Si la recherche sur les traitements contre le VIH ne cesse de progresser, de nombreuses questions demeurent en suspens. En particulier, leur efficacité et leur sécurité chez des publics encore peu intégrés aux essais cliniques. Les besoins des femmes ménopausées et des femmes trans doivent être aujourd’hui mieux pris en compte, ont estimé des experts lors de la 24ème Conférence internationale sur le sida (AIDS 2022).
Des molécules toujours plus efficaces et mieux tolérées, un nombre de comprimés en chute libre, et même, depuis décembre 2021, une association antirétrovirale injectable à longue durée d’action… depuis l’arrivée des antiprotéases au milieu des années 1990, la palette des traitements anti-VIH n’a cessé de s’étendre. La question thérapeutique est-elle pour autant réglée ? Rien de moins sûr. Outre que l’accès au traitement n’est toujours pas universel (seules 75 % des personnes vivant avec le VIH sont traitées dans le monde), de nombreuses inconnues demeurent. En particulier chez certaines catégories de personnes, dont la réponse au traitement, notamment en termes de sécurité, demeure encore mal connue.
Lors d’un symposium organisé lors de la 24ème conférence internationale sur le sida [i], des chercheurs ont mis en lumière ces angles morts de la recherche thérapeutique. Parmi eux, le sujet des femmes ménopausées : aux Etats-Unis, 60 % des femmes vivant avec le VIH sont âgées de plus de 45 ans. Selon plusieurs travaux, les femmes ménopausées présentent plus de comorbidités que celles ne vivant pas avec le VIH, mais aussi que les hommes vivant avec le VIH. Ce phénomène serait lié à la diminution post-ménopausique des estrogènes, les exposant à plus d’inflammation chronique, plus d’activation immunitaire – ce qui les rend aussi plus vulnérables aux effets du VIH. D’où une importante polymédication, à risque d’interactions médicamenteuses.
Lors de la ménopause, les femmes vivant avec le VIH sont plus exposées à ses diverses complications, dont l’ostéoporose : leur densité minérale osseuse (DMO), mesurée sur plusieurs sites (rachis, col du fémur, hanche, radius), est de 5 % à 9 % inférieure à celle de femmes ménopausées ne vivant pas avec le VIH. De même, leur risque cardiovasculaire et leur gain de poids sous anti-intégrase sont surélevés, dépassant ceux des hommes vivant avec le VIH.
Une population peu représentée dans les essais cliniques
Malgré cela, « la proportion de femmes [ménopausées ou non, ndlr] incluses dans les essais cliniques est inférieure à 25 %, et cela n’a pas changé avec les nouveaux médicaments. Il n’y a pas eu d’étude spécifique menée sur le traitement des femmes ménopausées », constate Isabel Cassetti, directrice médicale du centre de prise en charge Helios Salud à Buenos Aires. Déplorant l’absence de recommandations spécifiques de traitement pour cette population, elle estime « crucial de prendre vraiment conscience qu’elle constitue un groupe aux particularités uniques ».
Idem pour les personnes trans : faute de données, la question des interactions médicamenteuses entre le traitement antirétroviral et l’hormonothérapie demeure encore peu explorée, au risque d’altérer l’efficacité et la sécurité de ces médicaments. Ce qui laisse dans le flou aussi bien les médecins que leurs patientes, qui, en raison de ces inconnues, pourraient présenter une moindre observance de leur traitement anti-VIH, estime Emilia Jalil, chercheuse à la Fondation Oswaldo-Cruz (FIOCRUZ), organisme public de recherche en santé situé à Rio de Janeiro.
La solitude, facteur de moindre observance
Longtemps considérée comme un enjeu crucial lorsque le traitement consistait en de nombreux comprimés quotidiens, la question de l’observance est elle-même loin d’être résolue, et dépend de facteurs aussi multiples que complexes. Parmi eux, le sentiment d’isolement social, fréquent chez les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) : selon une étude menée auprès de 15 centres de prise en charge du VIH de l’Ontario [ii], la solitude constitue en effet un frein important au bon suivi du traitement.
Parmi les 1.870 personnes analysées, 48 % souffraient d’un sentiment de solitude, particulièrement les jeunes, les femmes, celles consommant des drogues ou de l’alcool. Celles disant souffrir d’un fort isolement social avaient 41 % plus de risques de n’avoir pas été observant au cours des trois derniers mois. Un résultat qui n’a rien d’anecdotique, alors que 61 % des participants de l’étude étaient célibataires.
Traitement injectable : les pour et les contre
L’arrivée fin 2021 sur le marché d’un premier traitement injectable tous les deux mois (rilpivirine + cabotégravir) constitue un nouveau pas important dans la prise en charge du VIH, particulièrement en termes d’observance. Une étude menée par l’association AIDES [iii] révèle un niveau de confiance élevé parmi les 584 PVVIH interrogées, mais aussi des interrogations sur les effets indésirables, ainsi qu’une réticence à se rendre tous les deux mois à l’hôpital.
Parmi ces personnes, 48 % se disent « très intéressées » et 30 % « plutôt intéressées » par ce traitement à longue durée d’action. Parmi les raisons de cet intérêt, le fait de ne plus avoir à prendre de comprimés quotidiens. Ou encore de ne pas avoir à prendre son traitement en cachette, pour les 23 % de personnes obligées de dissimuler leur infection par le VIH à leur entourage.
Principaux obstacles identifiés par les personnes interrogées, la survenue d’éventuels effets indésirables, ou encore le fait de devoir se rendre tous les deux mois à l’hôpital pour l’injection, considéré comme un frein important par 44% des participants. Selon Cynthia Lacoux, chargée de mission recherche communautaire chez AIDES, ce médicament pourrait être particulièrement d’intérêt pour les personnes suivant d’autres traitements quotidiens pour des comorbidités, ainsi que pour celles n’ayant pas annoncé leur infection à l’ensemble de leur foyer.
[i] « Metabolic consequences of new classes of ART », symposium samedi 30/07
[ii] « Loneliness and ARV adherence: results from a cohort study of people living with HIV in Ontario, Canada », Abigail Kroch, mardi 02/08
[iii] « Interest of people living with HIV in injectable long-acting antiretroviral treatment: results from a flash AIDES survey », Cynthia Lacoux, vendredi 29/07