vih En Afrique, les examens de charge virale fragilisés par la COVID-19

17.07.20
Hélène Ferrarini
7 min

« La pandémie de COVID-19 a lourdement perturbé la riposte au sida et pourrait continuer sur sa lancée » prévient l’ONUSIDA à la publication d’un rapport dans lequel l’organisation internationale « fait état d’un échec accentué par la COVID-19 ».

Le troisième pilier de l’objectif 90-90-90, celui qui vise à rendre indétectable la charge virale chez 90 % des personnes vivant avec le VIH sous traitement antirétroviral ne fait pas figure d’exception et est fragilisé par la crise sanitaire actuelle. Le programme OPP-ERA qui a oeuvré ces dernières années à l’accès aux examens de charge virale pour les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) dans quatre pays d’Afrique pourrait ainsi voir certains de ses acquis remis en question. 

Faciliter l’accès des PVVIH aux mesures de charge virale permet de suivre l’efficacité du traitement antirétroviral et de mieux remédier aux échecs thérapeutiques. In fine, une charge virale indétectacle est un moyen d’éviter la transmission du virus. Indispensable aux personnes suivant un traitement, l’examen de charge virale est pourtant loin d’être facile d’accès. Au Burundi, où plus de 63 000 PVVIH étaient sous traitement en 2018, le projet OPP-ERA a introduit pour la première l’examen de charge virale. En Guinée, c’était également une première « dans le secteur public de la santé ». 

230 000 tests depuis 2013

Financé par UNITAIDS et porté par un consortium réunissant l’association Solthis, Expertise France, l’ANRS et Sidaction, le projet OPP-ERA a permis l’équipement de 11 laboratoires en machines réalisant les analyses de charge virale (plateformes ouvertes et polyvalentes) et la formation de près de 300 professionnels de santé, au Burundi, au Cameroun, en Côte d’Ivoire et en Guinée. 230 000 tests ont été effectués durant les six années qu’a duré la mise en oeuvre du projet, de 2013 à 2019, aboutissant à une charge virale indétectable pour 81 % des patients suivis. 

« Les mesures de confinement peuvent ralentir l’accès aux mesures de charge virale » prévient Laurent Malato, chargé du projet OPP-ERA chez Expertise France de 2018 à 2020. « Des études ont montré qu’à mesure que le domicile s’éloigne du laboratoire, le risque de perdre les patients s’accroît. Dans un contexte de COVID-19 et de confinement, on va avoir de la perte » annonce-t-il. Les mesures prises par les gouvernements pour freiner l’épidémie de coronavirus et la manière dont les populations y réagissent diffèrent d’un pays à l’autre et au sein d’un même pays d’une région à une autre. En Côte d’Ivoire, où les mesures en vigueur – fermeture des frontières, isolement du Grand-Abidjan – sont prolongées au moins jusqu’au 15 juillet, Philippe Njaboue de l’association Alternative basée à Abidjan affirme que « pendant cette période, les charges virales de nos patients ont été réalisées ».

En Guinée, le nombre d’examens de charge virale réalisés était sensiblement le même avant et durant les premiers temps de l’épidémie de coronavirus, d’après le Dr Djiba Kaba, spécialiste biologie/équipements de laboratoire au Programme National de Lutte contre le VIH/Sida et les hépatites (PNLSH). « A Conakry, il n’y a pas eu de confinement » souligne-t-il et « un plan de contigence pour faire en sorte que les services fonctionnent » a permis la poursuite des tests de charge virale. Le pays comptait au 6 juillet 5450 cas déclarés de COVID-19, dont 33 décès, d’après Africa CDC (2).

Des difficultés d’approvisionnement en réactifs

Ce qui est venu enrayer la marche des laboratoires guinéens, c’est le manque de réactifs pour effectuer les examens. « Sur l’approvisionnement, il y a un impact : du fait de la rareté des vols commerciaux, les commandes tardent à arriver au pays. Au début, on avait des réserves, on a du épuiser nos stocks et on a désormais des tensions sur certaines plateformes » décrit Dr Djiba Kaba. 

