vih Grandir ensemble : quand les ados africains se mobilisent pour lutter contre le VIH

23.01.21
Hélène Ferrarini
8 min
Visuel Grandir ensemble : quand les ados africains se mobilisent pour lutter contre le VIH

En Afrique francophone, via le réseau Grandir ensemble, la pair-éducation des adolescents s’organise et les jeunes vivant avec le VIH gagnent en visibilité, malgré une stigmatisation qui perdure.

C’est en Afrique subsaharienne que vivent l’immense majorité des enfants séropositifs. Aujourd’hui jeunes adultes et adolescents, ils demandent à ne pas être que des chiffres.« Il ne faut plus regarder les jeunes comme des numéros de dossiers, mais comme des personnes qu’il faut mettre au centre »plaide Camara Ben Zacariah, Ivoirien de 23 ans engagé comme pair-éducateur. En Afrique francophone, via le réseau Grandir ensemble, la pair-éducation des adolescents s’organise et les jeunes vivant avec le VIH gagnent en visibilité, malgré une stigmatisation qui perdure.

« Nous sommes des personnes en témoignage » commente Camara Ben Zacariah. « Nous avons franchi toutes les étapes : enfants, adolescents, jeunes » décline le jeune homme aujourd’hui âgé de 23 ans et pair-éducateur au sein de l’association CSAS à Bouaké, qu’il fréquente depuis l’enfance. « Beaucoup de personnes n’ont pas survécu à cause de la maladie, il y a le regret qu’elles soient décédées. Mais on peut se servir de cette faiblesse pour en faire une force. C’est un des aspects qui m’a le plus marqué pour m’engager » reconnaît-il. Ses paroles valent pour les autres jeunes aujourd’hui engagé dans la lutte contre le VIH en Afrique et qui tous et toutes évoquent la mémoire de leurs proches. 

Certains connaissent leur statut sérologique depuis l’enfance, marquée par des maladies à répétition ; d’autres l’ont appris à l’adolescence. « Pour la plupart, nous prenons des ARV depuis l’enfance » raconte Habib de l’association Avenir Positif de Pointe-Noire au Congo. Le jeune homme aujourd’hui âgé de 23 ans : « On nous disait qu’il y a un microbe en nous, un microbe… je ne comprenais pas trop » se souvient-il. Il avait 12 ans lors de l’annonce de son statut sérologique. « Certains ont accepté facilement leur statut, d’autres ont arrêté tout projet de vie, comme fonder une famille. Des questions se posent que je ne me suis jamais posées parce qu’au moment de mon entretien, avant mon annonce, on m’a dit que la vie suivra si je prends mon traitement. »

Fatima* avait 15 ans lorsqu’elle a appris sa séropositivité. « Au début, c’était difficile pour moi. Je me suis posée tant de questions : je me demandais est-ce que j’allais pouvoir avoir des enfants, me marier, avoir une longue vie. Au début, je pleurais chaque nuit. A l’association, j’ai vu d’autres personnes du même âge que moi qui ne semblaient pas inquiètes, qui avaient l’air heureuses, je me suis dit que moi aussi je pouvais être ainsi » raconte la jeune femme, aujourd’hui âgée de 21 ans et pair-éducatrice à l’association ARCAD Santé Plus de Bamako, pour laquelle elle accompagne cinq enfants. Elle leur téléphone régulièrement et leur rend visite. « Je veux que les gens puissent me prendre comme modèle, comme exemple. » Sa principale difficulté actuellement ? L’annonce de son statut sérologique à un partenaire amoureux. « Dans 90 % des cas, cela se passe bien, mais d’autres pensent que ce n’est pas la vérité et lorsque j’insiste, ils me disent d’arrêter. »

« Je me vois en eux »

Une difficulté partagée par Sitsope Adjovi Husunukpe, 22 ans. Elle raconte qu’un jeune homme a disparu après l’annonce de son statut, un autre a voulu en informer lui même sa famille. « Cela m’a heurtée parce qu’auprès de son partenaire, on cherche la protection. Je suis la seule personne à décider si ma séropositivité peut être partagée. » « J’ai eu une adolescence difficile à gérer. Je me suis éloignée du centre, je venais juste y prendre mon traitement. Je ne donnais plus la possibilité d’être aidée, accompagnée » raconte la jeune femme suivie par l’association Espoir Vie Togo depuis l’âge de six ans. « Dans l’adolescence, on se dit que l’on est déjà adulte, mais il faut toujours laisser une porte ouverte pour pouvoir être aidé. » Depuis deux ans, elle est engagée dans des activités de médiation. « La plupart du temps, je me retrouve dans les adolescents vivant avec le VIH » affirme-t-elle. « Je me vois en eux. » 

« Les adolescents ont plein de trucs à dire mais ne peuvent pas toujours le dire aux personnes âgées. Les adolescents sont mieux placés pour parler aux adolescents » explique Dieu-Donné Kossi Awolokou-Fiotekpor, 21 ans et membre de l’association Espoir Vie Togo depuis son enfance. « Avant 2017, moi-même je faisais des visites à domicile sans le savoir » raconte Dieu-Donné qui, sur son vélo, allait rendre visite à des camarades pour les soutenir. S’il a toujours été engagé dans l’accompagnement de ses pairs, il se dit pair-éducateur depuis 2017. « J’organise des réunions de groupe, je sensibilise les jeunes à bien prendre les ARV. » 

