CISIH en 1987, COREVIH en 2007, CORESS en 2025. Elargis à la santé sexuelle, les comités régionaux de lutte contre le VIH vont adopter une approche plus transversale… quitte, au passage, à résoudre certaines difficultés qui entravent leur fonctionnement.
Dix-huit ans après leur création, les comités de coordination régionale de la lutte contre le VIH (COREVIH, étendus aux IST en 2017) s’apprêtent à élargir leurs missions, se transformant pour cela en comités de coordination de la santé sexuelle (CORESS). Au-delà de la prévention et de la prise en charge du VIH et des IST, ils s’attelleront désormais « aux violences sexuelles, aux troubles de la sexualité, à l’accès à la contraception, ainsi qu’aux parcours de santé correspondants », prévoit un décret publié le 5 juillet au Journal officiel.
Cette réforme des COREVIH n’est pas complètement inattendue : la feuille de route 2021-24 de la Stratégie nationale de santé sexuelle affichait déjà la volonté d’étendre leurs missions au-delà du VIH et des IST. Selon le Dr Pascal Pugliese, praticien hospitalier au CHU de Nice et président du COREVIH Paca-Est, « l’élargissement à la santé sexuelle, nous le pratiquons depuis des années : en tant qu’acteurs de la lutte contre le VIH, nous sommes convaincus que la fin des transmissions passera par une approche globale en santé sexuelle ».
« Toutefois, il demeure la crainte d’une invisibilisation de l’épidémie de VIH, qui est loin d’être terminée. Et que, au niveau régional, soient priorisées des missions qui ne tiennent pas compte des objectifs de lutte contre le VIH », ajoute-t-il. Cette crainte d’une dérive régionale vers d’autres aspects de la santé sexuelle, au détriment du VIH, semble toutefois s’éloigner. Alors que sa première version avait été jugée peu satisfaisante par les représentants des COREVIH, le décret final indique que les CORESS agiront sous l’autorité de leur agence régionale de santé (ARS), mais « en cohérence avec les objectifs fixés par les politiques nationales », notamment « en matière de réduction de l’incidence des IST et d’élimination de la transmission du VIH ».
Selon Catherine Aumond, secrétaire générale de AIDES et vice-présidente du COREVIH Centre-Val de Loire, les CORESS agiront dans « un cadre d’action qui est large, mais dans lequel le VIH restera central ». Plutôt que de diluer le VIH dans la santé sexuelle, les CORESS sont l’occasion d’une approche plus « transversale » des actions de lutte contre le VIH. « Par exemple, les centres de santé sexuelle pourraient s’ouvrir à la PrEP pour les migrantes. Inversement, un CeGIDD [ Centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic, ndlr] pourra aborder la contraception avec une femme qui vient chercher un TPE », explique Catherine Aumond.
Un cahier des charges en cours d’élaboration
Selon le décret ministériel, les CORESS verront le jour au plus tard le 15 mars 2025. Au cours des prochains mois, la direction générale de la santé (DGS) élaborera un cahier des charges, en concertation avec la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), la Fédération hospitalière de France (FHF), Groupe d’interface national des COREVIH et les ARS, afin de mieux définir les missions, mais aussi la composition, l’instance de rattachement et les modalités de financement. Autant de sujets qui feront l’objet d’un arrêté ministériel.
Parmi les sujets en cours de réflexion, celui du siège des CORESS. Jusqu’alors, chaque COREVIH opérait au sein (et sous la tutelle) d’un CHU, ce qui avait « des avantages mais aussi des inconvénients », rappelle Pascal Pugliese. Notamment le fait que le CHU-siège prélève fréquemment une part des crédits du COREVIH – jusqu’à 30%, avançait l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) dans un rapport de 2023 -, en guise de ‘frais de gestion’.
Par ailleurs, le rattachement hospitalier entrave les COREVIH lors des recrutements, rappelle Catherine Aumond : « quand il s’agit de techniciens d’études cliniques [TEC], cela facilite les choses, du fait qu’ils ont des contrats hospitaliers. Mais c’est beaucoup plus compliqué lorsqu’il faut embaucher un coordinateur administratif, des chargés de mission ou de projet. Ce sont des postes qui existent dans le secteur associatif, mais pas à l’hôpital ». D’où une forte inertie administrative lorsqu’il s’agit de pourvoir ces postes, au risque « d’énormes tensions avec les ressources humaines hospitalières ».
Parmi les pistes à l’étude, la possibilité, laissée aux ARS, de faire siéger le CORESS ailleurs que dans un CHU, par exemple dans une association. Selon Pascal Pugliese, « il n’y a pas de recette miracle. S’il s’agit d’une association, il faudra contractualiser pour les systèmes de surveillance épidémiologique, pour l’analyse des données anonymisées. Ce sont des choses qui paraissent naturelles en milieu hospitalier, mais qui ne le seront pas forcément en milieu associatif. Tout cela reste à construire ».
