vih Florence Margottin-Goguet : une chercheuse engagée contre le VIH

19.10.22
Kheira Bettayeb
7 min
Visuel Florence Margottin-Goguet : une chercheuse engagée contre le VIH

En septembre 2022, la virologiste Florence Margottin-Goguet a reçu le prix « KT Jeang ». Décernée par la revue scientifique internationale Retrovirology, cette récompense distingue chaque année un chercheur en milieu de carrière, qui a apporté « une contribution exceptionnelle à la rétrovirologie », le domaine de la virologie consacré aux rétrovirus (virus à ARN), auxquels appartient le virus du sida, le VIH. Portrait.

« Une très grande scientifique, rigoureuse et à l’écoute des autres, qui a réussi à se hisser au niveau des plus grands, dans ce milieu très masculin et dominé par des grands pontes américains qu’est la recherche fondamentale sur le VIH » : voilà comment Marina Morel, ingénieure de recherche, décrit Florence Margottin-Goguet, qu’elle a rencontrée il y a près de 20 ans et avec qui elle travaille depuis 13 ans.

Directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et co-responsable de l’équipe « Rétrovirus, infection et latence », à l’Institut Cochin de Paris (Inserm/CNRS/Université Paris Cité), cette adepte du vélo (elle pédale tous les jours 50 minutes entre son domicile et son laboratoire) travaille depuis près de 30 ans, avec persévérance, à étoffer les connaissances sur les interactions moléculaires entre le VIH et les cellules qu’il infecte. « Je suis une fervente avocate de la recherche fondamentale [qui vise à comprendre les phénomènes naturels et à produire des connaissances, Ndlr]. Elle est le terreau fertile de la recherche appliquée [dirigée elle, vers un but pratique précis, comme développer un traitement ou tester un vaccin, Ndlr]. Sans la première, la seconde serait impossible », souligne Florence Margottin-Goguet.  

De fait, « quand j’ai intégré l’université Pierre et Marie Curie à Paris en 1984, je pensais plutôt me diriger vers l’éthologie, cette branche de la biologie qui explore les comportements des animaux dans leurs milieu naturel … », précise-t-elle. Mais au cours de ses études, elle découvre la biologie moléculaire et cellulaire. Et aussitôt, « l’idée de disséquer les mécanismes survenant à l’échelle microscopique dans les cellules vivantes, m’a plu ! », souffle-t-elle. 

La recherche fondamentale au coeur

Le VIH ? Elle n’y viendra qu’après « une parenthèse » réalisée à la fin de son cursus universitaire. Alors, au lieu d’enchaîner directement sur un stage de post-doctorat [i], comme le fait en général tout futur chercheur, cette amoureuse des voyages « à deux, avec [son] mari ! », s’envole pour la Guyane française, où sa moitié fait son service national. Là, « outre découvrir les rivières sauvages et la belle forêt tropicale en pirogue », elle s’essaie à la recherche appliquée, au sein d’un laboratoire spécialisé en recherche vaccinale contre le paludisme… Mais cette expérience la conforte dans son inclinaison pour la recherche fondamentale ! Aussi, quand elle regagne la Métropole 14 mois plus tard, elle décide de réaliser son « post-doc » dans laboratoire menant ce type de recherche. A cette époque – en 1994 -, l’épidémie de sida fait rage ; donc beaucoup d’unités de biologie moléculaire se focalisent sur le VIH. La jeune chercheuse rejoindra l’une d’entre elles : celle dirigée par le virologiste Richard Benarous, à l’Institut Cochin de Paris.

