vih Glasgow 2020 : focus sur le long-acting

02.11.20
Nora Yahia
8 min
Visuel Glasgow
2020 : focus sur le long-acting

La conférence internationale « HIV Drug Therapy » de Glasgow sur les traitements VIH s’est tenue virtuellement, Covid oblige, du 5 au 8 octobre dernier. L’occasion pour les différents laboratoires pharmaceutiques de présenter leurs dernières innovations en matière de traitement, et l’avancement des essais thérapeutiques en cours. Plusieurs présentations ont porté sur les traitements à longue durée d’action. Retour sur les résultats présentés.

Les thérapies anti-VIH ont bien évolué au fil des décennies, aboutissant aujourd’hui au développement de traitements à longue durée d’action qui permettent d’espacer la prise quotidienne de comprimés. Que ce soit sous forme d’une prise orale hebdomadaire ou d’une formule injectable mensuelle, les compagnies pharmaceutiques innovent pour proposer un large éventail de possibilités aux personnes vivant avec le VIH (PvVIH) sous traitement.

MK-8507, nouveau médicament à prise hebdomadaire

Le laboratoire Merck a présenté deux études sur leur nouvel inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse (INNTI), à prise hebdomadaire, baptisé MK-8507. Ces essais de phase I ont analysé la pharmacocinétique ainsi que l’efficacité et la sureté du composé chez des sujets séronégatifs et des PvVIH. Concernant la pharmacocinétique du composé, le MK-8507 présente une durée de demi-vie [i] (entre 56 et 69 heures) trois fois plus longue que la doravirine, un autre INNTI du laboratoire. De plus, pour les trois plus fortes doses administrées, la concentration sanguine du composé demeure au moins une semaine à un taux de six fois la concentration nécessaire pour inhiber la réplication virale.

Dans l’essai réalisé chez les PvVIH naïfs de traitement, la prise de MK-8507 a entraîné une réduction de la charge virale à sept jours comparable à celles d’autres INNTI pris quotidiennement pendant la même période. Les investigateurs cliniques se sont aussi intéressés aux interactions médicamenteuses du composé avec le midazolam, une molécule de la famille des benzodiazépines, utilisé comme somnifère. En effet, son utilisation est contre-indiquée avec certains INNTI comme l’efavirenz. Les analyses ont montré que la concentration du MK-8507 n’est que très faiblement impacté par le midalozam. Concernant la sureté du composé, le mal de tête est le seul effet indésirable rapporté pouvant être lié à la prise du médicament. Ces premiers résultats encourageants ont conduit Merck à mener des études de phase II évaluant l’efficacité du MK8507 en prise hebdomadaire, dans le cadre d’une thérapie antirétrovirale combinée.

Du nouveau dans l’essai FLAIR

La professeure Chloé Orkin (Queen Mary University of London) a présenté les derniers résultats de l’essai FLAIR évaluant l’innocuité et l’efficacité d’une bithérapie par voir injectable, à base de cabotegravir et rilpivirine, en traitement initial. Les résultats à 96 semaines, présentés à la CROI cette année, montrent la non-infériorité de la bithérapie par rapport à la trithérapie à induire une suppression de la charge virale. L’essai a été étendu en ajoutant un nouveau bras dans lequel les participants du groupe contrôle sous trithérapie quotidienne ont eu la possibilité de passer sous bithérapie injectable.

Les personnes souhaitant changer ont été séparées en deux groupes : celles recevant directement le traitement injectable et celles passant par une phase de « prétraitement » à base cabotegravir et rilpivirine en prise orale de quatre semaines. Cette phase permet de s’assurer que les composés sont bien tolérés, avant de passer à la formule à action prolongée où les composés ne peuvent être retirés de l’organisme s’il y a un problème. Vingt quatre semaines après le changement (soit 124 semaines dans l’étude initiale), 93,4% des personnes ayant eu le prétraitement oral et 99,1% des participants ayant eu le traitement injectable présentaient une charge virale indétectable. 

Le traitement fut bien toléré de manière générale, l’effet indésirable le plus communément rapporté étant les réactions au site d’injection. Au regard des données de sûreté, les investigateurs cliniques ont conclu que le passage direct au traitement injectable était comparable à celui comportant une phase de prétraitement oral.

