vih Gwenaël Domenech-Dorca : « La PrEP a clairement eu de grands impacts sur la vie sexuelle des individus »

06.12.16
Vincent Douris
10 min

Gwenaël Domenech-Dorca mène un travail post-doctoral en psychologie sociale au sein de l’équipe Genre, Sexualité, Santé du Centre de Recherche en Epidémiologie et Santé des Populations, intitulé Entre enjeux individuels et injonctions normatives : Contaminations par voie sexuelle des Gays engagés dans la lutte contre le VIH/sida.

Vincent Douris : Ton travail de post-doctorat renouvelle la question de la tension entre information et comportement. Tu t’interroges notamment sur la façon dont les personnes informées sur les risques de prévention du VIH, y compris les personnes en charge de l’élaboration de messages de prévention, se retrouvent elles-mêmes confrontées aux risques sans mettre en adéquation leur comportement à ce qu’elles recommandent à d’autres. Est-il facile pour ces personnes de s’interroger sur cette contradiction ?

Gwenaël Domenech Dorca : Quand, dans le cadre de son travail ou de son engagement militant, un acteur de prévention du VIH diffuse des connaissances en santé sexuelle et notamment fait des recommandations sur la réduction des risques de contamination par le VIH, il parle avant tout de santé. Il n’y a donc pas de contradiction avec la sexualité – en général – et encore moins avec la sienne. C’est pour cette raison qu’il nous semble nécessaire de proposer une alternative aux approches théoriques basant la prévention du VIH uniquement sur la connaissance des comportements en adéquation avec la préservation de sa santé en faveur d’une approche fondée principalement sur l’activité humaine au travers de laquelle la transmission du VIH est la plus importante : la sexualité.

Nous demandons beaucoup aux personnes qui acceptent de nous accompagner dans nos recherches car ce n’est jamais simple de parler d’expériences de la vie sexuelle, qui relèvent de l’intime et sur lesquelles nous ne mettons que rarement des mots en dehors de notre entourage proche. Pour ce faire, nos discussions débutent sur la vision qu’elles ont de leur sexualité et nous explorons avec elles leurs désirs et leurs plaisirs ; passés, présents, et futurs ; ce qu’elles y cherchent et ce qu’elles leur procurent. En clair, nous ne cherchons pas à comprendre comment la prévention transforme la sexualité mais comment la sexualité incorpore – ou pas – les connaissances et les pratiques de santé portées par les discours de prévention dans la logique de la vie érotique. Notre approche est fondée sur l’exploration de l’activité sexuelle et de son vécu psychique et c’est dans un deuxième moment que nous essayons de comprendre comment celle-ci a incorporé la « gestion des risques ».

Entretien à l’occasion de la journée Homosexualité et VIH : rapport aux risques et prévention médicalisée organisée par Sidaction le 7 décembre 2016.

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VD : Cela, me semble-t-il, peut conduire à une lecture relativement pessimiste, par laquelle on peut se dire que l’impact de campagnes ou d’interventions de prévention basées sur la santé n’ont pas ou peu d’impact. Et la constance du taux de découvertes de séropositivité chez les gays, et plus généralement chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, peut conforter cette vision. Vois-tu, à travers ton travail, des profils différents se dévoiler ? Vois-tu des configurations plus favorables aux messages de santé que d’autres ?

GDD : Toutes les personnes que nous rencontrons sont fortement investies dans le maintien de la santé tant au niveau individuel que collectif. Pourtant, nous constatons des rapports subjectifs et pratiques différents à la prévention. Si, pour la majorité, le préservatif est la garantie d’une sexualité libre et sans risque de contamination, il est également la source d’un inconfort parfois incompatible avec le lâcher-prise nécessaire à l’atteinte du plaisir et, dans le cas des relations amoureuses, à la « fusion » avec l’autre. Ainsi, si chacun aspire à une sexualité naturelle où la peur de la maladie (pour soi et pour les autres) n’entraverait plus les plaisirs, nous devons tous trouver le moyen de sortir de l’inconfort ou de la culpabilité.

Comme tous les acteurs de prévention j’ai eu parfois du mal à faire le pont entre les sexualités et les informations de prévention de la santé. C’est toujours complexe d’accompagner une promotion de la santé adressée au plus grand nombre quand elle vise une intimité si merveilleusement multiple.

Aussi, je suis très optimiste au contraire. Actuellement les nouvelles campagnes de santé publique mettent l’accent sur l’éventail des moyens de protection disponibles en fonction de sa sexualité, de ses envies et des plaisirs que l’on recherche, et c’est une bonne chose. En sortant la prévention du cadre de la scénographie de l’acte sexuel, la PrEP se propose de protéger la santé tout en défendant les scripts de la sexualité dans toutes leurs déclinaisons comportementales. C’est ainsi que la pilule contraceptive avait rendu possible le déroulé d’un scénario d’activité sexuelle construit comme naturel, c’est à dire sans interruption contraceptive. Si certains argumentent, à juste titre peut-être, que les utilisateurs de préservatif vont changer leur mode de protection au profit d’une méthode médicamenteuse, il est évident que c’est en sortant les individus de la culpabilité entourant leur sexualité qu’ils seront le plus à même de prendre en charge leur santé. Dans ce sens, les accompagnements que nous mettons en place dans les différentes offres de santé sexuelle, comme ceux des psycho-sexologues dans les CeGIDD, mettent l’accent sur les trajectoires individuelles car la santé sexuelle repose sur une sexualité épanouie.

