vih Droits des malades, le sida fer de lance de la loi Kouchner

14.04.22
Pierre Bienvault
12 min
Visuel Droits
des malades, le sida fer de lance de la loi Kouchner

Droit au respect de la dignité du patient, non-discrimination dans la prévention et l’accès aux soins, droit au respect de la vie privée du malade, accès direct au dossier médical… La loi du 4 mars 2002, dont on célèbre les 20 ans, a permis d’importantes avancées. Un texte majeur inspiré en bonne partie par les acteurs de la lutte contre le VIH.

C’était le 2 octobre 2001, un mardi. « C’est pour moi un honneur », lance alors Bernard Kouchner dès son arrivée à la tribune de l’Assemblée nationale. Le ministre délégué à la santé sait que le moment est historique. C’est un texte « fondateur » qu’il s’apprête à défendre devant les députés. Un texte qui sera promulgué quelques mois plus tard : le 4 mars 2002. Une date en forme de tournant pour tous ceux et celles qui, dans l’ombre ou la lumière, dans les associations, les hôpitaux, les ministères, se sont battus pour faire reconnaître les droits des malades. Et engager une révolution au sein d’un système de santé encore largement dominé par le pouvoir d’une médecine largement paternaliste.

Cela fait donc 20 ans qu’a été votée la loi « Kouchner ». La loi sur les droits des malades qui a jeté les fondations de la démocratie sanitaire. Pas toujours bien connu dans ses détails, ce texte a été en bonne partie inspiré par les acteurs de la lutte contre le sida. Une réalité dont Bernard Kouchner était pleinement conscient. « La pandémie du sida a suscité un militantisme sanitaire dont nous avons beaucoup à apprendre et qui, déjà, a modifié certaines pratiques et bousculé bien des certitudes », saluait le ministre dans ce discours d’octobre 2001 devant les députés.

Des droits individuels et collectifs

C’est dans son titre 2 que la loi détaille les principales mesures sur les droits individuels ou collectifs des patients. Après avoir affirmé la protection de la santé comme un droit fondamental, le texte consacre plusieurs droits essentiels de la personne malade : le droit au respect de sa dignité, le principe de non-discrimination dans la prévention et l’accès aux soins, le droit au respect de la vie privée du malade et à la confidentialité des informations ainsi que le droit à l’innovation médicale. « Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue », indique le texte.

Autre droit majeur, celui à l’information. « Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus », indique le texte, en reconnaissant le droit de toute personne de refuser des soins ou un traitement. « Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment », précise la loi.

Parmi les autres dispositions majeures, on peut aussi citer celle permettant d’indemniser un aléa thérapeutique, c’est à dire un accident médical sans faute commise par un professionnel. Et bien sûr la possibilité d’avoir, pour le patient, un accès direct à son dossier médical. Une vraie petite révolution. Jusque-là, ce document ne pouvait être consulté que par l’intermédiaire d’un médecin. « Il y avait à l’époque beaucoup de résistances des professionnels et des établissements pour autoriser l’accès au dossier. Et surtout de nombreux médecins étaient persuadés que les parents ne seraient pas capables de prendre connaissance seuls de ce document. Il fallait, selon eux, qu’un professionnel soit à leur côté pour expliquer les choses mais aussi édulcorer ce qui était écrit », se souvient Claire Compagnon, ancienne directrice générale adjointe de l’association Aides. « Je me rappelle d’une réunion avec des psychiatres qui nous disaient : mais vous n’y pensez pas, les malades vont se suicider ! », ajoute-t-elle.

Sans doute que les professionnels voulaient aussi maintenir secrètes certaines annotations « réservées » aux seuls initiés du monde médical. « On s’est rendu compte que les dossiers comportaient beaucoup de jugements de valeur sur les patients. Par exemple l’abréviation CH pour complètement hystérique », raconte Claire Compagnon.

