Dirigés par le consortium RHIVIERA, deux essais lancés en 2023 se concentrent sur les stratégies de rémission du VIH. Un des essais consiste à tester l’efficacité d’une combinaison d’anticorps neutralisants et d’ARV administrée à des patients en primo-infection, le second à mieux identifier le profil génétique des PVVIH susceptibles de contrôler naturellement l’infection.
RHIVIERA (pour Remission of HIV infection ERA) est un consortium multidisciplinaire de l’ANRS (Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales). « Notre but est de trouver une solution de rémission pour les PVVIH, leur permettre de contrôler la réplication du virus sans traitement », explique Mathilde Ghislain, cheffe du projet RHIVIERA-02. « Nous ne pouvons pas parler de guérison car il n’y a pas de certitude que le virus soit totalement éliminé, mais dans certains cas de rémission naturelle déjà observés nous avons pu voir que le contrôle peut durer plusieurs dizaines d’années sans traitement. »
L’étude RHIVIERA comprend deux essais : l’essai ANRS 175 RHIVIERA-01 et l’essai ANRS 176 RHIVIERA-02. « L’inclusion pour RHIVIERA-01 a débuté fin mars 2023 » annonce Vincent Meiffrédy, chef de ce projet. Le démarrage de RHIVIERA-02 devrait suivre de très près avec de premières inclusions prévues dans les semaines à venir.
RHIVIERA-01 : les suites de iVISCONTI et de la cohorte ANRS CO6 PRIMO
« La conception de l’essai ANRS 175-RHIVIERA-01 s’est basée sur des résultats obtenus dans l’étude iVISCONTI et la cohorte ANRS CO6 PRIMO qui ont identifié des contrôleurs post-traitement ARV (PTC) [c’est-à-dire qui contrôlent durablement leur réplication virale après arrêt du traitement ARV, ndlr] en lien avec un génotype très particulier et un traitement ARV initial précoce » explique Vincent Meiffrédy.
Pour RHIVIERA-01, les échantillons sanguins de 1634 PVVIH de la cohorte CO6 PRIMO ayant reçu un traitement dès la primo-infection ont été analysés en 2018 afin d’identifier les porteurs du gène CMH B35 (B53) Bw4TT : « 178 patients porteurs de ce génotype ont été sélectionnés à la suite de ce typage HLA », précise Vincent Meiffrédy, « 69 d’entre eux étaient éligibles à l’inclusion en se basant sur un contrôle constant de la réplication avec une charge virale indétectable et un taux de CD4 bien maintenu suite à la mise en route précoce des ARV ». Un essai d’arrêt de traitement ARV leur est proposé, pour vérifier l’hypothèse que ce gène particulier, combiné à une initiation précoce du traitement ARV, conduit à une forte probabilité de contrôler la réplication virale après arrêt du traitement.
Depuis fin mars 2023, 10 patients ont été inclus dans l’étude RHIVIERA-01. L’équipe qui encadre l’essai espère en inclure au minimum 30 parmi les 30 centres nationaux participants d’ici mars 2024. Les patients seront suivis, selon la durée de leur contrôle virologique, entre 48 et 72 semaines après l’arrêt de leur traitement ARV.
RHIVIERA-02 : essai d’une thérapie qui combine ARV et anticorps
L’essai ANRS 176 RHIVIERA-02 adopte un autre angle en testant une nouvelle stratégie thérapeutique pour atteindre la rémission : l’association d’un traitement ARV précoce avec une injection (ou perfusion) d’anticorps neutralisants. « Dans cet essai nous recrutons des patients en phase de primo-infection du VIH-1, qui débuteront leur traitement ARV à J0, et recevront 7 à 10 jours après une perfusion d’anticorps anti-VIH-1 qui ciblent deux domaines différents de la protéine de l’enveloppe du VIH gp120 » précise Mathilde Ghislain.
Après un an de suivi régulier, similaire à un suivi médical classique pour cette pathologie, le traitement sera stoppé si certains critères sont remplis : « toujours sur la base d’un contrôle de la réplication et d’un maintien du taux de CD4 comme pour RHIVIERA-01 » explique Mathilde Ghislain. Le but de l’essai de phase II (randomisé, en double aveugle, contre placebo) est de comprendre si cette stratégie thérapeutique est capable d’induire une réponse immunitaire suffisante pour contrôler l’infection par le VIH après arrêt du traitement ARV : « Une analyse approfondie des réservoirs sera faite. Il est prévu de recruter 69 patients ».
