Franck, 46 ans, discriminé au travail (France).
« En 2013, alors que j’étais séropositif depuis quatre ans, j’ai suivi une reconversion professionnelle dans le domaine médico-social. J’avais été reconnu travailleur handicapé, mais je tenais à travailler.
Au début de mon premier stage, qui se déroulait dans un Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), j’ai parlé de ma séropositivité à ma chef de service. Je n’y étais pas obligé, mais je voulais être transparent. L’information devait rester confidentielle, mais ma chef l’a révélée à ma tutrice, laquelle l’a répétée à tout le monde. Du jour au lendemain, je n’avais plus le droit de toucher les résidents. J’étais cantonné à un travail administratif sans lien avec ma formation. Si je tentais de quitter la pièce où je travaillais, on m’interpelait dans le couloir : “Toi, le séropo, reste dans le bureau”. Je n’avais le droit de m’approcher de personne. J’étais constamment humilié en public.
À la suite d’autres discriminations, j’ai décidé de témoigner publiquement pour dénoncer cette situation. Depuis, sur Internet, mon nom est associé à ma séropositivité. Mes employeurs finissent par l’apprendre ou quelqu’un se charge de les en informer.
Mon dernier patron a ainsi reçu une lettre anonyme monstrueuse qui révèle que je suis séropositif. On m’a aussitôt fait comprendre que mon contrat, qui s’arrêtait le 17 juillet dernier, ne serait pas reconduit. Depuis le début de l’année, c’est la troisième fois que cela m’arrive.
Bien que mon employeur m’ait dit que ma séropositivité ne lui posait pas de problème, il n’assumait pas mon statut vis-à-vis des collègues et des familles des patients, alors même que je ne dispensais plus des soins ; je travaillais comme aide médico-psychologique. »
Islem, 30 ans, discriminée dans la sphère familiale et communautaire (Tunisie).
« En avril 2017, ma fille de 7 ans est tombée malade. Je l’ai emmenée à l’hôpital où elle a été diagnostiquée séropositive avec un sida déclaré. J’ai ensuite été dépistée ainsi que mon fils de 3 ans. Le résultat est tombé net : nous étions tous les trois infectés.
Au début, je n’en ai informé que mon mari, ma mère et ma sœur, mais ma mère l’a dit à son mari, lequel l’a répété à tout le monde dans la rue.
À part ma sœur et ma belle-mère qui me soutiennent, presque tout le monde m’a tourné le dos. C’est très difficile à vivre, d’autant que l’une de mes voisines a pris le relai du mari de ma mère. Ma vie devient infernale. Je suis épuisée moralement et physiquement.
Il y a quelques jours, j’en suis même venue à frapper une fille, car elle aussi propageait cette information dans un café. J’ai peur de tuer une personne, tellement je n’arrive plus à me contrôler.
Depuis que mon mari m’a quittée, je me retrouve malade et sans ressources, avec deux enfants à charge. Je suis sans emploi et je dépends totalement de ma belle-mère qui m’héberge. Mon divorce sera prononcé le mois prochain. Ma situation sera alors plus claire et je pourrai au moins bénéficier des 180 dinars tunisiens mensuels que verse l’État [environ 55 euros, NDLR]. Pour l’instant, je ne reçois pas d’aide publique, car mon mari est censé pourvoir à nos besoins, ce qu’il ne fait pas.
Je me suis adressée à l’Association tunisienne de prévention positive, qui nous aide, mes enfants et moi, financièrement et moralement. Leur avocate m’assiste également dans mon divorce. Sans eux, je ne sais pas comment j’aurais fait. »
Jean-Louis, 63 ans, discriminé par l’assurance (France).
« J’ai découvert ma séropositivité en 2006, au moment où je voulais emprunter 50 000 euros pour l’achat d’un appartement. J’ai donc effectué un bilan médical, lors duquel j’ai été dépisté séropositif.
