vih Entretien avec Renaud Becquet et Carole Chedid, à l’occasion de la Journée Scientifique Sidaction 2018.

09.03.18
Vincent Douris
11 min

Vincent Douris : Pouvez-vous présenter de manière générale la cohorte WETIV-R et ses objectifs ?

Renaud Becquet : Le projet de recherche WETIV-R (West-Africa, Early Treatment & Integration of HIV and Reproductive health) est une cohorte prospective interventionnelle conduite à Abidjan en Côte d’Ivoire, financée par Sidaction entre 2016 et 2018, que je coordonne scientifiquement en collaboration avec Albert Minga, du Programme PAC-CI, Abidjan. 

L’objectif principal de cette étude est de documenter les principaux indicateurs de la santé de la reproduction chez des femmes ouest-africaines infectées par le VIH, en âge de procréer et nouvellement mises sous traitement antirétroviral, dans un contexte d’intégration des soins de santé sexuelle et reproductive à la prise en charge du VIH.

Le rationnel de cette étude repose sur l’hypothèse qu’intégrer les services de santé sexuelle et reproductive aux soins VIH favorisera la prévention des grossesses non désirées et non planifiées et la maîtrise des choix reproductifs chez les femmes ouest-africaines vivant avec le VIH. Cette intégration est particulièrement nécessaire en Afrique de l’Ouest qui présente le paradoxe d’une fertilité très élevée et de besoins en planification familiale non couverts pour la majorité des femmes, et ce tout particulièrement au sein de la population des femmes infectées par le VIH.

VD : Quelles sont les différentes composantes des interventions que vous proposez ?

RB : Ce projet de recherche intervient au sein de deux services non-hospitaliers de prise en charge de l’infection par le VIH à Abidjan (le CNTS dans le quartier de Treichville et le CEPREF dans le quartier de Yopougon). Aucun des deux sites de prise en charge du VIH ne proposait jusqu’à présent à ses patientes des services et soins de santé sexuelle et reproductive intégrés à leur prise en charge VIH de routine, mais les équipes concernées ont exprimé leur vif intérêt pour ces questions. Nous proposons donc d’inclure de façon standardisée sur chacun de ces sites un paquet de services de santé sexuelle et reproductive adaptés aux besoins des femmes, totalement intégrés à la prise en charge VIH et exclusivement dispensés par des sages-femmes formées à cet effet.

Ce nouveau paquet de services de santé sexuelle et reproductive inclut :

  • Evaluation de la fertilité et des désirs/intentions futurs de grossesse ;
  • Conseil et offre de la totalité des méthodes de planification familiale adaptées aux femmes infectées par le VIH ;
  • Conseil et offre de tests de grossesse à la demande ;
  • Conseil en matière de gestion de l’hygiène menstruelle et offre d’une méthode moderne de gestion des menstrues (la coupelle menstruelle ou Mooncup®) ;
  • Conseil, offre de dépistage et prise en charge du cancer du col de l’utérus ;
  • Conseil, offre de dépistage et prise en charge des Infections Sexuellement Transmissibles (IST) ;
  • Promotion du conseil et dépistage de couple sur le VIH et les autres IST ;
  • Prévention, repérage et prise en charge des symptômes et signes de violence physique et sexuelle au sein et en dehors du couple.

VD : Quelles sont les premières données que vous pouvez présenter concernant les différents points d’étude ?

