Une étude récemment publiée dans la revue Nature Communication vient de montrer, au sein de la cohorte ADVANCE, que l’efficacité à long terme de l’anti-intégrase dolutégravir serait moindre chez les personnes vivant avec le VIH (PvVIH) ayant une résistance préexistante aux inhibiteurs non nucléosidique de la transcriptase inverse tel que l’éfavirenz. Ces données, premières en leur genre, viennent de nouveau questionner le choix du dolutégravir comme traitement de première ligne par l’OMS.
Aujourd’hui, la trithérapie antirétrovirale (ARV) permet à des millions de personnes vivant avec le VIH de pouvoir lutter de manière efficace contre le virus, même si celui-ci n’est pas éradiqué de l’organisme. Malheureusement, le virus VIH a pour particularité de fortement muter lors de son cycle de réplication : ces mutations qui apparaissent au sein de son génome entrainent dans certains cas l’apparition de résistance à l’encontre des molécules antirétrovirales.
Les problèmes de résistance aux ARV, notamment aux inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (NNRTI), restent un enjeu de santé publique majeur particulièrement dans les pays à ressources faibles ou modérées. En effet, dans les pays d’Afrique sub-saharienne le pourcentage de résistance aux NNRTI se situe entre 10 et 15%[i]. Ces résistances préexistantes chez les personnes initiant leur traitement peuvent compromettre la lutte contre le VIH dans ces pays.
L’arrivée du dolutégravir (DTG) a rebattu les cartes. Cet inhibiteur d’intégrase a prouvé, au travers de différents essais, son efficacité d’un point de vue virologique mais également au niveau de la sureté du médicament. Il présente également une barrière génétique élevée au développement d’une pharmacorésistance [ii]. Au vu de ces données, l’OMS a établi une nouvelle recommandation en juillet 2019 : l’utilisation préférentielle du dolutégravir comme traitement contre le VIH de première et de deuxième intention pour toutes les populations, y compris les femmes enceintes et celles en âge de procréer [iii]. L’efficacité du DTG traitement de première et seconde intention a été prouvée, mais qu’en est-il dans un contexte de résistance aux NNRTI ?
Une résistance croisée d’un nouveau genre ?
Les auteurs de l’étude se sont penchés sur cette question. Pour cela, les cliniciens ont utilisé les échantillons plasmatiques de 874 participants de l’essai ADVANCE [iv]. Le profil génétique des virus présents dans ces échantillons (prélevés avant mise sous traitement) a été analysé pour déterminer si la présence d’une résistance préexistante aux NNRTI pouvait influer sur l’efficacité à long terme d’un traitement initial à base d’éfavirenz (EFV) ou dolutégravir. 14 % des participants testés présentaient au moins une mutation préexistante, dont la majorité applicable aux NNRTI. De manière globale, au sein de la cohorte étudiée le taux de suppression virologique à 96 semaines chez les participants présentant des mutations préexistantes était significativement plus faible (65 %) que celui des participants ne présentant pas de mutation (85 %).
La donnée ayant surpris les chercheurs fut que cette différence d’efficacité était observée aussi bien chez les participants ayant initié un traitement à base d’éfavirenz que de dolutégravir. En effet une résistance à un médicament peut entrainer une résistance aux autres médicaments de la même classe thérapeutique, même s’ils n’ont jamais été pris auparavant. C’est ce que l’on appelle la résistance croisée ; qui de plus est très courante dans la classe des analogues non nucléosidiques.
Pour autant, que des mutations sur une classe thérapeutique puissent avoir un effet sur une autre classe semble plus difficile à imaginer. Pour s’assurer de la véracité de leurs résultats, un ajustement des données a été réalisé en fonction de facteurs tiers pouvant influer dessus, comme l’adhérence au traitement, des données démographiques et cliniques. Cet ajustement n’a fait que conforter que la résistance préexistante aux NNRTI était un facteur prédicteur du succès virologique pour le DTG.
Comment expliquer ce résultat ?
A l’heure actuelle aucune explication claire n’est donnée à ce phénomène, mais les auteurs émettent des hypothèses. L’une d’elles suggère une réplication plus forte des virus résistants aux NNRTI dans un contexte de pression médicamenteuse due aux inhibiteurs d’intégrase. Elle ferait écho à une précédente étude explorant les potentielles interactions entre les mutations de résistance aux NNRTI et aux inhibiteurs d’intégrase [v].