« On est passé du patient, objet de soins au citoyen sujet de droit »

C’est évidement bien en amont qu’a germé l’élaboration de cette loi sous l’impulsion du rôle précurseur joué par la lutte contre le sida. « Le combat contre le VIH a eu une influence forte sur cette loi du 4 mars 2002 », reconnaît Olivier Maurel, co-auteur avec Michel Bourrelly du livre « Une histoire de la lutte contre le sida » (édition nouveau monde, 2021). « La lutte contre le sida a marqué un tournant. C’est sous impulsion qu’on est passé du patient, objet de soins au citoyen sujet de droit. Cela a été un complet changement de logique. On a quitté le « bio pouvoir » incarné par le médecin et l’Etat qui contrôlaient les corps. D’un seul, c’était aux individus de se ré-approprier le contrôle de leurs corps. Politiquement et philosophiquement, la première influence, elle est là. Avec le sida, on est entré dans une logique nouvelle : le patient est désormais un  sujet qui doit se prendre en charge et défendre ses droits ».

Selon Olivier Maurel, le scandale du sang contaminé a constitué un autre tournant. « Dans cette affaire, des patients avaient été trompés par des médecins en qui ils avaient toute confiance et qui leur délivraient des produits qu’ils savaient contaminés. Cette tromperie était aussi le fait du système politique. De ce scandale est née la volonté d’un certain nombre d’associations et de personnes concernées par le VIH de ne plus se laisser faire ».

Ne plus se laisser faire par la médecine. Ne plus accepter le paternalisme et une relation trop déséquilibrée au profit de l’homme en blouse blanche persuadé d’être le seul légitime à détenir le savoir. « Si la lutte contre le sida a contribué à cette loi du 4 mars 2002, c’est d’abord en montrant en actes qu’il était possible de rééquilibrer cette relation médecin-patient », souligne Jérôme Martin, ancien président d’Act-UP. « Dès les années 1980 et 1990, des associations comme Act Up, Aides, Arcat, VLS ont réussi à mettre en place des dispositifs pour équilibrer la relation thérapeutique. Pour permettre aux personnes d’avoir accès à l’information sur les traitements et leurs effets secondaires. Pour instaurer une discussion éclairée entre les deux parties », poursuit-il, en ajoutant que l’arrivée des trithérapies, en 1996, évidemment une formidable nouvelle pour les personnes vivant avec le VIH, a failli déséquilibrer à nouveau la relation médecin-patient. Comme si docteurs et professeurs retrouvaient alors une partie de leur « pouvoir » avec l’arrivée de ces molécules très efficaces. 

« Tout le monde était soulagé avec les trithérapies. Mais d’un seul coup, on a eu un peu le sentiment que le bien-être des malades et les effets secondaires de leurs médicaments passaient au second plan, y compris de la part de médecins ayant toujours été bienveillants avec les patients VIH. Ils avaient davantage l’œil sur les indicateurs biologiques de la personne que sur les effets que pouvaient avoir les trithérapies », ajoute Jérôme Martin.

La « culture du VIH » diffusée dans les autres associations

Un autre élément décisif été la manière dont les acquis de la lutte contre le sida ont pu, dans les années 1990, essaimé dans tout le tissu associatif de la santé. Le cas le plus emblématique est sans doute celui de Claire Compagnon qui, en 1998, quitta Aides pour rejoindre la Ligue contre le cancer. Un « poids lourd » du monde associatif où historiquement les médecins avaient toujours eu le pouvoir. Et la parole. Face à cette inertie, Claire Compagnon sut utiliser sa « culture VIH » pour faire émerger, enfin, la parole des patients. C’est sous impulsion que la Ligue organisa en 1998 les Etats généraux des malades du cancer. Un autre événement fondateur dans l’histoire des droits des malades. Ces Etats généraux permirent de réunir plus de 13 000 personnes dans une salle à Paris pour raconter leur vécu devant Bernard Koucher. « C’est grâce à cette parole des malades qu’on a pu notamment faire progresser l’annonce du diagnostic de la maladie. Dans le domaine du cancer, cette annonce était encore faite, parfois, de manière catastrophique, par exemple entre deux portes dans un couloir d’hôpital », se souvient Claire Compagnon