L’importance de la surveillance épidémiologique
Mission majeure des COREVIH, la surveillance épidémiologique du VIH est elle-même en cours de réflexion, dans le cadre plus large d’une refonte du dispositif de veille, dont les difficultés ont été pointées en novembre 2023 par le Conseil national du sida (CNS). Malgré les réserves de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), qui dans son rapport de 2023 appelait l’Etat à confier cette mission aux cellules interrégionales d’épidémiologie (Cire) de Santé publique France, la surveillance du VIH devrait rester aux mains des CORESS.
Selon Pascal Pugliese, « il est très important de continuer à mener la surveillance épidémiologique, bien évidemment en l’améliorant, afin de disposer d’un diagnostic le plus précis possible et de guider les politiques de santé publique. Au-delà des reproches qu’on peut leur faire, la surveillance ne serait pas du tout efficace sans les COREVIH et les TEC. Nous ferons en sorte d’être force de proposition pour améliorer cette surveillance, pour homogénéiser le recueil des déclarations obligatoires (DO) ».
Egalement en cours de réflexion, les moyens financiers accordés aux CORESS. Dans son rapport de 2023, l’Igas s’était montrée sceptique quant à la possibilité d’une extension trop large (jusqu’à la santé reproductive), en raison des difficultés rencontrées depuis que les missions des COREVIH avaient été étendues aux IST. « Avec les moyens actuels, il est impensable que nous puissions faire aussi bien avec des missions élargies », prévient Pascal Pugliese. A ce jour, le montant versé aux COREVIH est fonction de la taille du territoire et de la file active des personnes vivant avec le VIH sur le territoire couvert. Du fait de l’extension à la santé sexuelle, d’autres critères, qu’il reste à définir, pourraient entrer en jeu.
« Un ou plusieurs » CORESS par région
Dans son décret, le ministère prévoit par ailleurs que chaque région disposera d’« un ou plusieurs » CORESS. En toute logique, la Corse, jusqu’alors rattachée au COREVIH Paca-Ouest, devrait ainsi disposer de son propre CORESS. De même que Mayotte, devenue une région française en 2011. A l’inverse, d’autres régions devraient perdre quelques comités. Parmi elles, l’Île-de-France pourrait passer de cinq COREVIH à trois CORESS. Idem en Provence-Alpes-Côte-d’Azur (PACA), où des discussions sont en cours en vue d’une éventuelle fusion des deux COREVIH en un CORESS unique.
Pour Pascal Pugliese, « l’important est que le dispositif demeure efficace. Si la décision est prise de ne garder qu’un seul CORESS en PACA, nous demanderons qu’une animation territoriale demeure au niveau d’un ou deux départements. On nous dit souvent que le COREVIH Paca-Est est un peu particulier, parce qu’il couvre un département et demi [les Alpes-Maritimes et une partie du Var, ndlr]. Mais si nos résultats sont bons, c’est peut-être parce que c’est la bonne taille, en termes d’animation et de coordination ».
Autre motif d’incertitude, l’arrivée de nouveaux acteurs issus de la santé sexuelle, qu’il reste à identifier, puis à mobiliser pour qu’ils participent aux CORESS. A l’inverse, certains acteurs des COREVIH pourraient bien passer la main. Ces départs pourraient s’expliquer par « le fait que certains médecins, engagés de longue date sur le VIH, vont partir à la retraite, mais aussi par l’élargissement à la santé sexuelle. Certains collègues se sont mis en retrait car ils considèrent que cela les concerne moins », observe Pascal Pugliese. La participation à ces comités réside dans « un mélange de compétence, mais aussi d’engagement, y compris militant. La part de l’humain est très importante dans la démocratie en santé, j’espère qu’elle le restera dans les CORESS ».
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Le CNS également élargi à la santé sexuelle
A l’image des COREVIH, le Conseil national du sida et des hépatites virales (CNS) va aussi voir ses missions étendues à la santé sexuelle -là aussi en cohérence avec la Stratégie nationale de santé sexuelle. Illustration récente de cette évolution, la nomination à la présidence du CNS, fin février, de la sociologue Nathalie Bajos, spécialiste des sexualités et des inégalités de santé.
Pour Pascal Pugliese, par ailleurs membre du CNS, « il est intéressant d’élargir cette vision aux sciences humaines, en faisant appel à d’autres compétences pour atteindre l’objectif de fin des transmissions en 2030. Mais surtout de voir au-delà de 2030 : de plus en plus de personnes vivent avec le VIH, et celles qui se contaminent aujourd’hui vont vivre 40 ou 50 ans avec le VIH. La lutte ne va pas s’arrêter en 2030, que ce soit en termes de maintien dans le soin, d’indétectabilité, de lutte contre les discriminations. En cela, l’élargissement du CNS à la santé sexuelle me semble très positif ».