération, sont prometteurs. Les prochaines décennies nous diront s’ils réussissent à faire leurs preuves chez l’humain et ainsi à participer à l’effort de rémission.
- Gray ES et al, “Neutralizing antibody responses in acute human immunodeficiency virus type 1 subtype C infection”, J. Virol, 81, 6187-6196, 2007.
- Simek MD et al, “Human immunodeficiency virus type 1 elite neutralizers: individuals with broad and potent neutralizing activity identified by using a high-throughput neutralization assay together with an analytical selection algorithm”, J. Virol, 83, 7337-7348, 2009.
- Mouquet H, “Antibody B cell responses in HIV-1 infection”, Trends Immunol, 35, 549-561, 2014.
- Stephenson KE et Barouch DH, “Broadly Neutralizing Antibodies for HIV Eradication”, Curr. HIV/AIDS Rep, 13, 31-37, 2016.
- Jardine JG et al, “Priming a broadly neutralizing antibody response to HIV-1 using a germline-targeting immunogen”, Science, 349, 156-161, 2015.