Début 2024, l’épidémiologiste France Lert, ancienne directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), a publié un article pointant les dysfonctionnements touchant la déclaration obligatoire (DO) des nouveaux cas d’infection par le VIH. Qu’est-ce que ce dispositif ? Pourquoi est-il crucial pour comprendre la dynamique de l’épidémie en France ?
Début 2024, l’épidémiologiste France Lert, ancienne directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), a publié un article pointant les dysfonctionnements touchant la déclaration obligatoire (DO) des nouveaux cas d’infection par le VIH. Qu’est-ce que ce dispositif ? Pourquoi est-il crucial pour comprendre la dynamique de l’épidémie en France ?
Transversal : Début janvier 2024, vous avez publié un article sur le site VIH.org concernant la déclaration obligatoire de l’infection à VIH [i]. Cela, après avoir participé en 2023 à l’élaboration d’un avis du Conseil national du sida et des hépatites virales (CNS), sur ce dispositif [ii]. Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est précisément ce système ?
F. L. : La déclaration obligatoire des nouveaux diagnostics d’infections par le VIH, ou « DO VIH » est un outil indispensable de la surveillance de l’épidémie de VIH en France. Mise en place en 2003 et pilotée par l’agence Santé publique France, elle permet de recenser et de collecter de précieuses informations sociodémographiques, cliniques et biologiques sur les découvertes d’infection par le VIH : âge et sexe des personnes diagnostiquées, mode de transmission, pays de naissance, taux de lymphocyte T CD4+ et de VIH dans le sang au moment du diagnostic… Ce qui permet de cartographier l’épidémie de VIH en France. Le tout, de façon anonyme et sécurisée ; chaque personne vivant avec le VIH (PVVIH) étant référencée par un identifiant crypté.
T. : En pratique, comment cela se passe ?
F. L. : Depuis 2016, la DO est réalisée en ligne sur l’application « e-DO ». Les biologistes et médecins qui doivent l’effectuer s’authentifient avec une carte professionnelle. Le biologiste initie la DO en déclarant toute sérologie confirmée pour la première fois. Puis elle est complétée de façon indépendante et plus détaillée par le médecin prescripteur de la sérologie et/ou qui prend en charge la PVVIH nouvellement diagnostiquée. Les deux professionnels peuvent déléguer la déclaration selon un protocole encadré, à du personnel sous leur responsabilité, notamment à des techniciens d’études cliniques (TEC) des Comités de coordination régionale de la lutte contre les infections sexuellement transmissibles et le virus de l’immunodéficience humaine (Corevih). Dans les faits, plus de 90 % des e-DO incombant à un médecin sont réalisées dans le cadre hospitalier par les personnels des Corevih. Ensuite, les informations sont transmises, vérifiées et analysées par Santé publique France (SpF).
T. : Quel est exactement le problème avec ce système ?
F. L. : Santé publique France a constaté une baisse constante de l’exhaustivité des déclarations par les professionnels de santé. [Selon l’agence, en 2021 seuls 59 % des nouveaux cas d’infection par le VIH ont été déclarés, contre 60 % en 2020, 68 % en 2019 et 74 % en 2018, Ndlr]. Après enquête auprès des principaux acteurs de la DO VIH (laboratoires de biologie, hôpitaux, Corevih), la commission d’experts à l’origine du récent avis du CNS a conclu que ce manque d’exhaustivité est réel mais probablement surestimé.
T. : En quoi est-ce alarmant ?
F. L. : Car cela empêche d’avoir une vision précise de l’efficacité – ou non – des mesures mises en place pour lutter contre l’épidémie, qu’il s’agisse de prévention, de dépistage ou de prise en charge des PVVIH et, si nécessaire, de les améliorer. [En effet, la DO VIH permet de collecter des données par groupes de population (hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, migrants…) et par région et ainsi, de savoir si les stratégies de lutte sont adaptées ou non au niveau régional et au niveau des groupes d’intérêt. Elle permet aussi de recueillir des informations sur l’avancée de la maladie au moment du diagnostic, et ainsi, de renseigner sur l’efficacité des actions de dépistage, Ndlr]. La qualité de ses données est donc essentielle.
