vih Disparition du GAPS à Bordeaux : « Un énorme gâchis ! »

19.09.24
Maëlle Boudet
9 min
Visuel Disparition du GAPS à Bordeaux : « Un énorme gâchis ! »

Dès 2025, le Groupe d’aide psychologique et sociale (GAPS), une association qui accompagne depuis 36 ans les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) à Bordeaux, n’obtiendra plus de financement de l’Agence régionale de Santé (ARS) et disparaîtra. Ses missions d’accompagnement global seront reprises par le CHU de Bordeaux. Guylène Madeline, directrice du GAPS, évoque un « énorme gâchis » et revient sur les événements qui ont mené à cette triste situation.

Transversal : Qu’est-ce que le GAPS et qu’apportait-il aux usagers ?

Guylène Madeline : Le GAPS est une association loi 1901 inscrite au Journal Officiel en 1988. Notre vocation est d’accompagner les personnes séropositives au VIH les plus vulnérables et uniquement ces personnes. Le GAPS est une équipe pluridisciplinaire qui propose un accompagnement global (assistante sociale, chargé d’insertion, médiateur santé, psychologue…) dans le sens où nous nous accompagnons la personne sur tous les pans de sa vie, pas uniquement sur le plan de la maladie. Bien sûr, l’objectif premier est de favoriser et de sécuriser l’accès et le maintien dans les soins, mais nous travaillons sur tous les déterminants : santé, mode de vie, vie sociale, vie professionnelle, vie affective et sexuelle… Parce que nous accompagnons les personnes qui en ont besoin sur tous ces points, nous pouvons garantir l’accès et le maintien dans les soins. Le GAPS travaille à lever la plupart des freins psycho-sociaux.

Nous sommes localisés dans le Centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux, mais pas tout à fait à l’intérieur, et cela a vraiment son importance parce que, pour un sujet sensible comme le VIH, les personnes suivies n’ont pas à entrer complètement dans l’hôpital. C’est plus discret et c’est facilitant. Mais nous sommes également une équipe mobile, qui peut accompagner physiquement les patients. Ce qui fait notre force, c’est notre agilité. Nous avons une unité de lieu qui regroupe diverses compétences et nous nous recommandons les personnes au sein de la même équipe, ce qui nous permet d’agir très vite. À partir du moment où les personnes vont rencontrer un membre de l’équipe, elles vont rencontrer quasiment de manière systématique d’autres membres de l’équipe parce que d’autres besoins en accompagnement se révèlent. Les psychologues disent régulièrement que le travail psy ne peut être fait que si, à côté, il y a une sécurisation sur le plan social et sur le plan médical.

En 2023, les 10 personnes travaillant pour l’association ont accompagné 434 personnes. Nous recevons les personnes en respectant leur singularité et leur temporalité. Nous partons d’elles, de leurs besoins, et nous tirons le fil. Nous devenons rapidement un point de référence et d’ancrage pour ces personnes. Quand on vient nous voir, on peut être complètement authentique. La question du VIH, il n’y a pas besoin d’en parler, mais ils savent que nous savons. Et rien que ça, c’est apaisant pour eux, ils peuvent être eux-mêmes.

T. : Comment fonctionne le GAPS ?

G.M. : Nous sommes dans un système associatif, avec des financements publics et privés, mais notre financeur principal est l’ARS. Elle représente 70 % de notre budget. Cela fait un peu plus de 2 ans que l’ARS nous fait comprendre que notre modèle ne convient plus à leur politique de santé publique ni à leur ligne de financement. Nous sommes une petite structure pour un seul projet et l’ARS considère que c’est trop coûteux, que le VIH est une maladie chronique comme les autres, et que les missions de notre association se substituent au droit commun.

Pourtant, nous essayons d’expliquer que tout ce que nous faisons vient en complémentarité du droit commun, parce que nous touchons les publics les plus éloignés des soins, les plus vulnérables. Ce sont des publics qui, seuls, ne peuvent pas se saisir du droit commun. Ils ne peuvent pas aller à quatre guichets différents pour se faire accompagner. Et c’est justement parce qu’on est une petite équipe dans une unité de lieu qu’on arrive à accompagner ces personnes. Malheureusement, nous rencontrons des difficultés pour avoir des échanges constructifs avec nos référents de l’ARS sur la manière de réfléchir au projet pour continuer à bénéficier de leur financement.

T. : Que s’est-il passé pour en arriver à cette situation ?

G.M. : En 2023, nous comprenons que la direction générale de l’ARS veut appliquer une refonte de sa politique de santé publique. L’argent du programme Prévention et promotion de la santé (PPS) grâce auquel le GAPS était financé ne sera désormais alloué qu’aux acteurs qui pourront faire la preuve de l’efficacité de leurs actions. Ils demandent que des mesures d’impact soient réalisées dans les 3 ans pour fournir des données probantes. Les pistes que l’ARS nous a données pour cette tâche sont des voies sans issue. Quelques mois après, nous recevons un rapport d’évaluation à la suite d’un audit réalisé fin 2022. C’est un rapport d’évaluation à charge. Ça fait 36 ans que nous existons, mais à la lecture de ce rapport, on ne sait vraiment pas ce qu’on fait de bien ! Ce rapport nous donne le sentiment d’être une structure inopérante, c’est très violent.

