Alors qu’en Afrique subsaharienne, les femmes sont plus contaminées par le VIH que les hommes et qu’elles représentent souvent la grande majorité des personnes suivies par les associations de lutte contre le sida, ces organisations ont, paradoxalement, souvent une gouvernance… très masculine. Et ce, aussi bien en Afrique qu’en France. « Une représentation plus équilibrée à la tête des associations permettrait aux femmes de mieux faire entendre leurs difficultés et leurs besoins, plaide Veronica Noseda, en charge du programme Genre géré par la plateforme Elsa [1]. Ce qui permettrait l’élaboration de stratégies contre le VIH encore plus efficaces. »
Des inégalités au sein même des structures qui les combattent
Selon l’Onusida, en 2015, les jeunes femmes représentaient environ 60 % des 15-25 ans vivant avec le VIH dans le monde. « Cette situation reflète en grande partie les inégalités de genre qui, dans toutes les sociétés, tendent à figer les rôles sociaux et sexuels des hommes et des femmes, et à restreindre l’autonomie de ces dernières, explique Veronica Noseda. Généralement moins éduquées et donc, moins bien informées, les femmes sont également fortement exposées aux violences, y compris sexuelles, ce qui augmente le risque d’infection. » Afin de mieux lutter contre le VIH, « il est crucial de sensibiliser les hommes et les femmes aux inégalités de genre et à leurs conséquences. Et ce, dès le plus jeune âge », insiste Christine Mauget, en charge des questions internationales pour le Planning familial.
Or voilà que les inégalités de genre s’avèrent s’être aussi immiscées dans les gouvernances des associations chargées de lutter contre le VIH ! Selon Karine Pouchain, responsable du programme Sida santé développement à la Fondation de France, cette situation soulève deux questions. L’une, morale : pourquoi les femmes n’ont pas autant droit que les hommes à des postes à responsabilité au sein de ces structures ? L’autre, plus relative à l’efficacité même de la lutte contre le VIH : le fait que des hommes décident de ce qui est le mieux pour un public très majoritairement féminin ne risque-t-il pas d’aboutir à des programmes de lutte inadaptés ? En effet, développe Karine Pouchain : « Les hommes à la gouvernance de ces associations peuvent avoir intégré, malgré eux, les constructions sociales à l’origine des inégalités femmes-hommes. Aussi leurs décisions peuvent-elles être teintées par ces constructions et déboucher sur des actions de lutte inadaptées. Par exemple, par peur de perdre leur pouvoir, ces hommes pourraient ne pas décider la mise en place d’actions de sensibilisation des femmes sur leurs droits à disposer de leur corps et de leur santé… »
De fait, « le problème ne concerne pas toutes les associations africaines : dans certains pays, comme au Burundi, des femmes ont pris la tête de la riposte associative à l’épidémie dès le début des années 1990, nuance Cécile Chartrain, responsable des programmes Minorités sexuelles et de genre à Sidaction. Par ailleurs, la domination masculine n’est pas un problème spécifique aux associations africaines. »
Un mouvement salutaire
Heureusement, les choses commencent à bouger grâce à la prise de conscience grandissante des associations et à un renforcement de capacités soutenu par certains partenaires, tels que la plateforme Elsa, la Fondation de France, le Planning familial ou Sidaction. « Depuis deux ans, grâce à l’appel à projets “Genre et VIH” de la Fondation de France, indique Karine Pouchain, nous pouvons financer des projets d’accompagnement méthodologique destinés à permettre aux associations de réfléchir aux impacts des inégalités de genre sur leurs actions et sur leur gouvernance. Pour 2019, nous avons même précisé par écrit cet axe de financement spécifique dans notre appel à projets. »
Plusieurs associations francophones ont pu bénéficier de ce dispositif. C’est le cas de Racines, une association béninoise de professionnels de santé et de l’éducation. De leur côté, Sidaction et la plateforme Elsa ont mis en place depuis avril 2017 deux formations sur le genre à l’ONG nigérienne Mieux vivre avec le sida. « Après la première mission de terrain, où nous avions plutôt travaillé sur la question des représentations, nous avons mis l’accent sur la gouvernance lors de la seconde mission, raconte Cécile Chartrain. Il a été constaté notamment que le conseil d’administration n’était encore composé que de 20 % de femmes. L’association a donc réfléchi à des stratégies permettant d’encourager et de responsabiliser davantage les femmes, que ce soit en adaptant les horaires de réunion à leurs contraintes domestiques ou en leur proposant des formations pour faciliter leur prise de parole en public. »
Bonne nouvelle, certaines initiatives ont déjà porté leurs fruits. Ainsi, « en avril 2018, Action contre le sida au Togo a nommé pour la première fois une femme à sa tête : Mouhibatou Esteve », s’enthousiasme Karine Pouchain. Reste maintenant à amplifier le combat !
[1] Consortium d’associations françaises agissant dans la lutte contre le sida en Afrique, il est composé de Solidarité Sida, Solthis, le Planning familial et Sidaction.
Des inégalités de genre aussi chez les HSH
Les hommes qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH) sont aussi touchés par les inégalités de genre. « Nous avons constaté une transposition des normes hétérosexuelles dans les couples HSH, avec souvent un partenaire actif équivalent à l’homme dans les couples hétéros et un partenaire passif, rappelant la femme, regrette Franz Mananga, directeur d’Alternatives Cameroun, une association de personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGTB). Or une de nos études de terrain a montré que les partenaires passifs sont plus contaminés par le VIH et que les actifs se rendent moins souvent dans les services de prévention et de soins, et décident en général du port ou non du préservatif… un peu comme les femmes et les hommes des couples hétéros. »
Par ailleurs, le problème de représentation non égalitaire hommes-femmes concerne également les associations LGTB : alors qu’elles ciblent aussi des lesbiennes et des transgenres, celles-ci continuent à être dirigées essentiellement par des HSH. Alternatives Cameroun a pris conscience de cette réalité à la suite d’un atelier organisé par la plateforme Elsa en 2011. « Désormais, notre équipe comprend plus d’une dizaine de femmes, se réjouit Franz Mananga. Elles sont même plus nombreuses que les hommes. Et notre directeur administratif et financier est une femme. » Reste à recruter plus de femmes aux postes à responsabilités… et au moins un transgenre.