Le monde entier a eu écho des patients de Berlin et, plus récemment, de Düsseldorf présentés comme ayant probablement guéri du VIH. Malgré tout, puisqu’à ce jour aucun traitement curatif n’a été trouvé, peut-on réellement appliquer le terme de guérison dans le contexte du VIH ? Retour sur les concepts de guérison – ou Cure – et de rémission apparus ces dernières années dans le champ du VIH.
On parle de plus en plus de « guérison » concernant l’infection à VIH. Mais qu’en dit la science ? Le Graal serait-il enfin atteint ? L’obstacle majeur à la guérison du VIH ou Cure est la présence de réservoirs viraux dans l’organisme, qui peuvent à tout moment se réactiver, produire de nouveaux virus et relancer l’infection. Pour pouvoir parler d’une guérison définitive l’idéal serait d’éradiquer le virus et d’éliminer toutes les cellules infectées – qui comprennent celles produisant activement du virus et celles composant le réservoir. La rémission consisterait à limiter les réservoirs pour qu’ils puissent être contrôlés par les mécanismes de défense de l’organisme.
De Berlin à Londres en passant par Düsseldorf
Les hommes connus sous les noms des patients de Berlin et de Londres ont été présentés comme les deux cas de « guérison » du VIH. Ces personnes ont subi une greffe de moelle osseuse afin de traiter leur cancer. Cette greffe d’un donneur compatible, a permis de remplacer les cellules sanguines malades par celles du donneur et ainsi reconstituer un nouveau système immunitaire. Dans le cas des patients de Berlin et de Londres, ces donneurs portaient une mutation sur le gène du récepteur CCR5 (CCR5Δ32/Δ32) – utilisé par le VIH pour infecter les cellules. Cette mutation entraine une absence d’expression du CCR5 à la surface des cellules immunitaires, cibles du virus. Elle rend donc les personnes la possédant résistantes à l’infection par les souches de VIH ayant un tropisme CCR5 [i]. Ainsi, les cellules sanguines des deux hommes (dont les cellules immunitaires), sont totalement remplacées par les cellules du donneur porteuses de la mutation CCR5Δ32/Δ32. Depuis l’arrêt de leur traitement antirétroviral (ARV), il y a 10 ans pour le patient de Berlin, deux ans pour le patient de Londres, aucun rebond de la charge virale n’a été observé. Il est à noter qu’un troisième patient est suivi par les médecins. Peu connu du grand public, le patient de Düsseldorf a subi le même traitement. Un an après arrêt de ses ARV, aucune trace de virus réplicatif n’a pu être détectée. Les trois hommes restent sous surveillance médicale étroite.
Vers un contrôle du VIH
Parmi les personnes vivant avec le VIH (PvVIH), certaines sont capables de contrôler leur charge virale sur une longue période de temps, sans prise de traitement ARV. La caractérisation de ces personnes se fait sur des critères virologiques : un contrôle de charge virale plasmatique à un niveau tellement bas qu’elle est indétectable par les techniques classiques utilisées en clinique. Ces contrôleurs naturels ou « Elite Controller », capables de maitriser la charge virale en n’ayant jamais pris de traitement, représentent environ moins de 1% des PvVIH. Les analyses menées auprès de ces personnes ont montré qu’ils avaient un taux de lymphocytes T CD4 assez élevés et une charge virale modérée dès la primo-infection. Les données scientifiques tendent à montrer qu’un terrain génétique favorable (surreprésentation des protéines HLA [ii] B57 et B27) et des lymphocytes T CD8 fonctionnels jouent un rôle important dans le contrôle naturel de l’infection.
Les contrôleurs post-traitement sont capables de maitriser leur charge virale après l’arrêt de leur traitement. Ces personnes ont préalablement été sous traitement antirétroviral depuis plusieurs années, et cela dès la primo-infection pour une grande majorité des cas. En France, les contrôleurs post-traitement sont suivis au sein de la cohorte VISCONTI, qui comptent aujourd’hui 25 personnes. Parmi elles, certaines contrôlent la multiplication du virus depuis plus de 17 ans. Une des pistes expliquant ce contrôle prolongé après arrêt des ARV est la mise sous traitement dès la primo-infection (dans les 10 semaines suivant la contamination) qui aurait préservé leur système immunitaire, notamment l’activité des cellules NK [iii], qui pourra prendre le relai sur le contrôle du virus une fois les ARV stoppés.
Deux types de profils ressortent chez les contrôleurs naturels et post-traitement : ceux qui maintiennent un contrôle absolu des charges virales et ceux qui peuvent avoir quelques épisodes de virémie.
Les réservoirs viraux derniers obstacles à la guérison
L’épée de Damoclès qui plane au-dessus de la guérison dans le cadre du VIH est le réservoir viral. En effet le point commun à tous les profils décrits ci-dessus est qu’ils n’ont pas éradiqué le virus de leur organisme. Celui-ci est toujours présent tapi dans l’ombre. Chez les contrôleurs naturels ou post-traitement, le réservoir est très faible, ce qui laisse à penser qu’il est plus facile de contrôler l’infection car il y a moins de cellules infectées. Dans ces cas la composante immunologique est importante. Chez les contrôleurs naturels, ce sont en partie les lymphocytes T CD8, dont la mission est d’éliminer les cellules infectées, qui jouent ce rôle primordial. Chez ces personnes ces cellules sont polyfonctionnelles, c’est à dire qu’elles peuvent produire simultanément plusieurs cytokines importantes, un atout majeur pour lutter contre le virus. À la différence des contrôleurs naturels, les contrôleurs post-traitement n’ont pas de réponse des lymphocytes T CD8 très efficace. Mais la mise en place rapide du traitement leur permet de réduire efficacement la taille de leur réservoir et de préserver en partie leur système immunitaire.
