Autorisé depuis 2014 par l’Union européenne, le dolutégravir est une molécule antivirale disponible seule ou en combinaison avec d’autres molécules. Si des études cliniques ont validé sa sécurité, au cours des deux dernières années, certains cliniciens ont néanmoins signalé que des effets secondaires neuropsychiatriques tels que l’insomnie, l’anxiété ou la dépression se produisaient à des taux beaucoup plus élevés chez les personnes prenant du dolutégravir que ne l’avaient montré les essais cliniques.
Par ailleurs, une récente étude observationnelle révèle que le dolutégravir pris par des femmes avant une grossesse pourrait avoir un impact sur le bébé à naître. Ces observations entraînent de nouvelles recommandations et remettent également en cause la mise en place des cohortes lors des essais cliniques, qui ne reflètent pas forcément les populations cibles.
Dolutégravir en traitement de première ligne
En 2016, le Botswana est le premier pays d’Afrique subsaharienne à proposer le dolutégravir en première ligne de traitement pour les adultes vivant avec le VIH. Une initiative qui s’est étendue grâce notamment à un accord permettant de proposer le dolutégravir à bas prix pour les pays à faible revenu. Inhibiteur d’intégrase, le dolutégravir empêche le virus de s’intégrer dans les cellules et donc de continuer son cycle infectieux. Les recherches antérieures menées sur cette molécule ont démontré une meilleure efficacité et tolérance, comparé à d’autres antirétroviraux (ARV) de première ligne, notamment l’efavirenz. En Afrique subsaharienne, les personnes vivant avec le VIH sont majoritairement des femmes, certaines d’entre elles sont enceintes ou ont un projet de grossesse.
À éviter en cas de projet de grossesse
Depuis 2014, une étude observationnelle a été menée au Botswana afin d’évaluer l’effet du dolutégravir par rapport à l’efavirenz sur les bébés de femmes qui étaient enceintes au moment de l’initiation du traitement (1 729 traitées par dolutégravir, contre 4 593 traitées par efavirenz) [1]. Aucune différence significative n’a été mise en avant entre ces deux traitements. Cependant, l’étude s’est également intéressée aux bébés de femmes ayant initié le traitement avant la grossesse. Dans ce cas, les résultats sont alarmants : 0,9 % des bébés mis au monde par les femmes sous dolutégravir avant leur grossesse présentent une malformation du tube neural, contre 0,1 % des bébés de femmes ayant pris un autre traitement [2]. Les derniers résultats seront rendus l’année prochaine. En attendant, l’Agence européenne des médicaments conseille aux patientes sous dolutégravir et en âge de procréer de prendre un contraceptif et de ne pas arrêter leur traitement sans consultation médicale. Les professionnels de santé sont quant à eux encouragés à prescrire un autre ARV aux femmes ayant un projet de grossesse.
Des essais cliniques à adapter
Ces observations soulèvent un problème majeur : les essais cliniques sont-ils menés sur les bonnes populations ? En effet, dans les pays du Nord, les molécules sont souvent testées sur des cohortes composées majoritairement d’hommes. Dans les années 1990, ce manque de représentation des femmes avait été critiqué par les associations. Depuis, la balance a été rééquilibrée, et les femmes tendent à être mieux représentées dans les essais cliniques. Sachant que les femmes sont les plus touchées par le VIH en Afrique subsaharienne, cette inclusion féminine apparaît essentielle. D’autant que les hommes et les femmes n’ont pas forcément la même sensibilité aux ARV.
Essais cliniques et grossesse
De plus en plus souvent, les essais d’effi cacité et de sécurité des molécules antirétrovirales contre le VIH sont menés dans les pays du Sud sur des cohortes où les femmes sont majoritairement représentées. En raison du fait qu’elles sont plus touchées que les hommes par le VIH et du constat sociétal selon lequel, en Afrique, les hommes sont plus réticents ou moins disponibles pour participer à des essais [3].
Dans le cas où les femmes incluses dans un essai tomberaient enceintes, le traitement serait immédiatement stoppé et remplacé par une molécule de moindre toxicité.
Dans le cas où les femmes incluses dans un essai tomberaient enceintes, le traitement serait immédiatement stoppé et remplacé par une molécule de moindre toxicité.
Cette forte représentation des femmes dans les essais conduits en Afrique subsaharienne est cohérente avec la future population cible des ARV. Néanmoins, un problème persiste : comment évaluer l’effet de ces médicaments lors de la grossesse ? En effet, les essais cliniques excluent généralement les femmes enceintes pour des raisons éthiques. De plus, les femmes en âge de procréer sont tenues de prendre un contraceptif pendant la durée de l’étude. Dans le cas où les femmes incluses dans un essai tomberaient enceintes, le traitement serait immédiatement stoppé et remplacé par une molécule de moindre toxicité. Ces femmes seraient tout de même suivies jusqu’à la fi n de l’essai afin de déceler toute complication éventuelle. Il est donc à ce jour extrêmement difficile d’évaluer un médicament dans le cas d’une grossesse, mis à part lors d’études observationnelles qui suivent la mise sur le marché dudit médicament.
La surveillance des personnes sous dolutégravir continue. Les femmes en âge de procréer semblent être particulièrement à risque dans la prise de ce traitement, avec la probabilité d’une malformation du nourrisson. Le problème récurrent de l’inclusion des femmes enceintes dans les essais cliniques est à nouveau mis en avant et rappelle à la communauté médicale le besoin de développer de nouvelles approches afin de prévenir au mieux l’effet des médicaments sur cette population.
[1] Zash R et al, Lancet Glob Health, 2018; 6: e804–10.
[2] Éditorial de The Lancet, Vol. 391, juin 2018.
[3] Les femmes à l’épreuve du VIH au Sud. Genre et accès universel à la prise en charge, ANRS, coll. Sciences sociales et sida, 2011.