Il y est indiqué que les mutations individuelles de résistance aux médicaments réduisent généralement la capacité virale, alors que certaines combinaisons de mutations peuvent l’améliorer. Lorsqu’elles sont présentes dans certaines combinaisons, certaines mutations de résistance aux inhibiteurs de l’intégrase ont augmenté la résistance aux inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse et vice versa. Étant donné que ces médicaments sont parfois utilisés ensemble dans le traitement de l’infection par le VIH-1, ces interactions pourraient rendre les virus plus résistants aux deux médicaments, limitant davantage leur bénéfice clinique
L’autre hypothèse est centrée sur les participants et leur historique thérapeutique. Pour mesurer l’adhérence des participants, les auteurs se sont basés sur du déclaratif et le compte du nombre de pilules. Ils ont conscience que ce type de mesures ne peut parfaitement relater de l’adhérence au traitement.
Par ailleurs, les auteurs pensent que la résistance préexistante aux NNRTI peut être due au fait que les participants ont déjà eu recours à une thérapie ARV non suivie qu’ils n’auraient pas déclaré lors de leur participation à l’essai ADVANCE. Des études antérieures ont démontré qu’une première exposition aux ARV est associée à l’échec du traitement suivant et prédit l’échec virologique, et ce même après avoir contrôlé les possibles résistances préexistantes et l’observance du traitement. Ce facteur pourrait être une source de confusion résiduelle si un nombre significatif de personnes dans cette étude n’a pas divulgué une utilisation antérieure d’ARV.
D’autres études sont nécessaires pour comprendre plus précisément quels sont les facteurs à l’origine de la moindre efficacité sur le long terme du DTG chez les personnes ayant une résistance aux NNRTI. Les auteurs émettent des pistes de recherche en évaluant notamment la contribution de possibles résistances préexistantes à l’intégrase (non réalisée dans l’étude), de l’impact d’une précédente exposition aux ARV sur l’efficacité au second traitement, ou si l’échec du traitement au DTG observé est associé à l’émergence de mutations inhibitrices de l’intégrase.
Quelles conséquences d’un point de vue de santé publique ?
Cette étude peut amener à se poser des questions quant à l’utilisation massive du dolutégravir dans ces régions. Ce n’est pas la première fois qu’une étude soulève des inquiétudes concernant ce médicament. En effet, trois essais cliniques menés en Afrique sub-saharienne, en Amérique du Nord et en Europe ont montré que les participants sous DTG présentaient une prise de poids plus importante que ceux sous EFV [vi]. L’apparition sur le long terme de problème d’obésité et des comorbidités qui s’en suivent pour ces populations pose des problèmes de santé publique.
Dans l’article, les auteurs tendent à alerter les autorités de santé sur l’utilisation du DTG dans ces régions et quelles mesures pourraient être appliquées. Certains points sont d’ailleurs exposés : 1/ assurer un suivi virologique adéquat pour les traitements à base de DTG doit être une priorité ; 2/ prêter une meilleure attention aux options thérapeutiques de seconde et troisième ligne en particulier en cas d’une augmentation des échecs de la thérapie au DTG et d’une réintroduction des traitements à base de NNRTI ; 3/ reconsidérer l’utilisation de tests de résistance à l’intégrase, rarement réalisés en dehors des essais cliniques, pour les laboratoires de référence dans les pays où le DTG devient le traitement de choix.
Si cette étude présente quelques lacunes, qui sont d’ailleurs pointées par les auteurs, elle a le mérite d’identifier en amont des problèmes qui pourraient survenir et contribuer à des complications d’un point de vue de santé publique. Les autorités de santé doivent être vigilantes et prêter attention aux points rapportés dans cette étude et dans les essais antérieurs afin de prendre les mesures qui s’imposent en conséquence. A mesure que l’usage du dolutégravir se généralise, une surveillance étroite de son impact doit être organisée.
[i] https://www.thelancet.com/journals/laninf/article/PIIS1473-3099(17)30702-8/fulltext
[ii] La pharmacorésistance ou résistance du VIH aux médicaments désigne une diminution de la capacité d’un médicament ou d’une combinaison de médicaments particuliers à bloquer la réplication du VIH
[iv] L’essai ADVANCE vise à démontrer que la combinaison thérapeutique DTG / TAF / FTC est équivalente ou meilleure que DTG / TDF / FTC ou EFV / TDF / FTC en traitement de première intention du VIH chez les patients âgés de 12 ans ou plus.
[v] https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/24899199/
[vi] https://www.aidsmap.com/news/jul-2019/dolutegravir-leads-weight-gain-two-african-studies