En France, les dépistages tardifs sont un frein pour lutter contre l’épidémie à VIH. Qui sont les personnes qui se dépistent à un stade avancé ? Pourquoi et avec quelles conséquences ? Quelques éléments de réponse.
En 2018, autour de 1 800 personnes ont été dépistées positives au VIH alors qu’elles étaient déjà à un stade avancé (en phase sida ou à moins de 200 CD4). Presque toujours, ils ont été détectés suite à la découverte de signes cliniques ou d’un bilan biologique évocateur d’une infection liée au VIH.
Si ce n’est pas le seul paramètre à prendre en compte, le laps de temps qui s’écoule entre la contamination et le diagnostic est une bonne indication pour comprendre l’étendue du problème posé par les dépistages tardifs. « Le délai médian global est de 3,6 ans mais varie entre les différentes catégories de population. Il est notamment plus long chez les hommes hétérosexuels, particulièrement ceux nés en France (4,7 ans) et chez les UDI (usagers de drogue injectable) dont la moitié se fait dépister 4,2 ans après leur contamination », indique Virginie Supervie, épidémiologiste et chercheuse à l’Inserm. Une période très longue durant laquelle ces personnes, non conscientes de leur état et non traitées [i], peuvent contaminer sans le savoir un nombre important d’individus.
Par ailleurs, lorsque l’on dépiste à un stade avancé, le risque de mortalité dans les six mois suivant la prise en charge médicale est multiplié par 14 [ii] et, si c’est le cas, la survenue de maladies opportunistes – comme la pneumocystose pulmonaire, la toxoplasmose cérébrale, la candidose œsophagienne, le sarcome de Kaposi – augmentent le risque de morbidité. Le patient peut également moins bien répondre aux trithérapies antirétrovirales.
En l’absence de traitement, leur espérance de vie après déclenchement du stade sida n’aurait été que de quelques mois à trois ans. Fort heureusement, ce pronostic est éluctable avec un traitement adapté, mais les conséquences pour l’individu et, plus largement, sur la dynamique de l’épidémie méritent que l’on trouve des solutions pour faciliter, encore, l’accès au dépistage.
13% des découvertes de séropositivité selon Santé Publique France.
Plus âgées que la moyenne (une majorité a plus de 50 ans) les personnes dépistées tardivement sont surtout des hommes. « Je vois beaucoup d’hétéroflexibles ou d’hétéro-curieux qui ne se reconnaissent pas comme homosexuels, précise Éric Billaud, infectiologue et CHU de Nantes et président du COREVIH des Pays de la Loire. Comme ils n’assument pas cette partie de leur sexualité, ils ne se sentent pas concernés et ne mesurent pas le risque qu’ils prennent. Quand bien même le mesureraient-ils d’ailleurs qu’ils évitent de se faire dépister car un résultat positif pourrait briser leur couple et les priver de la garde de leurs enfants ».
En regard, parce qu’il sont souvent plus sensibilisés aux risques concernant le VIH, la proportion de dépistage tardifs chez les les personnes homosexuelles (les homme ayant des relations sexuelles avec les hommes, HSH) est moins importante : 21 % des HSH sont diagnostiqués à un stade avancé [iii]. Un chiffre qui reste malgré tout très important.
Renaud Mabire, doctorant en psychologie sociale de la santé à l’université Lyon II, explique ce retard au dépistage parce qu’une partie des HSH, bien qu’ils soient ciblés par des campagnes de communication, « ne se sentent pas concernés car ils ne correspondent pas au stéréotype qu’ils se font du preneur de risque, à savoir un gay très inséré dans le milieu de la fête et qui a des rapports sexuels avec de multiples partenaires. D’autres sont dans une telle précarité économique que la santé, et a fortiori le VIH ne fait pas du tout partie de leurs préoccupations. J’ai également vu des personnes qui s’en remettaient complètement à leur médecin et s’étonnaient que celui-ci ne leur ait pas proposé un dépistage. »
Une étude de 2013 [iv] montrait à cet égard une part très importante d’occasions manquées par les patients comme par les professionnels de santé, qui sont souvent réticents à proposer un dépistage du VIH en l’absence de symptôme et de facteur de risque apparent.
51% des découvertes issues d’un premier dépistage
Alors quelles solutions ? « Il faut banaliser le dépistage du VIH et renforcer en parallèle la diversification des moyens de détection du virus », estime Françoise Cazein, chargée de projets scientifiques au sein de Santé publique France. Le test sérologique réalisé en laboratoire est de très loin le plus utilisé en France. Il détecte l’immense majorité des cas positifs mais il ne faut pas négliger l’option des CeGGID et les TROD (tests rapides d’orientation diagnostique) effectués dans un cadre communautaire. « Ils ont l’avantage d’atteindre des populations plus éloignées du soin et de détecter proportionnellement plus de cas positifs, sans oublier les autotests qui restent encore peu utilisés », poursuit Françoise Cazein, avant d’insister sur l’intérêt de faciliter et d’étendre au pays tout entier des dispositifs comme « VIH test » et « MémoDépistage » qui ont été expérimentés dans certaines régions.
« Une autre piste intéressante est de créer de nouvelles occasions de dépistage pour les personnes les plus éloignées du soin comme les hommes hétérosexuels », note Virginie Supervie. On expérimente ainsi à Montreuil une proposition de dépistage conjoint aux deux parents au moment de la grossesse.
Rappelons enfin que les recommandations du CNS (Conseil national du sida) et de l’ANRS (Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites) sont de proposer au moins un dépistage au cours de la vie à toute personne entre 15 et 70 ans, un chaque année aux UDI [v], aux personnes originaires de pays à forte prévalence et aux HSH. Cette fréquence passe à un tous les trois mois pour les HSH les plus sexuellement actifs.
Ces recommandations sont importantes à suivre car, comme nous l’explique Franck Barbier, responsable parcours et programmes nationaux à Aides, « tout dépistage est potentiellement tardif. Dans le cas de populations très exposées, même au bout de quelques semaines ou de quelques mois le risque de contamination d’autres personnes est élevé. »
[i] Estimée autour de 24 000 personnes, cette dernière est basée pour l’essentiel en Île-de-France (42 %) et elle est constituée pour les deux tiers d’hommes et pour un tiers de femmes. Source : Inserm.
[ii] Castilla, J., et al. Late Diagnosis of HIV Infection in the Era of Highly Active Antiretroviral Therapy: Consequences on AIDS Incidence. AIDS. 2002; 16: 1945-51
[iii] Cazein F, Sommen C, Pillonel J, Bruyan M, Ramus C, Pichon P, et al. Activité de dépistage du VIH et circonstances de découverte de l’infection à VIH, France 2018. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(31-32):615-24
[iv] Champenois K., Cousien A., Cuzin L., Le Vu S., Deuffic-Burban S., et al. Missed opportunities for HIV testing in newly-HIV-diagnosed patients, a cross sectional study.. BMC Infectious Diseases, BioMed Central, 2013;13 (1) :200.
[v] On en est loin : 70% des UDI dépistés positifs déclaraient n’avoir jamais été dépistés auparavant. Source : Santé publique France.