En novembre 2023, une réunion est organisée à l’initiative de la directrice départementale de l’ARS, qui invite tous les acteurs du droit commun avec qui on travaille, sans nous inviter nous. La réunion a pour objectif que les acteurs du droit commun reprennent en charge l’accompagnement des personnes suivies par notre association. Nous apprenons lors de cette réunion que nous n’aurons pas de subvention en 2024. Suppression de 100 % du financement ! Quelques mois plus tôt, en mars, il nous était demandé de faire la preuve de l’efficacité de nos actions sous 3 ans… Pourtant, pour nous, c’est déjà terminé.

Nous mobilisons l’ensemble de nos partenaires, nous faisons parler de nous dans les médias… et nous obtenons un rendez-vous avec l’ARS qui nous octroie, finalement, notre financement pour une année supplémentaire. Mais l’ARS décide de manière unilatérale qu’à partir de 2025, l’accompagnement sera repris par le CHU. À cette occasion, l’agence nous demande de collaborer avec le CHU afin que l’accompagnement des patients soit aussi qualitatif que ce que nous proposons. Nous savons alors que le sort du GAPS est scellé. Nous ne pouvons pas garder d’entité associative avec si peu de financements annexes, et puis ça n’aurait pas de sens de conserver une activité morcelée entre l’associatif et le CHU. Nous perdrions l’essence même de notre spécificité, c’est-à-dire l’accompagnement global.

T. : Quelles sont vos craintes aujourd’hui ?

G.M. : Aujourd’hui, 36 ans d’existence vont être balayés, avec beaucoup de violence institutionnelle. L’ARS oriente son soutien vers des dispositifs de droit commun, dont on ne fait pas partie, ou vers des acteurs qui auront fait la preuve de leur efficacité avec des données probantes. Mais on ne nous a pas laissé le temps de faire la preuve de quoi que ce soit.

Pour nous, le CHU n’est pas le bon interlocuteur, parce que nous savons que le psycho-social n’est pas son cœur de métier. Et nous savons qu’une part importante de notre public n’ira pas voir « des blouses blanches ». Nous avons tenté une collaboration avec le CHU, mais aujourd’hui elle n’est pas fructueuse. C’est la confrontation de deux cultures extrêmement différentes. Nous avons une expertise de presque 40 ans, et nous plaçons la personne au cœur du projet. Le CHU est dans des procédures morcelées, dans le « comment il pourrait intégrer l’accompagnement dans sa structuration ». Il ne se dégage pas du connu, de ce qu’il sait faire. Ce que le CHU a proposé, c’est la création de 4 ETP rattachés à l’hôpital de jour VIH sous la responsabilité d’un médecin et d’un cadre de santé.

En septembre, il n’y a pas de projet de service écrit, pas de cahier des charges, rien qui offre les contours d’un projet. C’est très déstabilisant pour l’équipe qui a assisté aux réunions, car elle a l’impression qu’on ne parle jamais de l’essentiel, des personnes, et de comment on continue de les accompagner… Je suis très inquiète sur les délais. J’ai du mal à imaginer qu’on puisse en si peu de temps écrire un projet. Il y a eu beaucoup de temps perdu.

Nous concentrons notre énergie aujourd’hui à annoncer la situation aux personnes que l’on accompagne. Nous suivons des personnes extrêmement fragiles pour lesquelles le GAPS est un pilier, et qui vivent la situation comme un effondrement dans leur vie.

T. : Lorsque le GAPS aura disparu, que vont devenir les personnes suivies par l’association ?

G.M. : Nous réalisons des fiches d’orientation pour chaque personne accompagnée, à la fois sur la question sociale, sur la question santé, sur la question de la régularisation… pour qu’elles puissent avoir tous les éléments avec elles si elles doivent se présenter à un nouveau professionnel, pour que ça facilite leur accompagnement. Mais ça veut dire qu’il faut déjà qu’elles aillent vers un nouveau professionnel. Beaucoup de patients nous ont déjà fait part de leur réticence à « recommencer ». Beaucoup également nous ont dit qu’ils n’avaient pas envie d’aller « dans » l’hôpital. Les personnes que nous accompagnons sont fragilisées pour diverses raisons, et c’est parce qu’elles sont fragilisées qu’elles viennent vers nous. Il y a des personnes qui trouvent tout à fait leur place dans ce qui est proposé par le droit commun. Nous accompagnons les autres, nous les mettons en piste pour qu’à un moment donné, si elles le peuvent, elles deviennent autonomes dans leur parcours.

Nous personnalisons l’accompagnement, et nous savons depuis le début que le CHU ne pourra pas le faire. Je trouve ça extrêmement inquiétant, pour les personnes qu’on accompagne avant tout, mais ils ont également démembré une équipe qui avait une très grande expertise et qui fonctionnait bien. Tout le monde est extrêmement affecté par le fait que ça s’arrête. C’est vraiment un énorme gâchis.

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