« La stratégie de la pair-éducation est déjà beaucoup utilisée mais elle n’est pas assez développée et documentée pour les adolescents, alors qu’elle fonctionne » plaide Rodrigue Koffi. En 2000, à l’âge de 14 ans, il participait à fonder, à Bouaké en Côte d’Ivoire, N’zrama (étoile en Baoulé), une association d’adolescents et de jeunes impactés par le VIH. En 2016, Rodrigue Koffi est missionné pour mener avec Sidaction l’évaluation des pratiques de pair-éducation dans plusieurs associations du programme Grandir qui touche alors à sa fin. Initié en 2006 pour dix ans par Sidaction et Initiative Développement, ce programme pour la prévention et la prise en charge du VIH/sida chez l’enfant soutenait 18 associations dans 11 pays francophones d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina-Faso, Burundi, Cameroun, Côte d’Ivoire, Mali, Tchad, Togo), du Centre (Congo, République démocratique du Congo) et à Djibouti. « Cette évaluation a permis de constater des formes d’autoengagement des jeunes, plus ou moins anciens dans la file active, qui sont progressivement devenus des courrois de transmission. » A l’issue de cette étude, le réseau Grandir ensemble se crée. Coordonné par Rodrigue Koffi, ce « réseau africain pour les enfants et adolescent.e.s vivant avec le VIH » réunit les 18 associations membres du programme Grandir et pourrait être rejoint dans l’année en cours par deux nouvelles structures. 

« L’impact de la pair-éducation est certain » commente Rodrigue Koffi, « notamment en termes de santé sexuelle, lors de la recherche de perdus de vue, quand les adolescents ne se sentent plus les bienvenus : les pairs éducateurs apparaissent comme des repères. Ils participent de l’amélioration de l’offre de service : ils peuvent épauler, prendre le relai des soignants. » Une participation qui pose aussi question : « comment qualifier cette activité ? Est-ce du bénévolat ? Du volontariat ? Comment gérer cela ? Avec quelles formes de motivation ? Et comment les accompagner ? » interroge Rodrigue Koffi. 

C’est pour répondre à ces questions qu’une formation à la pair-éducation a réuni en août 2018, à Cotonou au Bénin, dix associations du réseau Grandir ensemble, chacune représentée par deux jeunes et un soignant. Un premier guide pratique a été publié en 2020 : il « prévoit les domaines d’intervention et les limites des pairs éducateurs », décrit le coordinateur du réseau. Un guide complémentaire est attendu pour 2021. 

Un accès aux traitements encore limité

C’est aussi lors de cet Atelier de Cotonou qu’est né l’idée d’un manifeste cosigné par les membres du réseau Grandir ensemble. « Nous, adolescent.e.s et jeunes vivant avec le VIH, ne sommes pas reconnus comme une population clé de la lutte contre le VIH ! L’UNICEF nous qualifie même de’laissés-pour-compte’. Nous subissons un retard important dans l’accès aux traitements antirétroviraux (ARV). Alors qu’en 2017, 41 % des adultes vivant avec le VIH en Afrique de l’Ouest et du Centre avaient accès aux traitements, seuls 21 % des enfants de 0 – 14 ans, et environ 36 % des adolescent.e.s vivant avec le VIH étaient sous traitement » alerte le manifeste, s’appuyant sur des données de l’UNICEF. 

« Dans certains pays, les ruptures d’ARV persistent et se répètent depuis des années et nous sommes souvent les premiers à en pâtir. Les traitements ARV, notamment pédiatriques sont largement insuffisants » rappelle les cosignataires du manifeste, alertés lors de l’Atelier de Cotonou par des participants de ruptures d’ARV, d’absence de suivi biologique… Habib confirme ces difficultés : au Congo, « durant une période de deux ans, les ARV n’étaient pas disponibles ». « Le suivi biologique est un gros problème chez nous » ajoute-t-il. La priorité pour lui à l’heure actuelle au Congo ? La nutrition. « Le traitement ARV est très costaud. Le prendre sans manger nous affaibli. Cela ne nous aide pas. La nourriture est fondamentale » rappelle-t-il. 

La stigmatisation, les discriminations sont aussi un problème récurrent. Tous et toutes y ont été et y sont encore souvent confrontés. Pour Sitsope Adjovi Husunukpe, le réseau Grandir ensemble est une force : « savoir que d’autres personnes vivent la même situation, la même réalité donne de l’espoir et du courage pour affronter cette situation ». Pour les membres du réseau, les jeunes vivant avec le VIH doivent désormais être associés aux prises de parole et aux prises de décision. « Nous sommes les personnes les mieux placées pour parler » insiste Camara Ben Zacariah.

* Prénom modifié à la demande de la personne. 

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