Claire Compagnon n’est pas un cas isolé. Dans ces années 1990, d’autres acteurs de la lutte contre le sida, en particulier issue de Aides, ont joué un rôle important pour diffuser le « savoir du VIH » dans d’autres associations pas forcément toutes engagées au départ sur les droits des malades et leur défense au niveau public et politique. « On peut citer Yann Le Can qui est parti rejoindre le combat pour les maladies ou Christian Saout qui a été très actif au sein du Collectif inter-associatif sur la santé (CISS) », indique Olivier Maurel

Vingt ans après, tout le monde s’accorde à reconnaître l’impact majeur de la loi Kouchner. Même si, quelques freins continuent d’exister. En 2014, Claire Compagnon a remis un rapport à Marisol Touraine pour réclamer l’attribution de réels moyens et un statut aux usagers de la santé qui siègent dans les hôpitaux ou les agences sanitaire. Des propositions laissées sans suite. « Résultat, il n’y a toujours pas d’indemnisation, ni de reconnaissance du travail effectué par ces représentants des usagers. Et au final, ce sont toujours les mêmes qui se mobilisent : grosso modo, les retraités ayant les moyens de le faire », analyse Claire Compagnon

Des freins pendant la crise du Covid

La crise du Covid a aussi montré des réticences politiques fortes face à la volonté d’inclure des usagers de la santé dans les instances de réflexion autour du virus. En avril 2020, le président du conseil scientifique Jean-François Delfraissy a ainsi demandé à l’Elysée la création d’un Comité de liaison citoyen. Sans jamais réussir à l’obtenir. Au grand regret de Françoise Barré Sinoussi. « Moi aussi, je le déplore. Cela aurait été vraiment utile qu’on entende la voix des premiers concernés par cette crise, et notamment les malades les plus précaires et les vulnérables », confiait en juillet 2020 la présidente de Sidaction à Transversal.

Selon Jérôme Martin a aussi émergé durant cette crise sanitaire « un discours réactionnaire » visant à remettre en cause la légitimité des personnes à parler de leur maladie. « Depuis le début de l’épidémie de Covid, les réseaux sociaux ont certes favorisé la diffusion d’un discours complotiste et obscurantiste, qui est inacceptable. Mais on a aussi vu circuler des échanges très pertinents et constructifs émanant de personnes touchées par le Covid. Et j’ai été frappé par la manière avec laquelle certains médecins s’offusquaient sur twitter que des patients puissent donner leurs avis dans l’espace public se fondant sur leur expertise de patients. Je me souviens de certains tweets anonymes de médecins disant : « j’ai fait 10 ans de médecine. Et je ne vais pas laisser Josiane, qui a lu trois trucs sur le Covid, me dire ce que je dois faire… « .

Claire Compagnon constate que des progrès restent à faire pour faire accepter « l’expertise profane » des malades. « On sait pourtant, grâce au sida, que les patients ont un niveau de connaissances sur leur maladie qui peut être très utiles aux professionnels. Cette connaissance est cruciale par exemple sur la douleur ou l’observance thérapeutique », indique-t-elle

Comme si, 20 ans après la loi Kouchner, une certaine morgue médicale était toujours bien vivante. « Le cas de l’endométriose est aussi très significatif, poursuit Jérôme Martin. Si les chercheurs et les médecins avaient mieux pris en compte la parole des femmes qui se plaignent de leurs règles, peut-être qu’il y aurait moins de retards au diagnostic et une recherche un peu plus avancée sur cette maladie », ajoute cet ancien d’Act Up-Paris, déçu, lui aussi, que le Comité de liaison citoyen, réclamé par Jean-François Delfraissy, n’ait jamais pu voir le jour. « Peut-être qu’il y a 20 ans, les associations de lutte contre le sida n’auraient pas attendu qu’on les invite. Elles auraient forcé la porte ou seraient rentrées par la fenêtre ».

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