vih Eve Plenel : « Nous voulons enclencher la baisse descontaminations à Paris »

18.12.18
Vincent Michelon
9 min
Visuel Eve Plenel : « Nous voulons enclencher la baisse descontaminations à Paris »

Vers Paris sans sida est une initiative engagée en 2016 par la maire de Paris, Anne Hidalgo, visant à renforcer le dépistage afin d’empêcher de nouvelles contaminations. Elle a pris la forme de l’association que vous dirigez. Quel est son rôle ?

Cette initiative a été créée comme un outil pour aider les acteurs, sans se substituer à eux, à se structurer et à converger vers les mêmes objectifs. Nous les soutenons financièrement et nous les appuyons avec des actions de communication. Nous sommes un catalyseur de ce que dit la recherche, de ce que réalisent les associations et de la façon dont cela peut être implanté dans une grande ville. Nous sommes aussi un pôle d’expertise qui permet le dialogue avec le ministère de la Santé, l’Agence régionale de santé (ARS) ou Santé publique France sur les blocages réglementaires au dépistage ou sur les difficultés de passage à l’échelle dans un système saturé.

Quelle est votre stratégie ?

L’amélioration du dépistage est notre priorité, avec pour corollaire l’accès à la prophylaxie préexposition (PrEP). Nous voulons enclencher la baisse des contaminations à Paris. D’abord, nous essayons d’agir sur l’organisation de l’offre de santé sexuelle pour les populations clés, en favorisant les innovations et en accompagnant les acteurs dans la modélisation de leurs projets. Ensuite, nous agissons sur la demande. Les spécialistes de la lutte contre le sida connaissent depuis longtemps l’efficacité du TasP (traitement comme prévention), de la PrEP et des autotests. Mais l’immense majorité des personnes n’en ont pas entendu parler. Alors que l’on communique globalement moins sur le VIH ces dernières années, nous avons créé, avec le soutien de la Mairie de Paris, des formes de communication tous azimuts, sur les écrans digitaux installés sur la voirie, les affiches, dans les services de santé, les mairies d’arrondissements, etc. Une communication du quotidien, simple, pour remettre les réflexes du dépistage au premier plan. Nous sommes l’outil de communication du dernier kilomètre.

Comment se traduit votre action envers les populations clés ?

Ce qui modifie les comportements, ce sont les communications très ciblées. Nous élaborons des contenus originaux pour les communautés, principalement les homosexuels masculins et les diasporas africaines. Nous avons soutenu huit associations afin d’accroître leur offre de dépistage par test rapide, pour un montant total de 380 000 euros. Je citerai deux projets phares : celui de l’association Afrique Avenir, qui a pu doubler son activité à Paris et celui des associations Afrique Arc-en-ciel-Paris et Espoir, qui ont développé une activité de dépistage dans les soirées de la scène voguing [1] parisienne, avec le soutien de Sidaction au départ. Nous avons également permis d’augmenter la proposition d’horaires sans rendez-vous au centre de santé sexuelle le 190 et au Checkpoint-Paris.

Les autotests VIH sont commercialisés depuis 2015. Comment contribuez-vous à leur diffusion ?

L’autotest est en vente en pharmacie. Par dérogation, les centres de dépistage, les associations habilitées et les centres d’accueil pour usagers de drogues ont le droit d’en distribuer gratuitement. Nous aidons les structures qui reçoivent déjà des financements de l’Assurance maladie à négocier les prix avec les fabricants afin qu’elles puissent en acheter davantage. Et nous fournissons directement en autotests celles qui ne bénéficient d’aucun financement.

Existe-t-il des blocages ?

En 2017, en France, environ 75 000 autotests ont été vendus en pharmacie, dont près de 6 000 à Paris intramuros. De notre côté, nous avons acheté 20 000 autotests supplémentaires. Au départ, nous étions inquiets, car les
autotests que nous avions livrés restaient dans les cartons pour la raison que les professionnels, habitués à accompagner le dépistage, avaient du mal à distribuer simplement cet outil. La lutte contre le sida est une lutte pour l’autonomie… Les personnes font la démarche du test, il faut leur simplifier la vie. Mais le déclic a eu lieu, les acteurs ont accéléré le travail et les 20 000 autotests auront tous été distribués avant la fin de l’année.

Pourquoi avoir mis au point un « plan d’urgence » pour le dépistage ?

Il y a un an, nous avons constaté que malgré tous les efforts les choses n’évoluaient pas, avec des effets de substitution entre les dispositifs. Les centres de dépistage (CeGIDD) parisiens ont vu leur nombre de tests du VIH baisser de 13% entre 2016 et 2017. Les associations qui proposent des tests rapides d’orientation diagnostique (Trod) ont également enregistré une baisse en 2016. Du côté des médecins généralistes, le nombre de prescriptions répertoriées par l’Assurance maladie était inférieur à celui espéré. Au total, on arrivait à 350 000 tests pratiqués par an à Paris, toutes populations confondues. Un chiffre très en deçà de ce qu’il devrait être si les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) étaient appliquées (un test tous les trois mois pour les homosexuels masculins, un par an pour les migrant·e·s, à chaque opportunité pour la population majoritaire). À Paris, 3% des hommes homosexuels et 2% des personnes nées en Afrique subsaharienne sont séropositifs et ne le savent pas encore. Selon nos calculs, pour les atteindre il faudrait pratiquer 300 000 tests supplémentaires dans les deux à trois ans. Un effort gigantesque pour les CeGIDD et les associations.