AMM européenne pour la bithérapie injectable en traitement de maintien        

L’essai ATLAS, a démontré l’efficacité de la bithérapie mensuelle cabotégravir plus rilpivirine par voie injectable, en traitement de maintien. Fort de ces résultats les investigateurs ont poursuivi leur étude avec l’essai ATLAS-2M, dont les résultats ont été présentés à la conférence. Cet essai évaluait l’efficacité de la bithérapie injectée cette fois tous les deux mois. Une partie des participants d’ATLAS ayant reçu les injections mensuelles est passée dans cet essai. Selon les données présentées par le Dr Vasiliki Chounta (ViiV HealthCare), le traitement bimestriel présente une efficacité similaire à la trithérapie dans le maintien d’une charge virale indétectable.

Au cours de ces essais, un échec virologique au traitement a été observé chez un très faible pourcentage des participants. Le Dr David Margolis (ViiV HealthCare) a présenté les résultats de l’analyse des facteurs influençant l’échec virologique. Selon les données, quatre facteurs sont associés avec cet échec virologique : 1) les mutations de résistance à la rilpivirine avant traitement, 2) le sous-type viral VIH-1 A6/A1 (présent en Russie), 3) l’indice de masse corporelle (pouvant affecter le taux de rilpivirine dans l’organisme) et 4) la concentration en rilpivirine en semaine 8. Il est à noter que c’est l’accumulation des plusieurs facteurs et non un seul qui est prédicateur de l’échec virologique. En effet, pour les personnes ayant deux ou plus de deux facteurs de risque, le pourcentage d’échec au traitement injectable avoisine les 26%, mais ce nombre reste tout de même faible dans les trois essais.

Au vu des résultats de ces trois essais, l’agence européenne des médicaments vient de donner son autorisation de mise sur le marché (AMM) pour cette bithérapie injectable. Ainsi l’injection mensuelle ou bimestrielle de Rekambys® (rilpivirine) et Vocabria® (cabotegravir) pourra être utilisée comme traitement de maintenance chez les PvVIH ayant une charge virale indétectable (moins de 50copies/ml), et n’ayant pas de résistance aux inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse et aux inhibiteurs d’intégrase.

Le passage à un traitement injectable bien accepté par les PvVIH en Europe

La conférence fut aussi l’occasion de présenter les résultats de l’enquête sur l’acceptabilité d’un passage à un traitement injectable. Cette enquête en ligne, menée par ViiV Heathcare en France, Allemagne, Italie et au Royaume Uni, a inclus 120 professionnels de santé et 688 PvVIH.

Concernant les réponses des PvVIH, 66% d’entre eux déclaraient être intéressées par cette forme de traitement. Les sondés ont évoqués de nombreux points positifs au passage à une thérapie à action prolongée. Parmi eux, la diminution de la fréquence de prise du traitement qui passe d’une prise quotidienne à une mensuelle (53% des sondés). L’efficacité du traitement sur une longue période a été énoncée par 56% des personnes sondées et le risque faible de manquer une prise par 51%. 

Autre point positif souligné par l’enquête : la facilité de pouvoir voyager sans besoin de prendre ses comprimés, même si pour certains le fait de devoir planifier leur voyage en fonction des rendez-vous d’injection représente une contrainte. La douleur ressentie suite à l’injection et la nécessité de se déplacer en centre de soins pour recevoir le traitement ont été évoquées par respectivement 35% et 32% des sondés.

Du coté des personnel soignants, la possibilité d’offrir ce type de traitement à leurs patients est plutôt bien accueillie. Pour autant, ils pensent que seulement 26% des patients sauteront réellement le pas vers la formule injectable. Même si les sondés ont pointé plusieurs effets positifs (contacts plus fréquents avec les patients), ils n’en oublient pas les inconvénients que cela pourrait occasionner. 57% des personnes interrogées ont peur de ne pas avoir le temps ni la capacité de voir les PvVIH chaque mois. La moitié des sondés ont également peur d’avoir à rebasculer leur patient sous une trithérapie conventionnelle.

Avec une AMM au Canada et en Europe, les traitements à longue durée d’action commencent à s’implanter dans le paysage des thérapies anti-VIH. Ce type de traitement, qui représente une certaine forme de liberté pour les PvVIH, va nécessiter la mise en place ou une adaptation du parcours de soin existant afin de pouvoir répondre aux besoins des personnes souhaitant passer aux formules injectables. 

Des questions demeurent néanmoins. Le traitement sera-t-il disponible partout ? Les différences de législation sanitaires dans les européens pays concernés rendra-t-elle cette bithérapie accessible à tous ? Comment les personnels soignants vont-ils gérer l’augmentation du nombre de visite ? Quel coût final pour les systèmes de santé ? Les études observationnelles qui sont encore à mener devront répondre à ces questions.

Notes

[i] temps mis pour que la concentration du composé diminue de moitié

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