Dans le cadre des greffes de moelle, on ne peut pas être sûre à 100% que le virus a été éradiqué de l’organisme. Pour commencer, il faut savoir que la procédure de préparation à la greffe consiste à éliminer toutes les cellules dans le sang et la moelle afin de pouvoir les remplacer par celles du donneur. Cette procédure entraine également l’élimination des cellules infectées par le VIH, ce qui conduit à la disparition des marqueurs de présence du virus. Pour autant, dans certains cas cela ne dure qu’un temps.
Un exemple cité par le Dr Asier Saez-Cirion, virologue à l’Institut Pasteur, dans le cadre du consortium ICISTEM [iv] qui suit des PvVIH ayant subi une greffe de moelle (CCR5Δ32/Δ32 ou non). Un de ces patients (greffé avec des cellules exprimant le CCR5) avait tous les indicateurs VIH au négatif : pas d’ARN ou d’ADN viral dans le sang, les ganglions, les biopsies de l’intestin, ou encore la moelle. Il était même devenu séronégatif (pas de présence d’anticorps anti-VIH) après la greffe, ce qui est mieux que les patients de Londres ou de Berlin. Pourtant dans les trois mois suivant l’interruption de son traitement, le virus est réapparu. Les chercheurs ont mis à jour une fenêtre de vulnérabilité immunologique post-greffe expliquant en partie pourquoi le virus n’est pas totalement éradiqué. En réalité, malgré une diminution drastique du nombre de cellules infectées, certaines cellules réservoirs cachées dans les tissus pourront réenclencher une réplication virale dès que le traitement antirétroviral sera stoppé. Pour les patients greffés CCR5Δ32/Δ32, la nature de leur nouveau système immunitaire (dépourvu du récepteur CCR5) offre une protection contre le virus, seulement dans le cas où celui-ci a un tropisme CCR5.
Jusqu’à maintenant, les analyses virologiques menées chez ces personnes se sont révélées négatives quant à la présence du virus. Mais l’absence de ces marqueurs ne suffit pourtant pas à elle seule à définir la guérison.
Une question de temps ?
Comment alors appliquer au mieux les termes de guérison ou rémission à la pluralité de profils de PvVIH contrôlant leur charge virale sans traitement ? Le concept de rémission a été introduit pour la première fois dans l’étude VISCONTI [v]. Depuis très longtemps les contrôleurs du VIH étaient vus comme un modèle de guérison fonctionnelle : des personnes qui ne sont pas guéries mais qui d’un point de vue clinique ne voient plus ou peu de virus qui circule. Le problème est qu’au fil du temps le terme « fonctionnelle » a pu être perdu. Pour les chercheurs de la cohorte VISCONTI, la situation observée avec leurs patients était très similaire à ce qui se produit dans le contexte de rémission du cancer. Les patients ont eu besoin d’un traitement, mais pendant l’état de rémission le virus/cancer n’était pas visible pendant des longues périodes. Pour autant, cela n’excluait pas que le virus/la tumeur puisse réapparaitre plus tard. Ici, le terme rémission équivaut au terme guérison fonctionnelle.
En faisant abstraction de la persistance du réservoir viral, le facteur temps semble être très important pour définir ce terme. Pour Timothy Brown qui n’a pas eu de rebond viral depuis 10 ans, le terme de guérison est employé, sans pour autant être sûre que le virus est bien éradiqué de son organisme. Si l’on concède que l’on peut parler de guérison lorsque sur une période de temps longue aucun rebond viral n’a été observé, alors ce terme pourrait tout aussi bien être appliqué aux contrôleurs post-traitement. En effet, plusieurs d’entre eux n’ont pas expérimenté de rebond viral depuis de nombreuses années (jusqu’à 20 ans), et pour certains une disparition des cellules infectées dans le sang été observée. Pour les patients de Londres et de Düsseldorf, il est encore tôt pour parler de guérison, le terme de rémission est plus approprié aujourd’hui, mais peut être que dans quelques années, nous pourrons parler de guérison.
Pour conclure, le terme guérison devrait être employé avec vigilance. Les cas de rémission durable (sur plusieurs années), avec une absence de marqueurs virologiques (ARN ou ADN) détectables peuvent être qualifiés de guérison fonctionnelle mais pas de guérison, car la question de la persistance du virus dans l’organisme restera toujours présente. Avec toute la batterie de marqueurs d’analyse virologique utilisés s’ils sont positifs le virus est toujours là, s’ils sont négatifs il est difficile de savoir. Seul le temps pourra le dire.
[i] Le tropisme fait référence au type de corécepteurs (CCR5 ou CXCR4) qu’utilise le virus pour infecter les cellules.
[ii] Human Leukocyte Antigen ou antigène leucocytaire humain. Ce sont des protéines exprimées à la surface des globules blancs ou leucocytes et indiquant au système immunitaire que ces cellules font partie de l’organisme
[iii] https://vih.org/20150224/cohorte-visconti-des-cellules-nk-a-forte-activite-anti-vih-observees-chez-les-controleurs-apres-traitement-arv-precoce/
[iv] https://www.icistem.org/
[v] https://journals.plos.org/plospathogens/article?id=10.1371/journal.ppat.1003211