C’est là qu’elle commence à travailler sur le sujet qui lui vaudra, 30 ans plus tard, le prix « KT Jeang » : les protéines accessoires du VIH. « Il s’agit de protéines particulières produites par le VIH, éclaire-t-elle. Au début de mes recherches, on ne savait quasiment rien sur ces molécules ; et beaucoup pensaient qu’elles étaient peu importantes – d’où leur qualificatif d’’accessoires’. Mais leur étude dans des cellules infectées, a révélé qu’elles sont au contraire cruciales, puisqu’elles permettent au virus, de contrecarrer des facteurs de défenses cellulaires, dits facteurs de restriction ; lesquels visent à l’empêcher de se propager. Bref, les protéines accessoires sont au cœur d’une vraie bataille moléculaire entre le virus et les cellules ! »

Lors de son « post-doc », la biologiste se focalise sur une première protéine auxiliaire : la Protéine virale U (Vpu), qui contrairement à d’autres, est présente uniquement dans la souche VIH-1 induisant le Sida – et pas dans le VIH-2. La chercheuse dissèque le mécanisme via lequel Vpu entraîne la dégradation d’une protéine cellulaire qui, lorsqu’elle est présente en grande quantité, empêche la libération des particules virales inifectieuses, et donc la propagation virale : le récepteur cellulaire CD4 des cellules immunitaires « lymphocytes T CD4 », cibles principales du VIH. Et, résultat majeur, elle découvre que Vpu contribue à la dégradation de CD4… en détournant la machinerie cellulaire permettant la dégradation des protéines ! « Vpu établit un pont entre CD4 et des enzymes appelées « ubiquitine ligases », qui contrôlent le processus de dégradation des protéines. Ce faisant, elle marque CD4 afin qu’il soit reconnu comme une molécule à dégrader. On parle de ‘piratage des ubiquitine ligases’ », précise Florence Margottin-Goguet. 

Publiés en 1998 [ii], ces premiers travaux font grand bruit dans le monde de la recherche sur le VIH de l’époque. Et pour cause : « si un tel mécanisme de piratage des ubiquitine ligases avait déjà été observé pour un autre type d’agents pathogènes, les papillomavirus responsables d’infections sexuellement transmissibles, c’était la première fois qu’on le mettait en évidence chez le VIH ».

Les protéines « accessoires »  dans son viseur

Depuis, la chercheuse et son équipe (qu’elle a créée en 2004) ont découvert que le VIH renferme deux autres protéines auxiliaires utilisant ce même type de mécanisme : les protéines virales R et X, ou Vpr et Vpx [iii]. Ces molécules contribuent à la destruction de facteurs de défense cellulaires autres que celui ciblé par Vpu. Par exemple, lors de travaux publiés ces quelques dernières années, le groupe a mis en évidence que Vpx favorise la dégradation de « HUSH » [iv]. 

Cette molécule suscite désormais un fort intérêt : « Nous pensons que HUSH est important dans l’établissement de la latence du VIH, cet état où le virus persiste silencieux dans les cellules réservoirs, mais peut recommencer à se répliquer en cas d’arrêt des médicaments antirétroviraux », souligne Florence Margottin-Goguet. Si cela se confirme, « HUSH pourrait mener au développement de traitements permettant de se débarrasser des réservoirs en combinaison avec d’autres molécules et ainsi de guérir les personnes infectées par le VIH…».

Ainsi, outre leur importance d’un point de vue fondamental, l’ensemble des travaux couronnés par le prix « KT Jeang » 2022, pourrait aussi s’avérer cruciaux pour la recherche thérapeutique… Mais il s’agit là d’une toute autre aventure ! « Mon objectif reste de découvrir les mécanismes fondamentaux en jeu dans les interactions entre le VIH et les cellules infectées », insiste la chercheuse. Une façon de rappeler, si besoin était, que son domaine de prédilection reste encore et toujours… la recherche fondamentale sur le VIH.

En savoir plus 

La revue scientifique Retrovirology a consacré à un article entier à Florence Margottin-Goguet (en anglais), disponible ici : https://bit.ly/3CFl1s7

Notes et références

[i] Contrat à durée déterminée réalisé dans un laboratoire de recherche, nécessaire pour être recruté en tant que chercheur titulaire.

[ii] F Margottin et al. Mol Cell. Mars 1998. doi: 10.1016/s1097-2765(00)80056-8.

[iii] Erwann Le Rouzic et al. Cell Cycle 2007. DOI: 10.4161/cc.6.2.3732.

[ïv] Ghina Chougui et al. Nat Microbiol. Août 2018. doi: 10.1038/s41564-018-0179-6 ; Roy Matkovic et al. Nat Com. Janvier 2022. doi: 10.1038/s41467-021-27650-5. 

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