Il ne suffit pas de disposer de moyens de prévention efficaces : encore faut-il qu’ils soient prescrits aux personnes pour lesquelles ils sont utiles. A ce sujet, les barrières ne sont pas toujours là où on les attend.
L’intention de prescrire la PrEP par les soignants a fait l’objet d’un travail aux conclusions curieuses. Sarah Calabrese, de l’université de Yale, Etats-Unis, a mené une enquête auprès d’étudiants en médecine. Plus d’une centaine ont discuté de leur intention de prescrire la PrEP en fonction de l’usage des préservatifs par leurs patients potentiels et de différents scénarios relatifs à leur sexualité. L’usage de préservatifs était catégorisé en trois segments : usage constant, non usage constant et non usage envisagé sous PrEP. Les scénarios relatifs à la sexualité l’étaient en deux hypothèses : relation avec un partenaire séropositif au VIH sans traitement et relations multiples avec des partenaires de statut inconnu. Enfin, les motifs du non usage de préservatifs étaient distinctement catégorisés : désir d’enfants, intimité, plaisir et dysfonction sexuelle.
Sarah Calabrese souligne le caractère paradoxal des réponses. En effet, si les patients indiquaient vouloir poursuivre l’usage de préservatifs une fois sous PrEP, les médecins se déclaraient bien plus enclins à vouloir prescrire la PrEP que si leurs premiers répondaient ne pas utiliser de préservatifs ou ne plus souhaiter en utiliser une fois sous PrEP. Les motifs du non usage faisaient en outre l’objet d’appréciations très polarisées : l’intention de procréer est le seul motif pour lequel le non usage du préservatif paraissait légitime, quand tous les motifs liés à la sexualité étaient disqualifiés.
Sarah Calabrese estime ainsi que le système de valeur personnel des soignants peut influencer de manière négative la prescription de PrEP. Elle souligne que la crainte de la compensation du risque peut obérer l’accès effectif à des moyens de prévention efficaces. Le recul de l’usage des préservatifs une fois sous PrEP est attesté, mais ce qui ne l’est pas est la moindre efficacité de la PrEP sans préservatifs. Ainsi, Sarah Calabrese plaide pour une approche non jugeante de la prescription de PrEP et la mise en place d’un dialogue avec les soignants visant une meilleure reconnaissance par ces derniers de leurs biais personnel. Elle estime en outre que les guidelines relatives à la PrEP doivent clairement aborder la question de l’usage combiné de PrEP et de préservatifs, faute de quoi, l’accès à la PrEP des personnes qui en ont le plus besoin pourrait se trouver durablement limité.
Des préoccupations similaires sont discutées par San Patten (San Patten and associates, Canada) et Marc-André Leblanc (Resonance Project, Canada). Tous deux ont mené des séries d’entretiens ou de focus groups avec des personnels de santé en vue de mieux saisir la nature des freins relatifs à la promotion de la PrEP.
San Patten met en avant des approches variées, qui varient entre pragmatisme et paternalisme. Si certains discours peuvent se révéler enthousiastes, d’autres sont teintés de jugement et se révèlent parfois stigmatisant. Un sentiment fort de recherche d’équité est exprimé par les personnels de santé, mais la plupart d’entre eux doutent de la capacité de leur public à comprendre les enjeux liés à la PrEP ou encore de leur disposition à se saisir de ce moyen de prévention. A l’instar de Sarah Calabrese, San Patten met en avant la difficulté à traiter de l’usage combiné de la PrEP et des préservatifs. Elle souligne également les risques liés à une approche moraliste de la sexualité des potentiels bénéficiaires de la PrEP.
De son côté, Marc André Leblanc discute de la spécificité des personnels en charge de programme de prévention quand ils sont eux-mêmes issus des communautés auprès desquelles ils interviennent. Les échanges avec ces derniers mettent à jour des difficultés à séparer les aspects personnels du rapport à la prévention des aspects professionnels. Il estime en effet que les informations délivrées diffèrent selon que les interlocuteurs sont des proches ou des bénéficiaires de service. Il plaide pour l’élaboration d’un consensus sur la nature des informations à délivrer en vue de réduire les biais de subjectivité et de réflexivité des intervenants.
Ce même appel à des guidelines consensuelles est lancé par Monique Wyatt (Harvard Medical School, Etats-Unis). Au cours du Demonstration Project « Partner », Monique Wyatt a mené une série d’entretiens avec des personnels soignants du site de Kampala, Ouganda. Ces derniers expriment un intérêt manifeste et reconnaissent la PrEP comme un outil prometteur de prévention du VIH. Toutefois, ils estiment que la PrEP n’est appropriée que dans les situations de conception. Les raisons avancées pour limiter la promotion de la PrEP sont la crainte des abus, la PrEP pouvant conduire au renforcement du multipartenariat, conçu comme immoral, et la crainte d’une mauvaise observance, pouvant conduire à des résistances.
A l’instar de Marc-André Leblanc, Monique Wyatt estime que la production de guidelines nationales serait de nature à lever ces craintes et à renforcer les capacités des personnels de santé à promouvoir de façon adéquate la PrEP comme moyen de prévention efficace.