Un suivi au plus proche des volontaires
Dans le cadre des deux essais, un suivi rapproché et attentif des volontaires est crucial. En effet, un rebond viral peut arriver à tout moment et il faut être prêt à réagir pour éviter toute répercussion négative sur ces personnes : « La charge virale est vérifiée de façon hebdomadaire lors des 8 premières semaines », précise Vincent Meiffrédy, « puis tous les 15 jours avant de passer à une visite mensuelle après la semaine 24 de l’étude ».
Ce suivi régulier et rapproché n’est pas toujours facile à intégrer dans la vie quotidienne des personnes incluses dans les essais. « c’est pourquoi nous testons le suivi à domicile de la charge virale pour certains d’entre eux, l’initiative est bien reçue par les volontaires et permet de maximiser leur adhésion » explique Nicolas Leturque, chef de projet adjoint des deux essais. Par ailleurs, dans un même souci d’acceptabilité et de faisabilité, « l’essai ANRS 176 RHIVIERA-02 a été restreint à la région Île-de-France pour faciliter l’approvisionnement en anticorps des centres partenaires » ajoute Mathilde Ghislain.
Dans ces deux essais d’interruption de traitement ARV (ATI), une très grande attention est portée au risque potentiel de transmission du VIH aux partenaires sexuels des participants pendant la période d’arrêt de traitement ARV (un risque qui existe si la charge virale dans le sang s’élève). Un accompagnement des patients et l’utilisation de préservatif ou de la PrEP par les partenaires sont fortement recommandés.
Différents comités pour assurer le bon déroulement de l’étude
La mise en place d’études avec interruption du traitement – comme tout essai clinique – doit être validée par le comité de protection des personnes (CPP) afin d’assurer que les risques liés à la conduite de l’essai sont bien maîtrisés et que le bien-être des volontaires est assuré. L’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) est également impliquée dans le processus d’autorisation de la conduite de ces essais. Les deux essais RHIVIERA ont obtenu les accords de ces deux institutions avant de démarrer.
Les comités scientifiques des deux essais ont joué un rôle crucial pour obtenir les autorisations réglementaires en amont, et ils sont consultés régulièrement pour émettre des recommandations au cas par cas. Ce comité est multidisciplinaire puisqu’il inclut les responsables scientifiques des essais, des acteurs scientifiques, des cliniciens, des sociologues, le centre de méthodologie et de gestion des données et l’ANRS, le promoteur principal de ces essais.
A cela s’ajoute, pour chaque essai, un comité de surveillance indépendant constitué d’un clinicien, d’un virologue et d’un méthodologiste. Il peut notamment donner un avis sur l’arrêt prématuré de l’essai si la situation est jugée trop risquée pour les participants, ou si, au contraire, les éléments permettant de répondre à l’objectif du projet sont déjà rassemblés avant la fin prévue de l’essai.
Pour l’essai ANRS 175 RHIVIERA-01, les critères de reprise de traitement ont par exemple été définis : entre 1000 et 10000 copies, le comité de pilotage est saisi et le suivi est renforcé ; au-delà de 10000 copies/mL, confirmé sur un second prélèvement, le traitement ARV est repris immédiatement.
Le regard de sciences sociales
Des chercheurs en sciences sociales ont également été impliqués dans chaque essai RHIVIERA : « l’étude en sciences sociales est importante pour comprendre les motivations et les attentes des participants, et aussi pour contribuer à améliorer l’information et l’adhésion des patients et des médecins à la procédure » selon Mathilde Ghislain. Les travaux en sciences sociales s’intéressent au ressenti des participants quant à la qualité des informations qui leur sont données, leur expérience de participation, et l’impact des interventions sur leur vie, notamment leur vie sexuelle.
« Tout au long de la période d’interruption du traitement ARV, il est important de rappeler les méthodes de prévention telles que le préservatif et la PrEP » explique Vincent Meiffrédy. Pour cela des questionnaires sont distribués aux volontaires et des entretiens individuels sont organisés : « Nous avons sollicité le groupement d’associations TRT-5 pour ces aspects, il a d’ailleurs été impliqué dans la relecture et la validation des projets » précise Nicolas Leturque.
Les premiers résultats sont attendus en 2025 pour l’essai ANRS 175 RHIVIERA-01. Il faudra attendre un peu plus longtemps pour l’essai ANRS 176 RHIVIERA-02. Ces deux projets représentent une avancée majeure dans le domaine de la recherche sur le sida et offrent l’espoir de plusieurs voies possibles de rémission de l’infection par le VIH.