vih Eva Sommerlatte : se battre pour les mères séropositives

02.12.22
Valentine Poignon
7 min
Visuel Eva Sommerlatte : se battre pour les mères séropositives

Depuis son arrivée au Comité des Familles, celle qui se destinait à une carrière artistique se bat depuis 13 ans pour que le droit des personnes vivant avec le VIH soit respecté, notamment celui des femmes de pouvoir allaiter.

Rien n’était prévu en ce sens. En 2007, cela fait maintenant un bout de temps qu’Eva Sommerlatte a quitté son Allemagne natale pour venir suivre des études en France. Après six années sur les bancs des Beaux-Arts, la jeune trentenaire choisit le chemin de l’art thérapie : proposer un accompagnement psychologique aux personnes en les aidant à travers la création artistique. À cette époque, “vivre de son art était difficile. Il n’y avait qu’un petit pourcentage d’étudiants qui arrivaient à s’en sortir”, se remémore Eva. “Il fallait que je gagne ma vie.” Son cursus lui impose de réaliser un stage pour valider ses études. La jeune Allemande décide de se tourner vers l’associatif. Eva pousse alors la porte du 71 rue Armand Carrel dans le 19ème arrondissement, et intègre le Comité des Familles. Créée en 2003 à la Courneuve (93) par soixante familles concernées par le VIH, l’association est une structure conviviale qui accompagne les personnes séropositives et leur entourage. Ce qu’elle ne sait pas, c’est qu’elle n’aura jamais envie de repartir. 

Au sein de son atelier, Eva accueille les enfants des parents concernés par la maladie, et leur propose de dessiner, créer, s’amuser avec l’art. Mais très vite, sa mission se développe. “En parallèle, j’ai commencé à participer à l’élaboration de dossiers de demande de financements. À l’époque, le Comité n’avait pas de ressources. Mon poste est très vite allé au-delà de l’art thérapie. J’ai été la première salariée de l’association”, nous partage-t-elle. À son nouveau poste, Eva est sur tous les fronts : des entretiens de premier accueil à l’accompagnement des membres* en passant par l’organisation d’événements emblématiques de l’association comme les “Mégas couscous des Familles” qui a regroupé pendant des années, des centaines de personnes concernées par le VIH et des volontaires. Le Comité des Familles, comme beaucoup d’associations de l’époque, organise des rencontres, des débats et des échanges autour du VIH. “Nous avons amené le sujet de la procréation car l’association a vraiment vu le jour pour répondre à cette question”.

L’accès à allaitement, une discrimination au féminin

D’années en années, l’association grossit. De nouveaux salariés sont embauchés. En 2011, l’organisme reçoit l’agrément national des associations et unions d’associations représentant les usagers dans les instances hospitalières ou de santé publique. Des projets voient le jour comme les Grandes sœurs nés en 2008 qui propose aux futures mamans, concernées par le VIH, d’être accompagnées par des pairs. D’autres continuent à l’image de l’émission de radio Vivre avec le VIH mise en place en 1995, bien avant la naissance de l’association, et qui donne la parole aux personnes touchées par une Infection Sexuellement Transmissible (IST). Face à tous ces projets, les colloques sont mis de côté pendant “presque dix ans”

Au contact des femmes qu’elles rencontrent au Comité des Familles, Eva, promue directrice en 2010, recueille beaucoup de témoignages. Très vite, elle se rend compte que beaucoup se demandent si elles peuvent allaiter, malgré leur infection par le virus. “On savait déjà que U=U (undetectable = untransmittable, c’est-à-dire que la transmission par le sang, les rapports intimes et lors de l’accouchement n’était pas possible sous traitement antirétroviral, ndlr). La question de l’allaitement se posait déjà”, raconte-t-elle. J’ai pris un congé parental pendant 3 ans, mais j’ai beaucoup cherché de réponses pendant ce temps-là. Je n’ai rien trouvé en France. Dès mon retour à l’association, j’ai eu envie de défendre ce sujet.” 