Le projet OPP-ERA s’est terminé fin 2019 avec un plan de transition visant à assurer sa pérennité par les instances nationales de lutte contre le VIH/SIDA. L’approvisionnement en intrants permettant d’effectuer les tests, livrés dans les différents laboratoires par le programme OPP-ERA, est désormais pris en main par les autorités sanitaires nationales et financé par des subventions di Fonds mondial. « La première livraison prévue a bien été faite mais pour la deuxième livraison, on n’a pas pu suivre le rythme initialement prévu » explique Dr Djiba Kaba du PNLSH de Guinée. 

« La crise sanitaire a impacté la mesure de la charge virale, puisque nous sommes en rupture de réactifs de biocentrique » alerte le Pr Cissé, chef du service de dermatologie au CHU Donka en Guinée où sont réalisés en temps normal environ 600 charges virales VIH par mois. « Il va de soit que la crise fragilise les acquis de OPP-ERA » affirme-t-il. 

Par ailleurs, la mobilisation de certaines unités de biologie moléculaire dans le dépistage de la COVID-19 pourrait-elle nuire aux examens de charge virale VIH ? Pour Laurent Malato, le fait que les plateformes du projet OPP-ERA puissent également servir à dépister le coronavirus est une bonne chose et le risque d’un conflit d’usage est minime. 

« La particularité des machines OPP-ERA est qu’il s’agit de machines ouvertes, dont le fonctionnement n’est pas bloqué sur un seul type de réactif, produit par un seul fabricant. C’est un gros atout notamment pour les pathogènes nouveaux et émergents comme la COVID-19, alors qu’un des points faibles du projet OPP-ERA tenait dans le fait que nous n’avions que moyennement réussi à montrer la polyvalence de ces machines » continue-t-il. 

Les machines mobilisées pour dépister la Covid-19

Ainsi au Cameroun, trois sites sur les quatre équipés par le projet OPP-ERA ont été retenus pour réaliser des dépistages COVID19. En Côte d’Ivoire, où les vols aériens ont repris après plus de trois mois d’arrêt, l’un des deux laboratoires équipés à Abidjan testent environ 200 échantillons par jour pour la COVID-19, décrit Laurent Malato. 

Dans d’autres pays du continent, en Afrique du Sud et au Ghana par exemple, la riposte contre la COVID-19 s’est dès à présent appuyée sur les infrastructures existantes liées au VIH. « Mettre fin à la pandémie de COVID-19 dès 2020 et à celle de VIH comme enjeux de santé public à l’horizon 2030 ne constituent pas deux combats, mais un seul et même combat : le combat pour mettre fin aux inégalités et œuvrer pour le plein respect des droits humains de toutes et de tous » déclarait récemment Jeanne Gapiya, présidente de l’Association Nationale de Soutien aux Séropositifs et malades du sida au Burundi, dans des propos relayés par l’ONUSIDA.(1)

Au Burundi justement, les effets du coronavirus sur la riposte contre le VIH/SIDA sont particulièrement difficiles à appréhender. Le président Pierre Nkurunziza, qui niait la présence du COVID-19 dans son pays, est décédé début juin, officiellement d’une crise cardiaque dans laquelle nombre d’observateurs pensent voir la marque du coronavirus. 

Alors que le nombre de cas de COVID-19 continue à augmenter en Afrique – au 6 juillet, Africa CDC recensait 491 750 cas dont 11 622 décès – on manque encore de recul pour cerner précisément tous les effets de la pandémie. (3)

Notes

(1) https://www.unaids.org/fr/resources/presscentre/pressreleaseandstatementarchive/2020/july/20200706_global-aids-report 

(2) https://africacdc.org/covid-19/

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