vih Education à la sexualité : la société civile, force de proposition

08.11.23
Romain Loury
7 min
Visuel Education à la sexualité : la société civile, force de proposition

Face aux insuffisances de l’Etat, un collectif associatif a décidé de prendre les choses en main. Dans un Livre blanc publié le 6 novembre, il émet 46 recommandations afin que l’éducation à la sexualité trouve enfin sa place dans les établissements scolaires.

Trois séances annuelles d’éducation à la sexualité (ES) par classe d’âge… en théorie. Fixée par une loi du 4 juillet 2001 (loi n° 2001-488 relative à l’IVG et à la contraception), cette obligation demeure encore bien mal appliquée : seuls 20 % des collégiens et 14 % des lycéens ont effectivement accès aux trois séances annuelles, indiquait l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) dans un rapport publié en juillet 2021. Pourtant, les besoins n’ont jamais été aussi criants, aussi bien en matière de violences sexuelles (+33 % en 2021) que d’information sur le VIH/sida, au sujet duquel 31% des moins de 24 ans s’estiment mal informés.

Alors que l’ES demeure désespérément à la traîne, la société civile a décidé de prendre le sujet à bras le corps. Lundi 6 novembre, un collectif regroupant dix organisations d’horizons divers (neuf associations, un syndicat d’infirmières scolaires) a présenté au Sénat son « Livre blanc pour une véritable éducation à la sexualité »[i]. Elles y dévoilent 46 recommandations visant à assurer son déploiement effectif, sans éluder aucun de ses nombreux enjeux, organisationnels, financiers, éducatifs, culturels, etc.

Agir à tous les niveaux

Premier axe, construire un cadre plus propice au sein de l’Education nationale. Entre autres, par l’inscription de l’EAS dans les programmes scolaires (de l’école au lycée), la mise en place d’un plan national pluriannuel et d’une stratégie nationale dotée d’un comité de pilotage, la désignation dans chaque académie d’un.e référent.e en charge du sujet à temps plein, ou encore l’évaluation des besoins financiers.

Plus en aval, il s’agit aussi d’instaurer un terrain favorable au sein des établissements scolaires eux-mêmes. Pour cela, le comité propose d’inscrire l’ES dans les projets d’établissement, de renforcer la formation (initiale et continue) des personnels de l’Education nationale, de désigner un.e référent.e par établissement, ou encore d’instaurer un manuel scolaire spécifique et adapté à chaque âge. Plus largement, le collectif appelle à la diffusion de l’ES au-delà du milieu scolaire, dans toute structure accueillant des jeunes (fédérations sportives, centres de loisirs, protection judiciaire de la jeunesse, etc.). Egalement prônées, des campagnes de sensibilisation du grand public devront permettre de mieux expliquer les enjeux de l’ES, encore l’objet de bien des fantasmes.

Pour la société civile, un front inédit

« Par cette dynamique, nous souhaitions réunir des organisations de la société civile les plus représentatives possibles du champ de l’éducation à la sexualité. Nous avons misé sur la complémentarité des associations », explique Adeline Toullier (association La Vague), qui a coordonné ce travail. Au-delà des 10 membres du comité, d’autres voix (sociologues, lycéens, directeurs d’établissements, etc.) se sont fait entendre lors des auditions, reflétant un point de vue large de la société civile. « Ce front associatif uni est inédit, cela ouvre un cadre de partenariat entre ces différentes cultures », ajoute Adeline Toullier. Un partenariat que le collectif compte poursuivre au-delà de la publication du Livre blanc.

Début mars, trois associations (Sidaction, Mouvement français pour le planning familial, SOS Homophobie), avaient annoncé une saisine du tribunal administratif de Paris afin que la loi de juillet 2001 soit enfin appliquée. La logique du Livre blanc en est complémentaire… donc différente : « au-delà de notre plainte, nous voulions aussi montrer que nous sommes force de proposition, faire comprendre au gouvernement que le sujet intéresse la société civile dans son ensemble », explique Anaïs Saint-Gal, en charge du plaidoyer chez Sidaction.

Des dysfonctionnements à tous les étages

Comment expliquer ce défaut d’application de la loi de 2001 ? Selon Anaïs Saint-Gal, « il ne s’agit pas seulement d’un problème de non-volonté politique, mais aussi d’un dysfonctionnement dans la mise en œuvre ». Et ce à tous les niveaux, du ministère aux établissements scolaires en passant par les rectorats. Egalement en jeu, un manque de compréhension du sujet par une grande partie de la population : « si on explique à quoi sert l’éducation à la sexualité, si on montre qu’elle permet prévenir et repérer les violences sexuelles et intrafamiliales, les gens sont d’accord avec son principe. Mais la pédagogie manque ».

Une partie du problème est peut-être d’ordre sémantique, raison pour laquelle le Livre blanc propose de revoir la dénomination « éducation à la sexualité » (qui figure dans la loi de 2001) pour qu’elle corresponde mieux à son contenu, qui inclut l’égalité des genres, les discriminations et la sexualité, mais aussi la vie affective, intime et relationnelle. Un ajustement peut-être bienvenu, mais qui ne fera probablement pas flancher les mouvements réactionnaires, voire d’extrême droite, de plus en plus virulents contre l’ES. En témoigne la montée en puissance de l’association « Parents vigilants », soutenu par le parti d’Eric Zemmour – et qui, à la stupeur générale, a organisé un colloque au Sénat deux jours avant que le Livre blanc n’y soit présenté.

Les associations en demande d’un cadre plus solide

Partenaires incontournables de l’ES en milieu scolaire, où ils interviennent en appui au personnel enseignant et infirmier, les associations de terrain sont bien conscientes des enjeux. Parmi elles, l’Association de lutte contre le sida et pour la santé sexuelle (ALS), basée à Lyon et membre du comité du Livre blanc, compte parmi les pionnières. « Cela fait 20 ans que nous faisons de l’éducation à la sexualité, l’ALS a été l’une des premières associations formées par l’Education nationale. Avant cela, nous étions centrés sur le VIH/sida, mais nous nous rendions compte que bien d’autres sujets liés à la sexualité intéressaient les jeunes », explique sa directrice Valérie Bourdin.

Chaque année, l’association anime « entre 400 et 500 interventions d’environ trois heures. Soit entre 3.500 et 4.000 jeunes sensibilisés par an dans la région Auvergne-Rhône-Alpes ». Malgré les quatre équivalents temps plein (ETP) consacrés à cette mission, « nous sommes souvent obligés de refuser des interventions, car nous sommes trop peu nombreux », indique Valérie Bourdin. Selon elle, « il faut accélérer sur l’éducation à la sexualité, et pour cela il faut que ce temps de formation soit inscrit dans le programme scolaire. Au fond, ce ne devrait pas être un problème de manque d’intervenants, mais ça l’est devenu parce que l’éducation à la sexualité ne figure pas au programme. Quand elle le sera, les professeurs volontaires, les intervenants extérieurs seront là ! ».

Notes et références

[i] Ces dix organisations sont l’ALS (Association de lutte contre le sida et pour la santé sexuelle), En avant toute(s), Excision parlons en !, FDFA (Femmes pour le dire, femmes pour agir), la FNCIDFF (Fédération nationale des centres d’information sur les droits des femmes et des familles), la FNSF (Fédération nationale Solidarité femmes), le Planning familial, Sidaction, le SNICS FSU (Syndicat national des infirmier(e)s conseiller(e)s scolaires FSU), StopFisha.

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