Informée, ma banque a immédiatement refusé ma demande de prêt et m’a signifié que j’avais déjà de la chance d’être assuré. Sa décision était sans appel. J’étais pourtant leur client depuis trente ans, avec un salaire très confortable.
Heureusement, quinze jours plus tard, j’ai pu contracter un prêt auprès d’une autre banque, mais sans pouvoir être assuré. À cette époque, ces deux banques fusionnaient. Je trouve que c’est révélateur : la réponse, positive ou négative, n’avait rien de professionnel ; elle ne répondait à aucun critère objectif.
Il y a quatre ans, j’ai refait une demande de prêt pour acheter un deuxième appartement. La compagnie d’assurance demandait un taux équivalant au taux d’intérêt bancaire. Je passais ainsi à un taux de 4,6 % avec l’assurance. Et ils ont limité la durée à sept ans en m’expliquant, avec beaucoup de courtoisie, que ce n’était pas un pronostic vital.
Je sais que certains choisissent de taire leur séropositivité à leur banque. Personnellement, je ne le voulais pas. J’ai quatre enfants et, si jamais je mourrai, je souhaiterais qu’ils héritent de l’appartement. Le fait de mentir entraîne de facto la nullité du contrat, et l’assurance ne joue pas.
La convention Aeras [convention qui permet à une personne présentant ou ayant présenté un risque aggravé de santé d’obtenir à des conditions spécifiques un prêt immobilier qu’elle ne pourrait pas acquérir dans les conditions standards d’assurance, NDLR] existe, mais reste très restrictive. Ce n’est pas avec cela que l’on fera avancer les choses.
Pour moi qui ai des revenus confortables, les conséquences n’ont pas été trop lourdes, mais pour un jeune qui souffre d’autres fragilités sociales, les discriminations sont beaucoup plus fortes. »
Philippe, 60 ans, discriminé dans l’accès aux soins (Suisse).
« En 2011, pour soigner une tumeur située à la base de la langue, et qui n’avait rien à voir avec ma séropositivité, j’ai été traité par des rayons qui ont abîmé les os de ma mâchoire. Le côté droit s’est fracturé en 2014. Le premier médecin consulté m’a conseillé de fixer sur mon os une plaque de titane. Mais les personnes chargées de l’intervention m’en ont dissuadé, m’expliquant que c’était “dangereux” pour eux de la pratiquer du fait de ma séropositivité. L’une d’elles craignait d’être contaminée. Comme c’était le seul hôpital où cette intervention pouvait être pratiquée, j’ai abandonné.
L’année dernière, c’est le côté gauche de ma mâchoire qui s’est fracturé. L’intervention est devenue absolument nécessaire. Mais, de nouveau, ils n’ont pas osé la pratiquer en prétextant un problème de disponibilité du bloc opératoire. J’ai dû me rendre dans un autre canton pour être opéré neuf mois plus tard. À cause de ce retard, l’os de ma mâchoire ne s’est pas correctement guéri et je ne peux plus manger d’aliments solides. J’ai également des difficultés à parler.
J’ai été très choqué par ce que m’avait dit le médecin de Genève, à savoir que j’étais “dangereux”. C’est d’autant plus grave que nous étions en 2014 et que je suis indétectable depuis dix ans, donc je ne transmets pas le VIH.
J’ai consulté un avocat afin de demander réparation, mais celui-ci m’a dissuadé de porter plainte. Il m’a expliqué qu’en l’absence de preuve écrite, je n’avais pas assez d’arguments pour les poursuivre. Selon lui, cela reviendrait à se battre contre des moulins à vent. J’ai donc laissé tomber.
Je trouve mon histoire d’autant plus injuste que depuis que je suis séropositif (Philippe a été dépisté en 1985, NDLR), je pense que j’ai assez bien géré mon état. Si je me blessais, je demandais à ce que l’on ne me touche pas. Au moindre risque, je disais que j’étais séropositif afin de toujours protéger les autres. »