En Russie, entre 1 et 1,5 millions de personnes vivent avec le VIH, soit une prévalence d’environ 1 %. C’est l’un des pays au monde où l’épidémie progresse le plus vite. Pourtant, depuis le début de 2023, déjà 343 mentions de rupture d’ARV ont été reçues.
C’est un nombre qui augmente de manière inquiétante. Celui des messages alertant d’une rupture de stock d’anti-rétroviraux reçus par le mouvement communautaire de surveillance de l’accès aux soins pour les personnes vivant avec le VIH en Russie, baptisé « Contrôle des patients ». Ces messages arrivent via le site pereboi.ru – « rupture de stock » en russe – ou via la messagerie cryptée Telegram.
Depuis le début de 2023, déjà 343 mentions de rupture d’ARV ont été reçues, détaille Aleksei Lakhov, consultant international en prévention du VIH et en réduction des risques. C’est presque deux fois plus qu’en 2021, où 182 messages de ce type avaient été recensés par le « Contrôle des patients ». « À première vue, par rapport au nombre total de personnes vivant avec le VIH dans le pays (environ 1,1 million), ce n’est pas grand-chose », commente Aleksei Lakhov. « Cependant, il faut prendre en compte le fait que tous les patients ne sont pas informés de la possibilité d’envoyer des appels ou sont tout simplement effrayés à l’idée de se confronter aux autorités de santé. »
C’est donc la partie émergée de l’iceberg qui apparaît. Et plus que le chiffre en lui-même, c’est la courbe ascendante que suit cette donnée qui laisse à penser que les pénuries s’aggravent, comme l’ont d’ailleurs relayé des médias ces derniers mois [i]. Il existe peu de données épidémiologiques sur le VIH en Russie à l’échelle nationale, en raison du manque de transparence des autorités et d’une collecte des chiffres réalisées par différentes entités sans forcément donner lieu à une mise en commun.
Un tiers des PVVIH sans suivi médical
En Russie, entre 1 et 1,5 millions de personnes vivent avec le VIH, soit une prévalence d’environ 1 %. C’est l’un des pays au monde où l’épidémie progresse le plus vite, entre autres nourrie par l’usage de drogues injectables. Bien que les chiffres diffèrent d’une source à l’autre, ce serait au moins un tiers des personnes vivant avec le VIH qui n’y aurait pas de suivi médical.
Le manque d’ARV n’est pas nouveau en Russie. Déjà en 2010, la branche russe de la coalition internationale de préparation au traitement (ITPC) avait lancé un projet de surveillance des ruptures de stock dans vingt villes du pays [ii]. Depuis, il est régulièrement fait état de difficultés d’approvisonnement en traitements. En Russie, les ARV sont censés être fournis gratuitement par l’Etat, mais un marché parallèle existe depuis des années pour tenter de pallier les manques.
Aleksei Lakhov voit une double cause à la hausse récente des ruptures de stock : « L’augmentation annuelle du nombre de patients et le manque d’argent ». Il parle de « 100 000 nouvelles personnes vivants avec le VIH recensés dans le pays chaque année » au cours des dernières années. Pour l’expert, « le système de santé n’a pas pu faire face à l’afflux de nouveaux patients ».
« Plus de 42 milliards de roubles [430 millions d’euros, ndlr] ont été dépensés pour l’achat de médicaments ARV en 2022 : le ministère de la Santé a dépensé une partie de l’achat aux dépens du budget 2023. En outre, la quasi-totalité du budget alloué aux médicaments en 2023 a déjà été dépensée, mais seuls 36 % de tous les patients ayant besoin d’un traitement ARV en ont bénéficié » décrit Aleksei Lakhov. « Selon les experts de la Coalition [ITPC, ndlr], il faudrait au moins 20 milliards de roubles [205 millions d’euros, ndlr] supplémentaires pour fournir des médicaments à tous les patients. »
Pourtant, la baisse du rouble et la priorité donnée aux budgets militaires avec l’invasion de l’Ukraine ne laissent pas présager une amélioration des crédits alloués à la santé. Ainsi, « le ministère de la Santé estime que certains ARV pourraient être achetés par les régions de la Fédération de Russie à leurs propres frais », explique Aleksei Lakhov. Moscou, la région de Moscou et Saint-Pétersbourg sont « comme d’habitude, les plus généreuses », constate ce spécialiste russe des questions liées au VIH. A titre d’exemple : « Moscou a alloué à elle seule 1,5 milliard de roubles [15 millions d’euros, ndlr] à ces besoins, soit près de 10 fois plus que les coûts d’achat de médicaments dans 43 autres régions réunies ». Creusant ainsi des inégalités territoriales déjà fortes [iii].
[i] https://www.radiofrance.fr/franceinter/les-associations-de-seropositifs-russes-denoncent-une-penurie-de-traitements-contre-le-vih-4577605
[ii] Tom Parfitt, Russia’s drug-supply system leaves HIV patients wanting, The Lancet, 2011 : https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(11)60114-1/fulltext
[iii] https://journals.lww.com/aidsonline/fulltext/2023/03150/hiv_in_the_russian_ federation__mortality,.10.aspx