En 2021, le volume de dons aux associations en cryptomonnaies a connu une hausse explosive : + 1.558% par rapport à 2020, selon les résultats de la plateforme The Giving Block. Pourtant, l’avenir de cette économie parallèle, hautement spéculative, semble des plus incertains.
2021, année zéro de la crypto-philanthropie : cette année, plus de 69,6 millions de dollars (M$), du moins leur équivalent en cryptomonnaies, ont été versés aux associations via The Giving Block, plateforme numérique facilitant le don caritatif en cryptos. Soit 16 fois plus que les 4,2 M$ versés en 2020 ! Cette montée en force des crypto-dons n’a cessé de s’accélérer : 50 % de ceux effectués en 2021 l’ont été sur les seuls mois de novembre et de décembre.
Dans son rapport d’activité 2021, The Giving Block attribue cette explosion à deux facteurs : d’une part, l’envolée de la crypto-économie, qui attire toujours plus d’investisseurs ; d’autre part, le fait qu’un nombre croissant d’associations, « des centaines, voire des milliers » selon la plateforme numérique, acceptent désormais ce type de dons.
En octobre 2021, Médecins sans frontières Australie a annoncé en avoir reçu un de 3,5 millions de dollars. Et ce sous forme d’Ethers, cryptomonnaie la plus en vogue sur The Giving Block, où elle a supplanté le bitcoin. Ce don, demeuré anonyme, provient d’une vente de NFT (Non Fungible Tokens), des « jetons » numériques uniques garantissant l’authenticité et la traçabilité d’objets virtuels, par exemple des œuvres d’art numériques.
De plus en plus d’associations intéressées
Au-delà de quelques dons très importants, impossible d’avoir un aperçu global des associations financées. Une analyse des premiers résultats de Cause Funds, initiative lancée en novembre 2021 par The Giving Block, livre toutefois quelques éléments de réponse quant aux priorités des détenteurs de cryptos. Cause Funds est un canal de financement dans lequel les associations sont regroupées par domaine d’activité : santé, environnement, lutte contre la pauvreté, etc. Lorsqu’une personne choisit de donner à une cause, sans choisir une association en particulier, son don est réparti de manière égale entre toutes les associations que The Giving Block a classées dans cette thématique.
En seulement deux mois de fonctionnement, Cause Funds a récolté 418.200 dollars, ce qui demeure marginal par rapport aux 69,6 M$ versés en 2021 via The Giving Block. L’éducation figure en tête des choix de don (98.000 dollars, 23% de Cause Funds), devançant la cause animale (18%) et l’environnement (14%). Quant à la lutte contre la pauvreté, l’aide humanitaire et la santé, elles arrivent respectivement en 6è, 7è et 8è positions, avec des parts respectives de 9%, 4% et 3%.
Des dons 82 fois plus élevés
Quel intérêt y a-t-il pour les associations à s’ouvrir aux dons en cryptomonnaies ? Contacté par Transversal, Jérémy Wauquier, président de l’école Alyra, un centre de formation parisien sur la blockchain, souligne la rapidité d’une levée de fonds. En Ukraine, le gouvernement n’a mis que trois semaines à récolter l’équivalent de 60 millions de dollars en cryptos, lors d’un appel au don lancé fin février suite à l’invasion russe. Autre avantage, les échanges en cryptos ne transitent pas par le réseau bancaire : « grâce aux cryptomonnaies, Wikileaks a pu échapper aux tentatives de blocage du gouvernement américain », rappelle Jérémy Wauquier.
Autre avantage selon l’expert, « c’est un marché dans lequel les gens se sentent riches ». D’où des dons particulièrement élevés : sur The Giving Block, le don moyen équivalait à 10.455 $ en 2021. Soit 82 fois plus qu’un don standard sur internet, de 128 $ selon la société américaine Nonprofits Source, spécialisée dans l’optimisation pour les moteurs de recherche (SEO).
Selon The Giving Block, « le futur du don en cryptomonnaies est radieux. Au vu des perspectives, de la croissance du nombre de donateurs et d’associations, les cryptos ont le potentiel de devenir la plus puissante force philanthropique des prochaines années ». Un optimisme qui semble bien prématuré, tant la cryptoéconomie fait montre d’une inquiétante volatilité.
Un marché bien incertain
En 2021, les cryptomonnaies ont chuté après le tour de vis décidé par les autorités chinoises : fin juillet, le bitcoin est passé sous la barre des 30.000 $, alors qu’il paradait à près de 65.000 $ trois mois plus tôt. Il est reparti à la hausse, atteignant en novembre un record historique, au-dessus de 68.000 $. Avant de rechuter à nouveau : le 12 mai dernier, il plongeait en-dessous de 27.000 dollars, niveau qu’il n’avait pas atteint depuis décembre 2020.
Ce nouveau krach des cryptos ne sera-t-il que passager, comme il l’a été en 2021 ? Ou ce marché, qui ne repose sur rien, n’est-il qu’une bulle spéculative, le nouvel avatar d’un capitalisme qui perd les pédales ? Publiée mardi 24 mai, une note de la Banque centrale européenne (BCE) se montre critique à leur égard, craignant que de tels évènements en viennent à menacer la stabilité financière, et plonger l’économie mondiale dans une crise d’une ampleur semblable à celle de 2008.
Selon la BCE, « les risques systémiques augmentent avec le niveau d’interconnexion entre le secteur financier et le marché des cryptomonnaies. Au vu de son développement, ce marché présente tous les signes d’un risque émergent pour la stabilité financière ». Au risque d’engendrer une nouvelle crise économique, donc sociale, dont les associations, cryptofinancées ou non, devront une fois de plus assumer une bonne partie des conséquences.