Depuis 2010, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) recommande pour les pays à faible revenus l’allaitement exclusif jusqu’aux douze mois de l’enfant, quand la mère reçoit un traitement ARV. Pour le reste du monde, l’allaitement n’est pas toujours conseillé même s’il y a une prise en charge. En Europe pourtant, des pays comme la Suisse, l’Allemagne ou l’Angleterre ont fait évoluer leurs recommandations pour permettre aux femmes d’avoir le choix. Dans ces territoires, les soignants proposent un accompagnement aux femmes séropositives qui souhaitent donner le sein. La France, elle, ignore le sujet. Les recommandations françaises de 2017 sont très courtes. Quelques lignes pour dire que ce n’est pas recommandé.”

Pourtant, c’est l’une des principales préoccupations des femmes qui souhaitent créer une famille. “On dit que tout va bien pour les femmes séropositives, qu’elles peuvent avoir des enfants, mais on n’a pas pris en compte l’allaitement.” Le fait de ne pas avoir le choix peut être vécu comme une discrimination. Cela peut même mettre en danger. “Dans les communautés africaines, une femme qui n’allaite pas est automatiquement désignée comme séropositive”, explique Eva. Or, beaucoup cachent encore leur statut sérologique à leur entourage pour éviter la stigmatisation et le rejet. “Le fait de ne pas allaiter devant la famille peut les exposer”, assure-t-elle. 

D’autre part, elles sont nombreuses à regretter de ne pas pouvoir tenter l’expérience. « Ça a été très douloureux pour certaines de nos membres.” Pour d’autres encore, la pression familiale, l’envie ou le besoin d’allaiter sont tels qu’elles procèdent en cachette. Elles peuvent évoquer le sujet avec le médecin, mais la majorité des professionnels de santé s’appuient sur les recommandations françaises, et se retrouvent parfois démunis. “Elles se demandent combien de temps allaiter, comment faire le sevrage. Les médecins ne savent pas donner de réponses, je pense qu’ils ferment les yeux car ils n’ont pas d’autres références” que les françaises, constate la directrice. Parfois, par manque d’accompagnement, lles femmes se retrouvent obligées d’allaiter en cachette, sans suivi médical. 

Des recommandations amenées à changer

En 2018, le Comité des Familles décide d’organiser un colloque aux côtés de d’Actions Traitements et Dessine-moi un mouton. L’idée : réunir les médecins, soignants, associatifs et personnes concernées autour de cette question. Le but : faire évoluer les recommandations françaises et s’inspirer des consignes étrangères. Organisée initialement en 2020 et reportée l’année suivante en raison de la crise du Covid-19, la sixième rencontre a permis de rassembler près d’une centaine de personnes dont la moitié était des soignants concernés par la question de l’allaitement des femmes atteintes par le VIH (pédiatres, gynécologues, infectiologues, infirmières, sage femmes, consultantes en lactation, puéricultrices). 

Le combat pour laisser aux femmes la liberté de choisir ne s’est pas arrêté là. En mai 2022, l’association publie un manifeste pour renforcer son action. “Les recommandations en France sont en cours d’actualisation”, informe Eva Sommerlatte. Le travail prend du temps et n’est pas assez relayé, déplore-t-elle. Comme beaucoup de sujets qui touchent les femmes, “on ne parle pas assez” de ces thématiques. “Les femmes vivant avec le VIH sont marginalisées.” Il y a encore tellement de trous noirs : les dosages dans les traitements, l’accès à la PrEP, les essais qui incluent majoritairement des hommes et excluent les femmes en âge de procréer, pourtant fortement touchées dans le monde par le VIH, les violences et la vulnérabilités, liste-t-elle. 

Pour ces sujets comme pour l’allaitement, “j’appelle à une mobilisation des associations. Leur voix est importante dans un plaidoyer : Il faut faire bouger les choses ensemble car pour l’instant, ce n’est pas gagné !”

*au Comité des Familles, les adhérents sont appelés membres. 

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