vih Discriminations, vecteurs de l’épidémie

24.09.18
Cécile Josselin
12 min
Visuel Discriminations, vecteurs de l’épidémie

Nous nous souvenons tous des mots de Jean-Marie Le Pen préconisant en 1987 la création de « sidatoriums » pour isoler du reste de la population ceux qu’il nommait avec mépris les « sidaïques ».

Depuis, du chemin a été parcouru, mais les discriminations dont souffrent les personnes vivant avec le VIH sont encore présentes. Parfois manifestes et brutales, souvent sousjacentes et insidieuses. Elles blessent, isolent, choquent et dégradent notablement le moral des personnes qui les endurent.

Les discriminations ne sont pas non plus sans conséquence sur l’épidémie. Parfois plus craintes que l’infection elle-même, elles détournent du dépistage, éloignent des soins et contribuent in fine à la diffusion du virus. 

Trop rares sont les gens à savoir qu’une personne séropositive traitée ne transmet plus le virus dès que sa charge virale devient indétectable.

« Lorsque l’on pose aux gens des questions très générales sur le VIH, on sent d’abord une certaine bienveillance, mais dès que l’on se rapproche de la sphère privée, affective et intime, des points de friction se font jour », note Caroline Izambert, responsable Mobilisations citoyennes et plaidoyer à Aides. Le sondage commandé au CSA par l’association en 2017 [1] est en cela saisissant. Si 98 % des personnes interrogées considèrent qu’une personne vivant avec le VIH peut travailler, elles sont 31 % à estimer qu’il est également normal de leur barrer l’accès à certaines professions, comme la police ou l’armée.

Un fléau ravageur pour les populations clés

Des rejets de la part de sa famille, de ses partenaires, de sa communauté…

C’est souvent au sein même de la famille que la première expérience de rejet est vécue. « Lorsque j’ai parlé de ma séropositivité à mes proches, il y a eu de bonnes réactions, mais des cousins ont aussi décidé de ne plus jamais m’adresser la parole. D’autres proches ne m’ont plus jamais fait la bise ou serré la main », témoigne Laurent, un ancien gendarme dépisté séropositif en 1998.

C’est ensuite dans la communauté que s’opère un tri. Un phénomène constaté en France et plus encore dans certains pays où le problème se pose de manière plus aiguë.

« La crainte d’être reconnu pousse parfois certains Marocains à faire 300 kilomètres pour initier leur traitement du VIH », rapporte Moulay Ahmed Douraidi, coordinateur national des sections de l’Association de lutte contre le sida au Maroc.

Mais c’est au sein du couple, qu’il soit durable ou éphémère, que les discriminations sont les plus brutales. « En Afrique, l’annonce de la séropositivité brise de très nombreux foyers. C’est généralement la femme qui, à l’occasion d’une grossesse, apprend en premier qu’elle est contaminée. Quand son mari est mis au courant, il l’accuse d’avoir amené le VIH dans le foyer et la répudie. Cela arrive à 40 % d’entre elles ! Etant donné la précarité sociale et économique des femmes sur ce continent, les conséquences sont désastreuses », note Aliou Sylla, directeur de Coalition Plus Afrique.

En Europe, c’est sur les applis de rencontre pour gays, de type Grindr ou Hornet, que les propos désobligeants sont les plus quotidiens. La question « T’es clean ? », qui assimile la séropositivité à une forme de saleté, revient ainsi inlassablement.

En isolant et en altérant l’image de soi, la discrimination accentue les dépressions fréquemment constatées chez les personnes vivant avec VIH. Des dépressions qui à leur tour accroissent la progression clinique de l’infection.

Pour éviter un tel rejet, certaines se tournent vers des sites de rencontre spécialisés [2] où les séropositifs peuvent se rencontrer entre eux, tandis que des femmes nous ont confié avoir renoncé à toute vie sexuelle passé la cinquantaine pour ne pas avoir à révéler leur séropositivité à un nouveau partenaire. Une stratégie confirmée par une récente étude menée dans cinq pays et qui montre que 33 % des personnes interrogées (dont 42 % de femmes et 23 % d’hommes) avaient cessé d’avoir des relations sexuelles après leur diagnostic [3].

Le milieu médical non exempt de reproches

Le personnel médical est également une source de discriminations. « L’anecdote la plus gentille, c’est l’infirmière qui vous dit lors d’une prise de sang : « Ah ! Vous avez le VIH. Alors, je vais mettre deux paires de gants au lieu d’une ». Ce n’est pas « méchant », mais c’est vraiment lourd à force », souligne Laurent, qui ne compte plus le nombre de fois où il a entendu cette remarque.

sinformer sinformer sinformer sinformer sinformer sinformer
3 questions à Moncef Mouhoudoire
3 questions à Moncef Mouhoudoire
En savoir plus

Autre cas par trop récurrent : le bris de confidentialité. « Dans les laboratoires privés tunisiens, il arrive que des gens soient mis au courant de la séropositivité d’un membre de leur famille avant celui-ci », assure Souhaila Bensaid, présidente de l’Association tunisienne de prévention positive.

