vih Droit au séjour pour soins : vers toujours plus de restrictions ?

09.07.19
Vincent Douris
6 min
Visuel Droit
au séjour pour soins : vers toujours plus de restrictions ?

Le transfert de l’évaluation médicale des Agences régionales de santé (ARS) à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) constitue la dernière grande réforme du droit au séjour pour soins. Quel regard portez-vous sur cette situation ?

D’un point de vue extérieur, quand on analyse ce transfert, on se dit clairement qu’à l’origine, comme l’ont relevé les associations, mais aussi le Défenseur des droits et la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), il y avait un respect des compétences, avec d’un côté des instances de santé en charge de l’évaluation médicale et, de l’autre, le ministère de l’Intérieur, en charge de l’évaluation des conditions administratives (telles que la vérification de l’état civil et de l’absence de menace à l’ordre public). Cet équilibre était pensé. On peut maintenant interpréter le transfert à l’Ofii de différentes manières.

D’une part, il y a une volonté de rationaliser l’action administrative. Le rapport des Inspections générales de l’administration et des affaires sociales (IGA-Igas) de 2013 soulignait certaines failles du dispositif : un isolement de certains médecins des ARS et une forte hétérogénéité territoriale des avis rendus. D’autre part, l’Ofii s’est trouvé déchargé de la visite médicale des étudiants et disposait donc de personnel disponible. Pourquoi donc ne pas organiser ce transfert ? Analysée en termes de politiques publiques, cette réforme peut faire sens. Mais elle peut aussi s’analyser comme une volonté de contrôle de la procédure d’évaluation médicale par le ministère de l’Intérieur, notamment au regard de l’histoire du droit au séjour pour soins, au cours de laquelle ce dernier a fait part de ses réticences à l’idée d’octroyer une prérogative au corps médical en termes de police des étrangers, et a tenté, par différents moyens, de maîtriser la phase d’évaluation médicale.

De quelle période est-il question ?

On voit cela dès les années 1992 et 1993. J’ai pu avoir accès, dans le cadre de ma thèse, à des archives internes à l’administration, pas seulement aux documents ou aux débats publics. L’un des arguments soulevés était l’éventualité d’un lien de conséquence entre la reconnaissance d’un statut à l’étranger gravement malade et la fin de la maîtrise de l’immigration. On voit, dans ces archives, les préfectures informer la Direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) que la question devenait de plus en plus prégnante, et le ministre de l’Intérieur demander l’avis du ministre de la Santé. On trouve aussi différents documents du ministère de la Santé. Et j’ai essayé d’avoir accès aux archives du Premier ministre, ce qui m’a été refusé. C’est pourtant lui qui a tranché à l’époque sur cette question, en défaveur d’un encadrement de la situation des étrangers malades.

De manière plus générale, au cours de l’histoire du droit au séjour pour soins, on retrouve cette volonté de maîtriser les avis médicaux, avec parfois l’immixtion de préfets dans la nomination de certains médecins, puis les premières propositions de transfert de l’évaluation à l’Ofii, évoquées dès 2006, et enfin le rapport IGA-Igas de 2013. Il est d’ailleurs intéressant de relever que l’un des principaux arguments mobilisés pour justifier ce transfert était la nécessité de renforcer la lutte contre la fraude au droit au séjour pour soins, sans qu’aucun chiffre précis sur ce phénomène ne soit présenté.

Un pourcentage de 0,5 % est avancé…

Oui, il s’agit d’une donnée récente issue du rapport rédigé par l’Ofii relatif à sa première année de mission d’évaluation médicale, qui a été remis au Parlement. Ce chiffre montre en fait que la fraude est très minoritaire. Pour revenir à l’évolution législative du droit au séjour pour soins, on peut constater que le ministère de l’Intérieur a cherché à limiter l’accès à un statut aux étrangers malades par différents moyens. Il l’a fait avec la loi Besson[1], la réforme sur l’absence de traitement approprié dans le pays d’origine, mais ça n’a pas réellement marché, les taux d’avis médicaux favorables par rapport aux demandes étant restés quasiment les mêmes qu’avant (de l’ordre de 75 % d’avis médicaux favorables). La loi Cazeneuve de 2016[2] vient parachever cet objectif de maîtrise des avis médicaux, en rattachant les médecins au ministère de l’Intérieur, comme c’est le cas en Belgique. Alors, bien sûr, des garanties d’indépendance des médecins sont prévues, et l’argument phare avancé est qu’un médecin reste un médecin, peu importe pour qui il travaille. Mais l’objectif du ministère de l’Intérieur semble bien rempli par cette réforme, puisqu’il se félicite que cette procédure soit désormais maîtrisée, avec une baisse considérable du taux d’avis médicaux favorables, qui est en 2018 d’environ 53 %. Une baisse qui ne va pas nécessairement dans le sens d’une véritable indépendance du service médical de l’Ofii. Par ailleurs, la terminologie empruntée par l’Ofii dans son rapport fait très écho à celle du ministère de l’Intérieur, notamment lorsqu’est évoquée la lutte contre la fraude : ce n’est pas une terminologie que l’on retrouvait auparavant dans les rapports de la Santé sur le sujet. Les instructions données aux médecins pour lutter contre la fraude tendent aussi à relativiser cette indépendance, notamment au regard de l’importante proportion de personnes demandeuses convoquées pour que des examens médicaux soient effectués dans le but de vérifier qu’il ne s’agit pas de tentatives de fraude.

On peut donc analyser ce transfert de compétences sous l’angle de la rationalisation de l’administration, mais on peut aussi le voir comme une véritable volonté de contrôle des médecins par le ministère de l’Intérieur.

Pour aller plus loin

Notes

[1] Loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité.

[2] Loi relative au droit des étrangers en France.

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