RB : Ce projet a inclus 550 femmes infectées par le VIH en âge reproductif et sous traitement antirétroviral entre mai et décembre 2016 et ces patientes seront suivies dans le cadre du financement attribué par Sidaction jusque mai 2018. Puis le suivi de cette cohorte continuera jusqu’en juillet 2021 dans le cadre d’un financement additionnel obtenu dans le cadre du réseau DEA (International epidemiological Databases to Evaluate AIDS) financé par les National Institutes of Health (NIH, USA). Le suivi de cette cohorte se déroule très bien jusqu’à présent, une relation de confiance a été instaurée entre les quatre sages-femmes en charge du suivi et leurs patientes et nous avons très peu de patientes perdues de vue. Les femmes incluses dans cette cohorte sont très satisfaites des nouveaux services offerts qui vont au-delà de la simple fourniture d’antirétroviraux. Nous sommes en train de commencer à analyser les données relatives aux indicateurs épidémiologiques de santé de la reproduction. Nous venons d’analyser la prévalence des IST dans cette cohorte de femmes, ces résultats ont été présentés lors de la dernière journée scientifique de Sidaction et seront présentés plus en détail lors d’une communication orale à la prochaine conférence AFRAVIH qui se tiendra à Bordeaux en avril 2018 (oral en late breaker, Chedid et al. AFARVIH2018-LB-1994).

VD : Quelles sont les caractéristiques particulières de cette étude sur les IST ?

Carole Chedid : L’originalité principale de cette étude repose sur le fait que la collecte de données sur le terrain (informations démographiques, recueil de questionnaires ciblant des comportements particuliers, dépistage d’IST) est entièrement coordonnée et réalisée par des sages-femmes travaillant dans les centres de santé partenaires de notre étude, formées spécifiquement pour cette étude. 

D’autre part, les informations médicales que nous avons collectées proviennent de sources différentes : la source principale provient des tests cliniques de dépistage des IST réalisés en laboratoire, mais elle est complétée par des questionnaires interrogeant les participantes sur ce qu’elles ressentent (gêne ou douleur intime, par exemple) et des examens médicaux visuels visant à détecter d’éventuels symptômes caractéristiques d’IST. Recouper les résultats de ces différentes sources nous permet d’avoir plus de recul sur les données collectées et d’avoir une approche vraiment complète de ce dépistage systématique.

Enfin, un travail de dépistage de ce type concernant sept IST différentes est inédit dans le contexte de l’étude de cette population de femmes en Afrique de l’Ouest. La grande majorité des autres études récentes dans la littérature concerne des populations de travailleuses du sexe ou de femmes d’Afrique de l’Est ou du Sud. 

VD : Et quels en sont les résultats ?

CC : Lors de cette étude, 431 femmes ont été dépistées cliniquement. Nous avons observé des proportions élevées de cas de chlamydia (7,5%) et de syphilis (2,3%). Ce résultat est alarmant car ces maladies, si elles ne sont pas traitées, peuvent provoquer des séquelles neurologiques graves ou des inflammations pelviennes chroniques douloureuses. Elles sont un facteur de risque important d’infertilité et augmentent le risque de transmission du VIH aux partenaires sexuels masculins. La proportion de mycoses génitales était également élevée (25%). Cette maladie, si elle peut nuire grandement au bien-être, est cependant moins dangereuse que les autres infections étudiées, et elle peut également être contractée par voie non sexuelle, mais elle constitue néanmoins un problème de santé publique à part entière.

La recherche de facteurs associés que nous avons menée en parallèle met en lumière le fait que les participantes dont le mari est également infecté par le VIH ont tendance à moins utiliser de préservatifs que celles qui ne connaissent pas le statut VIH de leur mari ou dont le mari n’est pas infecté. Nous avons ainsi mis en évidence une vulnérabilité particulière aux IST des couples séro-concordants. 

Ceci est d’autant plus important que les hommes sont une population clef à considérer en termes de santé publique dans l’interprétation de cette étude. La communication au sein du couple à propos du VIH et des IST semble difficile : nombre de participantes n’avaient pas révélé à leur mari qu’elles étaient infectées par le VIH (40%). Les femmes qui avaient été dépistées positives pour la syphilis avaient été invitées à revenir avec leur partenaire pour qu’il soit également traité gratuitement dans le cadre du suivi de la cohorte : aucun mari n’est revenu. Celles qui ont été diagnostiquées porteuses de chlamydia ont reçu une ordonnance de soins destinée à leur mari, mais nous n’avons eu aucun retour à propos de leur traitement. Or, il nous semble essentiel de parvenir à sensibiliser et traiter les hommes afin que les soins IST que nous dispensons aux participantes soient pleinement efficaces et pour éviter que ces dernières ne se réinfectent.

