Lors de sa conférence de reconstitution, qui s’est tenue le 21 septembre à New York, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme a pour l’instant obtenu 14,25 milliards de dollars de promesses de dons pour son septième « round » (2023-2025). Loin des 18 Md$ requis, cette semi-réussite suffira-t-elle à combler les besoins ?
Jamais le Fonds mondial n’avait obtenu autant de ses donateurs. Lors de la conférence triennale qui s’est tenue en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies, l’organisme s’est vu promettre 14,25 Md$ pour les trois années à venir -contre 14,02 Md$ en octobre 2019 pour son sixième cycle (2020-2022). Un effort d’autant plus louable de la part des donateurs (pays, secteur privé, fondations) qu’ils se remettent à peine de la crise du Covid-19, et que la guerre en Ukraine fait planer de sérieuses menaces (économiques, sécuritaires, alimentaires) sur les prochaines années.
Malgré un contexte peu favorable, l’appel du Fonds mondial a été entendu. Pays hôte de la conférence, les Etats-Unis avaient promis, dès mars, de verser jusqu’à 6 Md$ au Fonds (+30% par rapport à 2019), à raison de 1$ pour toute tranche de 2$ issus d’autres donateurs. Autrement dit, le pays s’engage à financer un tiers des subventions du Fonds mondial. Comme la France en 2019, les Etats-Unis ont très activement joué leur rôle de pays hôte, en mobilisant d’autres contributeurs. Parmi les nouveaux donateurs, l’Indonésie, le Malawi, le Maroc, le Paraguay et la Tanzanie. Vingt pays récipiendaires du fonds, dont 18 rien qu’en Afrique, ont décidé de le financer, augmentant parfois leur contribution.
Dans la foulée des Etats-Unis, plusieurs donateurs ont aussi accru leur contribution de 30 %. Parmi eux, l’Allemagne, le Canada, la Commission européenne et le Japon. La Corée du Sud l’a même augmentée de 300 %, le Kenya de 66 %. La France a pour sa part annoncé une hausse de 300 millions d’euros de sa contribution triennale, pour la porter à 1,6 milliard d’euros. Une hausse de 23 %, supérieure celle de 20 % en 2019 : si plusieurs acteurs regrettent qu’elle n’ait pas poussé jusqu’à +30 %, le rôle de la France auprès du Fonds mondial, rapporté à son PIB, demeure majeur.
Près de 4M$ en-dessous de la cible
Pourtant, le succès de cette reconstitution des fonds n’est pas sans bémol. D’une part, il a en partie été sapé par la faiblesse de l’euro. De 1,103 $ lors de la levée de fonds d’octobre 2019, il n’était plus que de 0,99 $ le 21 septembre. Ce qui amoindrit l’effet des hausses promises par plusieurs Etats : l’Allemagne fournira bien 30 % de plus en euros, mais seulement 17,1% de plus en dollars. Et surtout, le total récolté s’avère bien loin des besoins du Fonds. Dans son argumentaire d’investissement publié en février, ils étaient estimés à au moins 18 Md$ pour le septième cycle.
Avec ces 18 Md$, le Fonds espérait couvrir 14 % des besoins totaux de la lutte contre les trois maladies sur la période 2024-2026. Ce qui, rien que pour la lutte contre le VIH/sida, permettrait de réduire de 68 % le nombre annuel de nouveaux cas entre 2020 et 2026, de 59 % le nombre de décès liés au sida, de traiter 28 millions de personnes en 2026 -pour une couverture antirétrovirale estimée à 91 %, contre 75 % en 2021. En bref, de viser la fin des trois épidémies en 2030, l’un des Objectifs de développement durable fixés en 2015. Si ce but s’est éloigné avec la crise du Covid-19, le Fonds mondial compte bien rattraper le retard.
La somme récoltée à New York demeure donc de 21 % inférieure aux attentes du Fonds. Une situation qui tranche avec celles des deux précédentes conférences (Montréal en 2016, Lyon en 2019), lorsque le Fonds était parvenu à atteindre son objectif de financement. Il y a donc fort à craindre, en l’état des annonces, que « le Fonds mondial ne puisse pas remplir tous les objectifs qu’il s’était fixés », estime Maé Kurkjian, responsable du plaidoyer au sein du bureau France de l’ONG ONE. « C’est un montant historique, mais il est insuffisant au regard des besoins évalués », ajoute Yann Illiaquer, coordinateur analyse et plaidoyer chez Action santé mondiale. D’autant que, après le Covid-19, la lutte contre les trois maladies n’est pas à l’abri de nouveaux coups durs, tels que nouvelles maladies émergentes, catastrophes climatiques ou crise économique.
Un bilan à consolider
Certes, le bilan de 14,25 Md$ n’est probablement que temporaire. Se remettant d’un deuil royal, tout juste doté d’une nouvelle première ministre, le Royaume-Uni (troisième donateur historique, deuxième actuel) n’a pu faire d’annonce à New York, mais s’est engagé à se prononcer lors des prochaines semaines. Donateurs bien plus modestes, la Chine et l’Inde ont aussi réservé leur réponse à plus tard. Idem pour l’Italie, sous gouvernement intérimaire lors de la réunion de la reconstitution. Toutefois, la victoire remportée par une coalition d’extrême droite, menée par un parti postfasciste, ne laisse pas présager le meilleur en matière d’aide italienne au développement.
Même en supposant que le Royaume-Uni et l’Italie accroissent leur contribution de 30 % par rapport au cycle précédent, le Fonds mondial ne disposerait que d’environ 16 Md$, soit 2 Md$ en-dessous de la cible. De plus, l’incertitude règne sur la subvention réelle des Etats-Unis. Ceux-ci ne pourront verser cette somme « que si tous les autres donateurs versent 12 Md$ avant 2025. En l’état actuel, ils ne peuvent donner que 4,75 Md$ », explique Alix Zuinghedau, directrice des politiques aux Amis du Fonds mondial Europe, selon qui « l’important est que tout cela se clarifie avant le conseil d’administration de novembre ».
C’est en effet lors de cette réunion que seront annoncées les « enveloppes pays » pour les trois prochaines années. « Nous ne sommes pas à l’abri qu’il y ait moins d’argent pour les enveloppes pays » que lors du précédent cycle, note Alix Zuinghedau. Le jeu n’est pourtant pas fermé : outre les annonces à venir de pays retardataires, rien n’empêche d’autres donateurs de verser une rallonge ultérieurement, y compris en cours de cycle -un plaidoyer que les associations comptent bien mener. Demeure aussi la possibilité d’utiliser des fonds non dépensés lors du cycle précédent, par exemple ceux initialement destinés au Dispositif de riposte au Covid-19 (programme C19RM). Autant de questions qui se poseront très rapidement au Fonds mondial, pleinement résolu à accélérer la lutte contre le VIH/sida. « Pour chaque instant perdu aujourd’hui, le chemin sera décuplé à l’avenir », estime Alix Zuinghedau.