Parfois, la discrimination est plus radicale et se traduit par un refus de soin, comme Laurent en a fait l’amère expérience : « Un jour où j’ai eu une rage de dents, je suis allé en urgence dans un centre dentaire choisi au hasard. partir du moment où j’ai précisé mon état de santé, le dentiste a refusé de me toucher et m’a dit d’aller à l’hôpital parce que « ça, il ne touchait pas ! »  ».

Et c’est loin d’être un cas isolé. « En 2012, une étude québécoise a montré qu’environ 20 % des personnes interrogées avaient eu des difficultés à trouver un dentiste acceptant de les traiter à l’annonce de leur statut sérologique », précise Léa Pelletier-Marcotte, avocate et coordinatrice du programme Droit de la personne et VIH/sida à la Cocq-sida. 

Conséquence de ce rejet chronique : des personnes séropositives attendent d’aller très mal pour se soigner. « En Tunisie, nous avons plus de 30 % de personnes qui viennent une ou deux fois à l’hôpital pour initier leur traitement, puis nous ne les revoyons pas, explique Souhaila Bensaid. Malgré leur statut sérologique, elles renoncent aux soins ou partent à l’étranger. » Même constat au Burkina Faso où, selon Unaids, 40 % des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH) évitent ou retardent leur entrée dans le soin de peur des stigmatisations de la part des professionnels de santé [4].

En Suisse, les assurances constituent une source essentielle de discriminations. « Nous avons été alertés par six cas de personnes dont les caisses maladie refusaient de prendre en charge leur traitement antirétroviral, car elles figuraient sur une liste noire [5], précise Caroline Suter, conseillère juridique à Aide suisse contre le sida [6]. Grâce aux interventions du service juridique et des organisations régionales de lutte contre le sida, une prise en charge financière a pu être négociée. Mais, dans un cas, la caisse maladie a nié jusqu’à la mort du patient, qui avait un sida déclaré, le caractère urgent de l’intervention, et l’aide est donc arrivée trop tard. »

Quand les relations de travail virent au harcèlement moral

Loin de se cantonner à la vie privée, les discriminations suivent les personnes vivant avec le VIH dans leur sphère professionnelle. C’est notamment le cas en France où l’armée, la gendarmerie, la police et les sapeurs-pompiers jugent les personnes vivant avec le VIH « inaptes au terrain », selon le dispositif Sigycop [7].

Ancien gendarme réserviste, Laurent a échappé in extremis à la mise au placard grâce à son médecin du travail. « Comme il trouvait ces mesures choquantes, il validait de prétendus tests de dépistage négatifs que j’aurais fait dans le civil au moment de mes visites médicales annuelles. Grâce à lui, j’ai pu rester en poste. Deux collègues n’ont pas eu ma chance et ont été mis au placard ou contraint à la démission », ajoute-t-il. 

Même contournement de la loi au Québec, où, si aucun métier n’est fermé aux personnes vivant avec le VIH, la question apparaît fréquemment dans les formulaires de santé à la préembauche. Les PME et les grandes entreprises devant assurer elles-mêmes leurs salariés, elles craignent qu’une personne atteinte par une maladie chronique n’accroisse le montant des primes d’assurance de l’ensemble des salariés, celles-ci étant calculées entreprise par entreprise. « Nous sommes très souvent sollicités pour ce problème. Le paradoxe est que si la question est illégale, y répondre par un mensonge est passible de poursuite », regrette Ken Monteith, directeur général de la Cocq-sida.

La discrimination passe souvent par un isolement, pour ne pas dire un ostracisme, justifié par une peur infondée. « Du jour au lendemain, mes collègues ne mangeaient plus avec moi. Certains ne m’adressaient plus la parole. Je traitais seul des dossiers, alors qu’avant je travaillais en équipe », se souvient Laurent, qui travaillait à ce moment-là dans le civil, dans un PC de surveillance.

La discrimination passe souvent par un isolement, pour ne pas dire un ostracisme, justifié par une peur infondée.

Rien de très surprenant quand on sait que 16 % des Français seraient mal à l’aise à l’idée de travailler avec un collègue séropositif, selon l’étude menée par Aides [8].

La scolarité des enfants, les assurances, les voyages…

Les enfants ne sont pas exempts de ces discriminations. « Au Maroc, il est assez fréquent que des personnes vivant avec le VIH nous appellent parce qu’un parent d’élève qui a eu connaissance de leur état de santé a créé une ambiance de sérophobie dans l’école de leur enfant. Sous la pression, le directeur leur a conseillé de chercher un autre établissement », révèle Moulay Ahmed Douraidi.

