Une vingtaine de dossiers qui jettent le trouble. En juin dernier, un document publié par Aides, le Comité pour la santé des exilés (Comede) et l’Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE) alertait sur la situation de 23 personnes étrangères vivant avec le VIH qui se sont récemment vues déboutées d’une demande de titre de séjour pour raison médicale. Une première, s’agissant notamment de ressortissants d’Angola, du Cameroun, de Géorgie, de Russie ou encore de Guinée, des pays où il est admis dans la jurisprudence des autorités françaises que l’accès aux traitements n’est pas « effectif » pour l’ensemble de la population, critère retenu pour la délivrance des titres de séjour.
Des refus arbitraires
Pour les spécialistes de ces dossiers, il y a de quoi s’étrangler. L’arrêté de janvier 2017 régissant la mission des médecins de l’Office français pour l’immigration et l’intégration (Ofii), qui rendent leurs avis à destination des préfectures, sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, stipule noir sur blanc que « dans l’ensemble des pays en développement, il n’est pas encore possible de considérer que les personnes séropositives peuvent avoir accès aux antirétroviraux ARV ni à la prise en charge médicale nécessaire ». Pourtant, ceux qui ont épluché les dossiers sont tombés sur les justifications les plus surprenantes. Sur ces 23 refus motivés pour des raisons médicales, la grande majorité était justifiée par… un accès effectif aux traitements dans les pays concernés. Pour une poignée de cas, il était jugé purement et simplement que les personnes « n’avaient pas besoin de traitement », s’insurge Adeline Toullier, responsable du plaidoyer chez Aides, spécialiste du dossier. Des motifs « absurdes et fantaisistes » qui ont par exemple abouti à deux décisions opposées au sein d’un même couple vivant avec le VIH et de même nationalité.
Dans une communication, l’Ofii a assuré en juin qu’il s’agissait de cas isolés, estimant que 94 % des personnes séropositives faisaient l’objet d’un avis favorable. Mais pour les associations, ces 23 dossiers révélés pourraient n’être que la partie émergée de l’iceberg.
Alerte en Guyane
Adeline Toullier dénonce ainsi une multiplication des refus, mais aussi une « disparité géographique » dans le traitement des dossiers, alors que l’objectif affiché par la loi de 2016, centralisant le traitement au sein de l’Ofii et de son collège de médecins, devait au contraire garantir moins d’arbitraire aux demandeurs.
Le signal d’alarme a été tiré en Guyane, où une série d’avis défavorables ont valu en avril dernier une lettre du président du Corevih Mathieu Nacher à l’Ofii de Rennes, dénonçant une situation sans précédent et exposant ses arguments sur la non-effectivité de l’accès aux ARV, tout particulièrement pour les étrangers déposant leur demande sur le territoire guyanais.
Le Comede a édité une brochure rappelant les critères de délivrance d’un titre de séjour pour soins. Sous peine de discriminer les demandeurs, l’Ofii doit en principe évaluer non seulement le bénéfice effectif du traitement (disponibilité qualitative et quantitative dans le pays d’origine), mais aussi l’offre de soins existante, la répartition des structures sur le territoire, les équipements et, bien sûr, la situation clinique de la personne. Or, dans bien des cas, une personne éloignée des structures de soins dans son pays reste exclue des dispositifs, même si les traitements sont pourvus.
Tendance de fond
Au-delà de la vingtaine de cas révélés en juin, les statistiques officielles, toutes pathologies confondues, semblent confirmer un reflux des délivrances de titres de séjour pour soins. Les délivrances relatives à des premières demandes de titres de séjour ont ainsi diminué de 37% entre 2016 et 2017, selon des chiffres publiés en janvier 2018 par le ministère de l’Intérieur, après avoir connu une relative stagnation depuis 2013.
S’agissant des 23 dossiers des personnes déboutées, Aides et le Comede ont décidé de saisir le Défenseur des droits afin de ne pas en rester là, dans le contexte de durcissement des procédures induit par la nouvelle loi Asile et immigration.