T. : Quelles sont les causes des lacunes observées ?
F. L. : Dans son Avis de fin 2023, le CNS en a identifié plusieurs, de trois ordres. Tout d’abord, le dispositif de DO VIH ne colle plus assez à la réalité de la prise en charge initiale des PVVIH nouvellement diagnostiquées : quand il été mis en place en 2003, cette prise en charge initiale était surtout réalisée par des médecins de ville ; mais depuis 2013 et la recommandation du traitement antirétroviral (TARV) immédiat, elle incombe plus aux médecins hospitaliers, seuls habilités à faire une première prescription d’un TARV. Résultat, désormais, la motivation des médecins prescripteurs des tests à déclarer est moindre. [Selon l’avis du CNS, cette évolution a également pour conséquence que les médecins libéraux s’attendent à ce que la DO soit réalisée à l’hôpital. Or de son côté, le médecin hospitalier dispose du résultat récent de la sérologie confirmée positive (celle réalisée en ville) et ne represcrit donc pas systématiquement la sérologie VIH. Conséquence, la DO ne peut pas être initiée par le biologiste hospitalier, Ndlr].
T. : Quid de la seconde cause ?
F. L. : Elle correspond à la dématérialisation de la déclaration opérée en 2016. En effet, la numérisation de la procédure s’est accompagnée de plusieurs problèmes techniques qui ont pu freiner ou décourager médecins et biologistes : des problèmes lors des mises à jour des logiciels, de la commande et du renouvellement des cartes professionnelles inégalement assurés selon les établissements, des difficultés de création du compte e-DO, etc. Ensuite, cette évolution s’est aussi accompagnée d’une rupture de continuité entre la saisie par le biologiste et le médecin, continuité qui fonctionnait comme un rappel du clinicien à déclarer [en effet, alors qu’auparavant, un formulaire papier unique devait être initié par le biologiste puis transmis au médecin prescripteur qui le complétait, ce dernier doit désormais penser à se connecter à e-DO pour ce faire, Ndlr]. Enfin, le processus de demande d’informations manquantes par Santé publique France aux déclarants fonctionne mal [en cas de données manquantes, les demandes d’informations complémentaires ne sont adressées qu’au déclarant titulaire, et non au déclarant délégué, Ndlr].
T. : Et la troisième cause ?
F. L. : Elle consiste en un manque de communication entre Santé publique France et les professionnels qui réalisent la DO. [L’enquête conduite par la commission du CNS montre que l’agence a « une vision des relations avec les déclarants qui reste essentiellement descendante, marquée par une approche théorique qui méconnaît souvent la réalité de leurs pratiques et de leurs difficultés », Ndlr]. Ce manque d’échanges contribue à transformer la DO d’acte de santé publique en acte administratif. Or dans les journées chargées des professionnels, faire un acte administratif n’est pas vu comme une nécessité.
T. : Quelles solutions pour rectifier le tir ?
F. L. : Le CNS préconise notamment de réorganiser le dispositif, en se concentrant sur les Corevih et les services hospitaliers. Il appelle à donner une responsabilité directe aux Corevih sur l’exhaustivité de la déclaration dans leur périmètre géographique. [Ici, le CNS recommande au Directeur général de la santé, d’« inscrire dans les textes réglementaires relatifs aux missions des Corevih » leur rôle dans la saisie et le contrôle de l’exhaustivité de la DO VIH » et de leur « fixer des objectifs d’exhaustivité », Ndlr]. Le CNS préconise aussi de redévelopper la plateforme e-DO pour résoudre ses lourdeurs de gestion pour les épidémiologistes de Santé publique France et améliorer ses fonctionnalités [il recommande au Directeur général de la santé de « programmer sans délai et financer le redéveloppement de la plateforme e-DO », Ndlr]. Enfin, il préconise d’intensifier les échanges entre Santé publique France et les déclarants [il recommande à la directrice générale de Santé publique France de notamment « sensibiliser les déclarants à l’utilité et à l’importance de la DO pour le suivi et le contrôle de l’épidémie » et d’« effectuer des retours d’information réguliers sur leur activité de déclaration », Ndlr].
[i] https://vih.org/20240103/pas-deradication-du-vih-sans-renforcement-de-la-declaration-obligatoire/
[ii] Téléchargeable ici : https://cns.sante.fr/wp-content/uploads/2023/11/CNS-Avis-DO-VIH-191023.pdf