VD : Parmi les facteurs de risque ou de protection que vous identifiez, certains vous surprennent-ils ? Ou vous trouvez-vous surpris par le fait que certains facteurs attendus n’aient pas d’impact ?

CC : Notre analyse suggère, à l’encontre des résultats présents dans la littérature actuelle, que les participantes les plus immunodéprimées (moins de 250 lymphocytes T CD4+ par mm3 de sang) seraient moins à risque d’être porteuses d’IST que les autres participantes (plus de 250 CD4/mm3). Nous étions surpris par ce résultat assez contre-intuitif ; nous avons formulé quelques hypothèses pour tenter de l’expliquer. Par exemple, les personnes les plus immunodéprimées ont peut-être moins de rapports sexuels que les autres du fait de leur état de santé, elles seraient ainsi moins exposées à des IST. Leur traitement et leur suivi médical sont peut-être plus réguliers et rigoureux, elles seraient ainsi dépistées plus régulièrement et plus tôt, et leur infection par une IST ne serait pas détectée par notre étude. Enfin, ce résultat pourrait provenir d’un problème de sous-puissance statistique.

D’autre part, plusieurs facteurs de risque ou de protection pour le portage d’IST habituels dans la littérature ne sont pas ressortis dans notre analyse. Le jeune âge (moins de 30 ans) n’était pas associé à un plus haut risque d’IST, et l’utilisation régulière de préservatifs n’apparaissait pas comme un facteur protecteur.

VD : Concernant votre participation à la journée Scientifique Sidaction, que pouvez-vous en retenir ?

CC : Des participations pertinentes du public à la suite de notre présentation ont souligné en particulier la dualité des candidoses (mycoses génitales) et leur place délicate dans notre étude puisqu’elles ne sont pas que transmises sexuellement. Les mycoses peuvent apparaître suite à des dérèglements hormonaux, certaines habitudes d’hygiène ou de contraception, par exemple. En conséquence, leur prévalence et les facteurs de risques associés devraient être analysés séparément et peuvent être très différents de ceux obtenus pour les autres IST. Nous avons également pris connaissance de la mise en place d’une étude similaire au Togo, ce qui est une très bonne chose car il y a grand besoin de données de prévalences sur ce sujet dans la région. Plus généralement, la qualité, la diversité et la complémentarité des interventions scientifiques de la journée étaient impressionnantes.

VD : Enfin, pouvez-vous décrire en quelques mots votre parcours de recherche et la façon dont vous avez été conduite à travailler sur la santé sexuelle et reproductive des femmes vivant avec le VIH ?

CC : Je suis titulaire d’un master en biologie de l’Ecole Normale Supérieure de Lyon. Au cours de mon parcours, j’ai développé un grand intérêt pour l’épidémiologie des maladies infectieuses et les problématiques de santé publique associées dans les pays en voie de développement, ce qui m’a conduit assez naturellement à m’adresser à Xavier Anglaret et Renaud Becquet qui co-dirigent l’équipe « Maladies infectieuses dans les pays à ressources limitées » du Centre Inserm U1219 de Bordeaux pour y poursuivre mon cursus universitaire. Les projets de cette équipe sur la santé sexuelle et reproductive des femmes vivant avec le VIH m’ont particulièrement intéressée, du fait de leurs conséquences concrètes sur le quotidien des patientes et leur importance en santé publique à l’échelle de la région. J’ai choisi de m’intéresser à la prévalence des IST dans cette population car je trouve qu’il s’agit malheureusement d’un sujet encore très tabou socialement, alors que les IST représentent un problème de santé publique majeur qui nous concerne tous et qui mériterait une médiatisation et des campagnes de prévention d’une ampleur beaucoup plus vaste que ce n’est le cas actuellement.

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