VD : Dans quelle mesure vois-tu cet optimisme partagé ? As-tu constaté chez les intervenants de prévention certaines des réserves sur la biomédicalisation de la prévention que l’on entend parfois chez certains chercheurs ?

GDD : La mutualisation des efforts et des intelligences nous a rendus optimiste. C’est dans cette dynamique positive, où il n’existe pas de contradiction entre protection de la santé et sexualité épanouie que nous travaillons.

La plupart des militants que je rencontre se font les échos des espoirs médicaux et n’ont que peu de réserve envers une chimie prophylactique. Pour ces derniers, si la « pharmacologisation » ne sera jamais LA réponse parfaite, elle présente l’avantage certain d’étendre la couverture de prévention au plus grand nombre en la conciliant avec des rapports sexuels pénétratifs sans préservatif et l’échange, voire les jeux, de fluides corporels. Une partie des personnes que j’ai rencontrées y voient en l’occurrence la possibilité d’arrêter le préservatif. Ce n’était toutefois pas la cible première de cet outil qui visait en priorité ceux qui n’utilisaient pas – suffisamment – le préservatif à hauteur de leurs prises de risques. Les voix dissonantes se fixent dès lors sur ces trajectoires d’évolutions préventives pour augurer de l’augmentation des IST dans cette population à forte consommation sexuelle et, à terme, de l’émergence de nouvelles souches résistantes aux antirétroviraux par le truchement d’une observance aléatoire. Malheureusement, il n’y a pas de place actuellement pour un débat autour de cette question. J’irai même plus loin, on assiste à un ostracisme systématique des personnes et des groupes qui interrogent le dispositif de prévention qui se met en place. Cette dynamique, ou plutôt cette absence de dynamique, est délétère à plusieurs points. Tout d’abord, la controverse est la base de l’émulation de la communauté scientifique puisqu’elle nous oblige à rendre des comptes sur nos positions et nos actions et à les évaluer régulièrement. Ainsi, c’est de l’analyse de nos pratiques – sous des perspectives humaines, sociales et scientifiques – que nos actions trouvent leurs optimisations. Mais avant tout, d’un point de vue humain, cette stigmatisation aboutit à ne présenter de soi uniquement ce qui est en accord avec le discours dominant et, dans les cas les plus extrêmes, à cacher son statut sérologique, ou sa séroconversion, afin d’éviter le regard des autres au sein même de la communauté de lutte contre le VIH.

VD : Certains peuvent craindre que la « biomédicalisation » de la prévention laisse peu de place aux approches en sciences humaines et sociales. Est-ce également ce que tu appréhendes ?

GDD : Je préfère le terme de « pharmacologisation » qui est plus précis pour rendre compte de la situation actuelle, caractérisée par un déplacement en faveur d’outils pharmaceutiques et qui n’inclut pas l’usage de préservatif. Ainsi, l’ouverture de la prescription de la PrEP en janvier dernier a clairement eu de grands impacts sur la vie sexuelle des individus et sur la manière dont s’organise le maintien de la santé de la population. La (re)prise en main de la prévention de la santé par le monde médical ne me semble pourtant pas être l’aboutissement auquel aspirait la communauté VIH dans son ensemble. Dans ce sens, j’entends régulièrement des discours de mécontentement que l’on pensait disparus au profit d’une communauté séroconcernée dépassant les clivages professionnels et donnant l’exemple d’une démocratie sanitaire en marche.

A mon sens, le principal point sur lequel nous devons être vigilants est de ne pas restreindre l’évaluation de nos actions sur la seule dimension du nombre de nouvelles contaminations.

J’ai parfaitement conscience que parler de subjectivité, d’émotions, de plaisirs et de désirs avec toutes leurs contradictions, leurs absences de raisons, de rationalités ou de contrôle peut faire peur et qu’il est plus simple de préférer ce que l’on pense maîtriser, à savoir, quantifier ce que l’on imagine objectif. Pourtant, « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » (c’est la définition de l’OMS, de 1946, réaffirmée en 2002 dans la cadre de la santé sexuelle). Dans ce sens, en replaçant en 1986 la santé comme une ressource du quotidien, la charte d’Ottawa sur la promotion de la santé nous invitait déjà à alimenter ce levier, dans toute sa complexité, afin d’atteindre l’épanouissement et le bien-être individuel. Dans toutes ces dimensions de la santé et du bien-être de l’humanité, qui ne se limitent pas au biologique, les sciences humaines et sociales, et notamment la psychologie, ont un apport spécifique qui n’est pas à négliger pour comprendre ce que vivent les personnes. C’est donc dans ce sens que je travaille avec le groupe formé autour d’Alain Giami (équipe CESP-Inserm : Genre, Sexualité, Santé), où nous étudions les aspects subjectifs et politiques de la sexualité et qui m’a conduit à explorer la clinique sexuelle en psychologie que j’applique dans le cadre d’une consultation en CeGIDD ouverte en janvier dernier au CHU Xavier-Bichat.

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