Que prévoit ce plan d’urgence ?

Ce document de travail prévoit plusieurs mesures, avec pour objectif de simplifier le recours au dépistage. L’une des principales mesures vise à expérimenter la possibilité de réaliser un test dans un laboratoire d’analyse médicale et d’être remboursé sans ordonnance. Cela fait l’objet d’un travail mené avec l’Assurance maladie et les équipes du projet Objectif sida zéro à Nice. Nous pensons que cela peut contribuer à désengorger les services de dépistage de pointe. Ensuite, nous voulons accompagner les médecins en leur fournissant des autotests qu’ils pourront délivrer eux-mêmes et en les incitant à réaliser des Trod. L’objectif est de banaliser la proposition du test par le soignant. La troisième piste concerne un projet porté par Judith Leblanc et la Pr Anne-Claude Crémieux, infectiologue à l’hôpital Saint-Louis (Paris). Le but est de proposer des tests de façon ciblée lors de l’attente aux services des urgences. Mais cela ne sera effectif que si les opérateurs sont prêts.

Faut-il s’inspirer du modèle londonien de Dean Street Express ?

Pour atteindre nos objectifs, il faudra aussi créer un service de dépistage à haut rendement, simple et rapide. La clinique Dean Street Express (lire encadré) est sans doute l’un des modèles possibles. Et nous sommes en train d’analyser sa transférabilité à Paris. Depuis son ouverture, en 2014, ce centre a un succès exceptionnel, avec 10 000 tests réalisés tous les mois. Ce que réalise l’institut Alfred-Fournier (Paris) en un an. Mais, en l’état, la réglementation française en matière de biologie médicale est extrêmement contrainte. Il faut que ce soit légal, mais également prévu dans les financements. Nous voulons poser tout cela à plat et travailler en ce sens avec l’Assurance maladie. Je souhaiterais que nous puissions ouvrir une telle clinique dès 2020.

L’objectif est toujours que 90 % des personnes vivant avec le VIH soient diagnostiquées en 2030 ?

Je pense que nous y arriverons et qu’il nous faut être plus ambitieux encore. Nous devons prendre en compte le délai entre le moment où la personne est infectée et le moment où elle l’apprend. Aujourd’hui, à Paris, les homosexuels masculins mettent en moyenne deux ans et demi à connaître leur séropositivité ; les femmes d’origine subsaharienne, trois ans et les hommes d’origine subsaharienne, quasiment quatre ans. Nous devons réduire ces délais. L’autre indicateur concerne le nombre de contaminations, qui est de trois par jour à Paris. Ce nombre diminuera si le volume et la fréquence du dépistage augmentent suffisamment, et ce, en lien bien sûr avec un meilleur accès aux outils de protection.

Le Dean Street Express, un modèle à suivre ?

Pour faciliter le recours au dépistage, la Ville de Paris compte s’inspirer des bonnes pratiques lancées dans plusieurs métropoles mondiales, en particulier à Londres où les services de santé ont ouvert en 2014 la clinique Dean Street Express, dans le quartier de Soho.

Le but était de faire face à la saturation de la clinique voisine, au 56 Dean Street, historiquement spécialisée dans le domaine du VIH et elle même rattachée à l’hôpital Chelsea and Westminster. Depuis quatre ans, cette « clinique express » qui intéresse Paris s’est imposée comme le lieu du dépistage « du quotidien » pour les IST – et de la PrEP –, accueillant 300 à 350 patients par jour et pratiquant jusqu’à 10 000 tests du VIH par mois. Parmi les recettes du succès, ce centre ouvert du lundi au samedi, avec une forte amplitude horaire, sans rendez-vous, permet de réaliser un
dépistage en 30 minutes, dans un lieu accueillant au design branché. Le fonctionnement est minimaliste, avec une personne chargée de l’accueil et un technicien de laboratoire pour les analyses. Le patient s’enregistre à l’arrivée sur une borne tactile et reçoit, en fonction des éléments fournis, le matériel de prélèvement adapté. Il effectue lui-même son prélèvement dans une cabine, avant d’expédier l’échantillon via un pneumatique vers l’instrument d’analyse. Il repart après un bref entretien et recevra ses résultats par SMS. Si le résultat s’avère positif, un lien pour la prise en charge est immédiatement communiqué. Une souplesse qui a fait de ce lieu fréquenté par une population souvent active – et LGBT – une référence en termes de dépistage. Toutefois, la structure, confrontée à des réductions budgétaires, a été contrainte en mai dernier de réduire sa file active de 350 à 75 patients par jour, se concentrant désormais sur les patients symptomatiques et proposant, en contrepartie, des autotests en vente en ligne. Une évolution qui a alarmé les acteurs de la lutte contre le sida.

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