vih Entretien avec Anders Boyd, épidémiologiste, à l’occasion de la Journée Scientifique Sidaction du 9 février 2018.

05.03.18
Vincent Douris
11 min

Anders Boyd : C’est vraiment la co-infection VIH-VHB qui est au centre de mes recherches et des différents projets que j’ai menés avec Karine Lacombe, principalement au sein de la cohorte VIH-VHB en France, mais aussi en Côte d’Ivoire dans le cadre de l’étude VarBVA. Nos travaux ont porté sur les problèmes cliniques qui peuvent survenir en situation de co-infection, sur les problèmes spécifiques liés aux virus et sur l’efficacité des traitements anti VHB. On peut obtenir une guérison fonctionnelle de l’hépatite B et nous cherchons à voir si ce type de guérison peut être obtenu chez les personnes co-infectées.

Vincent Douris : Les traitements permettent en effet de supprimer la charge virale du VIH comme du VHB. Mais vous présentiez en 2015 les difficultés à faire disparaître l’antigène HBs dans les situations de co-infection ? Qu’en-est-il ?

AB : Chez les patients infectés par le VHB, on a pour objectif la séroconversion de l’antigène HBs, c’est-à-dire la disparition de cet antigène, qui favorise la décroissance de l’activité virale dans le foie et un meilleur état de cet organe. Grâce au traitement anti-VHB, on peut supprimer la charge virale, mais la disparition de cet antigène HBs est quelque chose d’assez difficile chez les patients co-infectés par le VIH. Dans un groupe de 300 personnes de la cohorte VIH-VHB de France, seules 17 étaient dans cette situation de perte de l’antigène HBs, c’est peu. On a cherché à savoir quelles étaient les raisons de ce faible taux de séroclairance, à identifier les patients qui perdaient cet antigène, mais peu de déterminants sont ressortis et cela reste un vrai problème chez les personnes co-infectées.

VD : Ce qu’il faut rappeler c’est que traitement anti-VIH et anti-VHB est le même chez ces personnes.

AB : Oui, c’est un traitement classique emtricitabine/ténofovir.

VD : La conservation de cet antigène HBs est-elle délétère chez les personnes co-infectées ?

AB : Des études ont montré qu’il y a peu de risque de fibrose du foie chez les patients mono-infectés dont la réplication virale est supprimée grâce au traitement. On pense donc que la situation est identique chez les patients co-infectés lors de la suppression virale optimale. Mais ce que l’on souhaite vraiment est la perte de cet antigène anti HBs, parce que l’activité virale dans le foie, même très basse, reste un peu plus élevée chez les personnes qui le conservent. Par ailleurs, dans les situations de co-infection, on n’a pas d’alternative thérapeutique, on ne peut pas modifier le traitement : il faut conserver le ténofovir.

VD : Un autre de vos travaux, présenté à la Journée Scientifique 2016, démontrait que le niveau de fibrose reste stable chez les patients indépendamment du succès virologique. N’y-a-t-il pas de lien direct entre le succès virologique et l’évolution de la fibrose ?

AB : C’est en effet un problème. Il faut souligner que l’on a utilisé, dans cette étude sur l’évolution du stade de fibrose, des marqueurs non invasifs : c’est un score biochimique qui nous permettait de prédire le niveau de fibrose, un bon indicateur sur l’inflammation qui est très corrélée avec la fibrose. Ce qu’on a vu, c’est que le niveau de fibrose était assez stable au cours du suivi et du traitement par ténofovir, et c’est problématique. On constate une suppression optimale du virus, mais en même temps, on ne voit pas de diminution du niveau de fibrose. On a cherché à savoir pourquoi et le seul facteur associé était l’immunodépression, c’est-à-dire la situation des patients chez qui le taux de CD4/mm3 de sang reste inférieur à 350. C’est donc vraiment un problème lié à l’immunodépression. 

VD : Au niveau clinique, ces difficultés à faire régresser la fibrose malgré la puissance du traitement sont-elles inquiétantes ?

AB : Ce qui est inquiétant c’est le fait qu’en population mono-infectée, des études menées sur biopsies du foie – c’est vraiment le standard, la mesure nécessaire pour déterminer le niveau de la fibrose – on voit une régression importante du niveau de fibrose. Si on ne voit pas la même chose chez les personnes co-infectées, qu’est-ce que cela veut dire ? Le risque d’événements cliniques, carcinome hépatocellulaire ou autres maladies liées au foie, est-il plus élevé ? Aujourd’hui, on a très peu de données épidémiologiques pour répondre à ces questions. On ne sait pas encore ce qu’il en est, et c’est un vrai problème.

VD : L’immunodépression identifiée comme facteur de stabilité de la fibrose est-elle liée au VIH exclusivement ou à la co-infection ?

AB : Des études ont montré que les deux virus interagissent sur la capacité à restaurer une bonne immunité. On a identifié cela dans la cohorte Suisse, par exemple. Aussi, on a recommandé assez tôt de traiter les personnes co-infectées sans attendre, avant dégradation du système immunitaire, parce qu’on savait que la diminution du taux de CD4 était très délétère chez ces patients.

Aujourd’hui, notre optique de recherche est de savoir ce qui se passe chez les patients récents. Toutes les cohortes comprennent des patients qui ont eu plusieurs lignes de traitement et qui ont démarré le ténofovir assez tardivement. Mais les populations ne sont plus les mêmes aujourd’hui. On voit plus facilement des personnes dépistées peu de temps après infection et qui ont un taux de CD4 supérieur à 500 copies/mm3 de sang. Que se passe-t-il chez ces patients-là ? On manque encore de données et de recul pour le savoir.

VD : Vous avez présenté en 2017 un travail mené en Afrique sur les interruptions thérapeutiques, qui semble assez ancien.

