À Marseille, la chercheuse Christel Protière et son équipe travaillent à mieux comprendre pourquoi des personnes vivant avec le VIH et les médecins qui les suivent accepteraient ou refuseraient de participer ou de proposer des essais de type « Cure ». Éclaircissements avec les premiers résultats de leurs travaux.
Quels sont les facteurs qui favorisent ou, au contraire, freinent la participation de personnes vivant avec le VIH (PVVIH) à des essais de guérison/rémission, dits Cure ? Qu’est-ce qui peut inciter des soignants à leur proposer d’y participer ? Quelles sont les caractéristiques de ces essais susceptibles d’induire l’adhésion des uns et des autres ? Ce sont des exemples de questions étudiées par l’équipe de Christel Protière, de l’unité Sciences économiques et sociales de la santé & traitement de l’information médicale (Marseille) [i]. « Nos travaux visent à éclairer les chercheurs sur les stratégies Cure qui répondent le mieux aux attentes et aux préférences des PVVIH, et donc les plus susceptibles d’être acceptées par ces dernières. Le but est d’améliorer la conception des futurs essais Cure, mais aussi la transmission de l’information », explique la scientifique.
D’une situation hypothétique…
Les premières analyses effectuées par l’équipe marseillaise remontent au projet ANRS-Apsec [ii], mené entre 2014 et 2017, soit avant le lancement des premiers essais Cure [iii]. Pas moins de 195 patients, âgés en moyenne de 53 ans (dont 24 % de femmes) et 163 médecins de 25 services hospitaliers français d’infectiologie ont été interrogés. Plusieurs études issues de ce projet, publiées entre 2017 et 2020 [iv], ont permis de tirer des conclusions intéressantes.
Tout d’abord, à la question « Seriez-vous prêt à participer à un essai Cure ? », 43 % des PVVIH interrogées ont répondu favorablement. Mais, constat important, ce taux passait à 27 % quand les participants, mieux informés, pouvaient mieux se projeter dans ce type d’essais et, ainsi, mieux en percevoir les risques et les contraintes.
Une source de motivation majeure est l’altruisme, à savoir la disposition à participer à la recherche et à continuer ainsi le travail des générations passées. L’espoir d’un bénéfice clinique semble également compter, bien qu’il soit difficilement envisageable dans les phases d’essai préliminaires. À l’inverse, la peur des effets indésirables sévères, la contrainte associée à la fréquence des rendez-vous et aux examens, et l’incertitude sont des freins. « Ces résultats indiquent qu’une attention particulière doit être accordée à la dispensation d’informations claires aux participants potentiels, en particulier sur le risque d’espoirs indus », commente Christel Protière.
Du côté des caractéristiques individuelles, les PVVIH qui s’identifient comme militantes de la lutte contre le VIH et celles qui sont très préoccupées par le risque de transmission du virus sont les plus motivées. En revanche, celles qui connaissent une situation financière précaire sont plus réticentes. « Ce dernier frein s’explique probablement parce que les PVVIH concernées anticipent des difficultés, en termes de temps et de poids financier, pour se rendre aux nombreuses consultations de suivi », explique la chercheuse.
… à la situation réelle
Un virage majeur s’opère à partir de 2022 et le lancement en France des essais Cure Ehva T02 et Rhiviera 01 : Christel Protière et ses collègues ont pu alors commencer à documenter les motivations de PVVIH et de soignants « en situation réelle » en les interrogeant sur leur implication. « Comme les recherches décrites précédemment – qui nécessitaient de se projeter dans une situation hypothétique – ont montré des différences significatives en termes d’intention de participer à des essais Cure, développe Christel Protière, il était important d’étudier les motivations et les attentes des PVVIH en vie réelle, et, surtout, d’analyser l’évolution de leurs perceptions au cours des essais. » Et de préciser : « À ce jour, une seule autre étude, publiée par des Américains et qui concernait un essai Cure mené en Asie du Sud-Est [v], s’est intéressée au refus de patients en vie réelle. »
Lors de la conférence AIDSImpact, qui a eu lieu du 12 au 14 juin 2023 à Stockholm (Suède), Sarah Lefevbre, chercheuse dans l’équipe marseillaise, a présenté des premiers résultats obtenus dans le cadre de l’essai européen Cure ANRS-Ehva T02 [vi]. En pratique, les scientifiques ont conduit des entretiens individuels auprès de six PVVIH qui ont refusé de participer à cet essai. Contrairement à ce qui pouvait être attendu, leur refus était principalement dû aux contraintes engendrées par les visites planifiées au cours de l’essai clinique, car toutes étaient programmées pendant les heures de travail. « Trois personnes ont indiqué que cette barrière aurait pu être surmontée avec une plus grande flexibilité des horaires par le personnel médical de l’essai qui “doit aussi faire des efforts” », précisent les chercheurs [vii].
D’autres obstacles, « plus subtils et moins évidents à surmonter », précise Christel Protière, ont été mis en avant : les visites régulières à l’hôpital qui peuvent révéler le statut sérologique des participants à des tiers et qui peuvent également les amener à se percevoir à nouveau comme malades ; l’interruption du traitement antirétroviral qui peut les conduire à devoir « refaire attention » pour ne pas transmettre le virus. Quatre enquêtés ont même estimé que participer à cet essai constituerait un fardeau psychologique et pourrait « briser leur insouciance vis-à-vis de la maladie ». « Ces résultats préliminaires suggèrent que la conception des essais Cure pourrait être améliorée en fixant des heures de rendez-vous de suivi compatibles avec un mode de vie actif, mais aussi en tenant compte de l’impact émotionnel lié à la participation », analyse Christel Protière.
En parallèle à l’étude portant sur l’essai ANRS-Ehva T02, la chercheuse et son équipe sont impliquées dans différents autres projets, financés par l’ANRS, qui visent à étudier les motivations des PVVIH sollicitées, cette fois, pour trois essais Cure « portant sur des populations de PVVIH et des stratégies Cure totalement différentes » : Rhiviera 01 et Rhiviera 02 [viii], et Synacthiv [ix]. Ces projets devraient, au total, nécessiter au moins trois ans de travail.
[i] Unité mixte de recherche Sesstim (Inserm, IRD et université d’Aix-Marseille).
[ii] Pour « acceptabilité, attentes et préférences des patients avec charges virales indétectables et des soignants vis-à-vis d’essais cliniques de guérison du VIH ».
[iii] Notamment les essais Ehva T02, Rhiviera 01.
[iv] Les références des publications sont listées sur : sesstim.univ-amu.fr/fr/projet/apsec.
[v] Gail E Henderson et al., J Int AIDS Soc., mars 2019. doi : 10.1002/jia2.25260.
[vi] Pour European HIV Vaccine Alliance therapeutic trial ou essai thérapeutique de l’Alliance européenne pour un vaccin contre le VIH – essai 02, en français.
[vii] Le résumé de l’étude est disponible sur : beyond-production.objects.dc-sto1.glesys.net/projects/1ed496e4-1696-6bac-8182-020287552602/documents/XCatcOc0xbJRUM3fYGsNAsF3LoNL7cZ2nWrpVujs.html. Pour plus de détails : researchgate.net/publication/371718422_AIDS_Impact_AMEP-EHVA_T02_Abstract_ID_51782_080623
[viii] sesstim.univ-amu.fr/fr/projet/hiv-cure-rhiviera01
[ix] sesstim.univ-amu.fr/fr/projet/hiv-cure-synacthiv