Autre problème récurrent : l’accès aux assurances et aux prêts bancaires. Systématiquement, la révélation de la séropositivité entraîne un rejet du dossier ou des surprimes conséquentes pour une couverture moindre. Pour lever cet obstacle, certains décident de taire leur état de santé, comme Camille Genton, qui en témoigne dans son livre Positif [9]. Mais ils s’exposent à ne pas être couverts par leur assurance le cas échéant, voire à des poursuites. Si la convention Aeras a permis d’améliorer les choses en offrant une voie de recours aux personnes privées d’assurance du fait de leur séropositivité, sa grille de critères reste trop restrictive et exclut de ce fait de nombreuses personnes.

Enfin, la circulation géographique est entravée. Quarante-huit pays restreignent l’accès à leur territoire aux personnes séropositives. Et neuf le ferment totalement [10]. À cette fin, plusieurs pays exigent même des tests de dépistage négatifs à l’entrée de leurs frontières [11]. Difficile dans ce cas d’accepter certaines promotions passant par une expatriation.

« Les personnes qui veulent émigrer au Canada doivent démontrer qu’elles ne constitueront pas ce que la loi appelle un « fardeau excessif » sur les services de santé et les services sociaux canadiens. Celui-ci est fixé au triple du montant moyen de frais de santé d’un Canadien », explique, par exemple, Ken Monteith.

Partout dans le monde, il reste donc beaucoup à faire pour lutter contre ces discriminations. Pourtant, des solutions existent. L’une d’entre elles consiste à informer plus largement le grand public de cette vérité première : les personnes vivant avec le VIH qui suivent un traitement ne transmettent plus le virus à partir du moment où leur charge virale devient indétectable. Une fois cette vérité admise, la peur devrait changer de camp et la stigmatisation perdre sa raison d’être. Les récentes campagnes de communication U=U constituent à ce titre une formidable source d’espoir.

Notes

[1] VIH, hépatites, la face cachée des discriminations, rapport 2017 sur les discrimination, Aides, p. 8-13. Sondage commandé au CSA sur un échantillon national représentatif de 1 000 Françaises âgées de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas.

[2] Comme vihsidaweb-rencontre.com, hivdatingservice.com, seropositif.net, sero-love.com, etc.

[3] Bernier A et al, HIV seropositivity and sexuality : cessation of sexual relations among men and women living with HIV in fi ve countries, AIDS Care, vol. 28, 2016.

[4] « Confronting Discrimination : overcoming HIV-related stigma and discrimination in health-care settings and beyond », Unaids, 2017, p. 6.

[5] La loi fédérale sur l’assurance maladie autorise les cantons à tenir des listes noires d’assurés qui ne paient pas leurs primes aux caisses maladie malgré les poursuites. Les assureurs suspendent alors leurs prestations et ne prennent plus en charge les coûts engendrés par ces assurés, à l’exception des prestations relevant de la médecine d’urgence. Neuf des 26 cantons ont choisi d’introduire une telle liste.

[6] Association faîtière des huit organisations régionales de lutte contre le sida et d’autres organisations actives ou engagées dans le domaine du VIH : aids.ch/fr

[7] Profi l médical permettant de déterminer l’aptitude d’un individu à exercer dans l’armée française. Selon l’article 28 de l’instruction de 2003, une infection à VIH asymptomatique traitée limite l’affectation des sujets ainsi classés à des activités essentiellement sédentaires. Source : rapport 2015 sur les discriminations, Aides, p. 17.

[8] Rapport 2017 sur les discrimination, p. 10.

[9] Éditions JC Lattès, 2017.

[10] Brunei, Guinée équatoriale, Iran, Irak, Jordanie, Russie, îles Salomon, Émirats arabes unis et Yémen. Source : hivtravel.org

[11] Au Brunei, les personnes qui souhaitent travailler ou étudier doivent subir un examen de santé comprenant le dépistage du VIH dans leur pays d’origine et à nouveau dans les deux semaines suivant leur entrée au Brunei. En Irak, tous les étrangers (à l’exception des diplomates) doivent subir un test de dépistage du VIH dans un laboratoire d’État dans les dix jours suivant leur entrée dans le pays.

Agissez
Pour lutter contre le VIH/sida
Je donne
45€

Pour informer
24 personnes
sur le dépistage.

Faire un don
hearts

Pour contribuer à lutter contre le VIH

Nos actus

Toutes les actus
Restez informés En vous inscrivant à la newsletter
Vous acceptez que cette adresse de messagerie soit utilisée par Sidaction uniquement pour vous envoyer nos lettres d’information et nos appels à la générosité. En savoir plus sur la gestion de vos données et vos droits.
Partagez,
likez,
tweetez
Et plus si affinités