AB : Oui, les données ont été collectées entre 2002 et 2006.

VD : A l’époque du traitement universel, les interruptions thérapeutiques ne sont plus vraiment d’actualité…

AB : Elles ne sont plus du tout d’actualité ! En fait, il s’agit d’une sous analyse de l’étude Trivacan, une étude d’interruption thérapeutique. A l’époque, c’était une bonne question de recherche. Mais on sait désormais que ces interruptions sont délétères.

VD : En revanche, est-ce qu’il y a déjà des pistes de travail sur l’allègement chez les personnes co-infectées ?

AB : Il y a eu un moment où l’on se posait la question de savoir si l’on pouvait switcher du ténofovir vers la lamivudine, qui est une molécule moins puissante, notamment quand la charge virale du VHB devient très basse, mais c’était à l’époque où le ténofovir coûtait cher. Maintenant que l’on dispose de sa version générique, c’est assez facile de le conserver dans une combinaison thérapeutique. Pour répondre à la question, non, la question de la bithérapie anti VIH-VHB ne s’est pas encore posée.

VD : Comme on voit des services hospitaliers pratiquer des bithérapies de maintenance chez un certain nombre de patients séropositifs au VIH bien contrôlés, on se dit qu’il y aura peut-être des travaux dans ce sens chez les personnes co-infectées bien contrôlées également.

AB : Peut-être ! Cela donne des idées pour de prochains travaux !

VD : Enfin, votre présentation de 2018 porte sur les personnes co-infectées par un génotype G du VHB.

AB : Oui, ce n’est pas un génotype que l’on voit souvent aujourd’hui. On le voyait typiquement chez les hommes homosexuels. Et dans ce groupe, la vaccination anti VHB a eu un tel succès qu’on n’y voit que très rarement de nouvelles infections. On a cru longtemps que la fibrose était liée au génotype G. Dans cette étude ancillaire sur le ténofovir, le fait que le niveau de fibrose était assez stable au cours du traitement nous faisait penser que d’autres facteurs que l’immunodépression étaient en jeu, des facteurs virologiques. Or on constate une augmentation un peu plus élevée, mais assez peu finalement.

VD : Comme il n’y a pas de changement de traitement possible, propose-t-on une surveillance accrue du risque de fibrose ?

AB : Non, il n’y a pas vraiment de recommandation dans ce sens. Mais des traitements anti-fibrotiques sont en cours de développement et c’est une population qui pourrait sans doute en bénéficier. C’est une question de recherche en plus.

VD : Enfin, pouvez-vous nous présenter votre parcours de recherche et l’intérêt que vous portez aux journées Scientifiques Sidaction ?

AB : J’ai commencé ma carrière sur le VIH en 2006, à une période où les traitements anti VIH étaient beaucoup plus efficaces que par le passé. Je voulais travailler sur le VIH, mais sans savoir exactement sur quel sujet. Les personnes à qui j’en ai parlé m’ont conseillé de travailler dans le champ des co-infections. Les hépatites m’intéressaient vraiment, mais aux Etats Unis, il n’y avait pas beaucoup de personnes qui travaillent sur ce sujet ; une seule équipe était réellement impliquée, mais qui ne recrutait que des médecins. J’ai pris contact avec un groupe français, et j’ai déménagé en France pour rejoindre une équipe vraiment intéressante qui travaillait sur la coïnfection VIH-hépatites !

VD : Vous n’étiez donc pas médecin ?

AB : Non, j’étais biostatisticien et je travaillais sur des questions de recherche médicale. L’équipe en question était celle de Moïse Desvarieux, qui était assez proche de Pierre Marie Girard, et c’est lui qui s’est trouvé impliqué dans le fait de me faire venir en France. Karine Lacombe était doctorante dans cette équipe. Elle menait déjà une cohorte de patients VIH-VHB et je lui ai dit que je voulais bien travailler avec elle sur cette cohorte dans le cadre de ma thèse. Depuis, je suis resté sur ce sujet !

Les journées Scientifiques Sidaction permettent de voir la diversité des soutiens que Sidaction apporte à la recherche, la diversité des travaux financés. C’est vraiment bien de voir tous ces aspects de la recherche, qu’elle soit fondamentale ou en sciences sociales. Sur certains sujets, il pourrait être intéressant de proposer des panoramas plus complets.

VD : Oui, sur celui sur lequel vous travaillez, on ne voit en effet pas beaucoup de présentations.

AB : C’est un peu triste de constater cela. Dans le champ de la mono-infection VHB, on voit des travaux très dynamiques sur des nouveaux marqueurs ou des nouveaux traitements. Mais ça stagne un peu dans le champ de la co-infection. Or elle touche beaucoup de monde, en Afrique, en Europe de l’Est. C’est un peu triste de voir ces populations mises de côté. En fait, tout le monde pense qu’avec le ténofovir, la situation est réglée. Mais ce n’est pas vraiment le cas

VD : Est-ce vraiment l’effet médicament, c’est-à-dire que l’on manque d’ambition dès lors que l’on parvient à supprimer la charge virale ?

AB : Oui, j’entends cela souvent dans les congrès. Quand on me demande ce que je fais et que je réponds que je travaille sur la co-infection VIH-VHB, on me dit « Ah c’est réglé ça, tu donnes du ténofovir et c’est bon ! » Mais beaucoup de questions se posent. D’autres traitements ne pourraient-ils pas éliminer ce virus ? D’autres marqueurs pourraient-ils être prédictifs de problèmes qui peuvent survenir ? Bien des questions de recherche persistent, qui sont très importantes pour les populations touchées.

Entretien à l’occasion de la Journée Scientifique Sidaction du 9 février 2018.

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