vih HSH et don de sang : des avancées à pas prudents

24.09.20
Romain Loury
9 min
Visuel HSH et don de sang : des avancées à pas prudents

Ouvert en juillet 2016, l’accès au don de sang des hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH) a été élargi en avril dernier. Si le débat reste vif entre les associations, l’étape finale, à savoir la fin du critère d’orientation sexuelle, semble en vue. À la condition sine qua non que le risque transfusionnel de VIH demeure minimal.

« Les critères de sélection du donneur ne peuvent être fondés sur le sexe du ou des partenaires avec lesquels il aurait entretenu des relations sexuelles » : le 1er juillet, des députés sont parvenus à inscrire, par voie d’amendement dans le projet de loi bioéthique, la fin d’une « discrimination » vieille de vingt-sept ans. À savoir le fait que les HSH ne sont pas sur un pied d’égalité avec les hétérosexuels en matière de don de sang.

Comme lors d’une précédente tentative parlementaire, en octobre 2018, le gouvernement, tout en s’engageant à avancer sur le sujet, n’a pas laissé passer ce nouvel essai. Le 31 juillet dernier, en séance publique, il a remis le curseur à sa position initiale, celle en vigueur depuis avril : parmi les HSH, seuls ceux n’ayant pas eu de rapport sexuel au cours des quatre derniers mois sont autorisés à donner leur sang.

Fermé en 1983, rouvert en 2016

Bref rappel historique : l’exclusion des HSH du don de sang a été promulguée en juin 1983, dans un contexte d’épidémie naissante de VIH. Le sujet a été relancé au cours des années 2000 par des militants LGBT préférant prôner l’adoption de critères de « comportements » à ceux de « population » à risque. Si le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) rejette l’idée que le don de sang constituerait un droit qu’un groupe pourrait revendiquer, la Halde [i], puis son successeur, le Défenseur des droits, ont pris parti pour la notion de comportements à risque, plutôt que d’orientation sexuelle.

Après plusieurs promesses ministérielles non tenues, il a fallu attendre juillet 2016 pour que le sujet connaisse une première percée : alors ministre de la Santé, Marisol Touraine a non seulement ouvert le don de plasma à tous les HSH (selon les mêmes critères que les hétérosexuels), mais aussi le don de sang, du moins de manière très restrictive : aucun rapport sexuel avec un homme depuis au moins un an. Ce qui, dans les faits, s’adressait en particulier aux hommes ayant vécu une expérience occasionnelle par le passé, rarement à ceux se définissant comme homosexuels.

À cet égard, la nouvelle étape franchie en avril dernier a été plus déterminante : l’exclusion ne concerne désormais plus que les HSH ayant eu un rapport au cours des quatre derniers mois. Le ministère de la Santé se déclare toutefois prêt à aller plus loin : « cette décision est une première étape, la cible fixée étant l’alignement à terme des critères pour tous les donneurs, la disparition de la référence à l’orientation sexuelle au profit de la recherche d’un comportement individuel à risque », indique-t-il dans un communiqué publié en décembre 2019, lors de la parution de l’arrêté. Cette ouverture des critères pourrait avoir lieu « à l’horizon 2022 », avancent Benoît Vallet et Jérôme Salomon, respectivement ancien et actuel directeurs généraux de la santé, dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire publié en avril par Santé publique France [ii].

12 mois ou 4 mois : un risque résiduel similaire

Comment cette transition de douze à quatre mois sans rapport sexuel a-t-elle été décidée ? Sur la base d’une étude menée par Santé publique France : ces travaux de modélisation ont comparé deux scénarios à la situation alors en vigueur, celle d’une exclusion des HSH sexuellement actifs au cours de l’année écoulée. Dans le premier scénario, le don de sang était ouvert aux HSH sans rapport sexuel depuis au moins quatre mois ; dans le second, les critères étaient identiques à ceux des hétérosexuels, avec exclusion de ceux ayant eu plusieurs partenaires au cours des quatre derniers mois.

Finalement retenu par le gouvernement, le premier scénario révèle un risque résiduel de contamination non détectée équivalent à celui du scénario de référence. C’est-à-dire un cas pour 6,3 millions de dons, soit un don tous les deux ans. Quant au deuxième scénario, dont l’estimation est « moins robuste » d’un point de vue statistique, il montre un risque accru de 50 %, soit un cas sur 4,3 millions de dons.

Selon le directeur médical de l’Établissement français du sang (EFS), Pascal Morel, « le risque d’un don potentiellement contaminé tous les deux ans est acceptable uniquement parce qu’il est minimal ». Et d’ajouter : « Nous avons fait une étape à quatre mois, elle est parfois mal vécue, je le comprends. Mais en l’état des connaissances, nous n’avons pas la preuve que nous n’accroîtrions pas le risque. » Dans les faits, le risque est probablement très inférieur à celui estimé par Santé publique France : le dernier cas recensé d’infection transfusionnelle par le VIH remonte à 2001.

Pourquoi, au vu du contrôle virologique poussé conduit par l’EFS, ce risque n’est-il pas égal à zéro ? Le diagnostic génomique viral (DGV), utilisé depuis 2001, repose certes sur une méthode très sensible de détection du VIH, la transcripted-mediated amplification (TMA), mais il ne permet de détecter que le virus circulant. D’où une « fenêtre silencieuse » de neuf jours entre l’infection et la possible détection du virus, pendant laquelle une contamination passerait inaperçue.

À la suite de cette première série de travaux de Santé publique France, d’autres ont été lancés. Parmi eux, l’étude Complidon 2, qui, comme Complidon 1 menée en 2017, évaluera le taux de « non-compliance » aux critères entrés en vigueur en avril, à savoir leur compréhension par les donneurs. « Complidon 2 permettra de déterminer si le risque est suffisamment maîtrisé », explique Pascal Morel. C’est en effet sur la base de cette étude que sera conduite une nouvelle estimation du risque de contamination. Si les résultats sont concluants, le gouvernement devrait accorder son feu vert aux HSH monopartenaires depuis au moins quatre mois, gommant toute différence avec les hétérosexuels.

Entre associations, le débat continue

À défaut d’y mettre fin, ces études, passées et en cours, permettent d’aplanir les désaccords tenaces entre les associations. « Il est intéressant que ces deux discours coexistent, cela crée une tension qui a permis de faire avancer les choses, de pousser à ce que des études soient menées, estime Clément Molizon, administrateur de SOS Homophobie, qui milite pour l’ouverture du don aux HSH, mais pas au prix d’une augmentation du risque. » Plutôt optimiste sur l’issue des travaux en cours, il regrette de « ne pas voir de budgets supplémentaires pour ces études. On ne nous a pas fixé d’échéance », affirme-t-il.

Avec l’affaire du sang contaminé en toile de fond, une éventuelle hausse du risque constitue le premier argument d’associations nettement plus sceptiques. Selon le président de la Fédération française pour le don de sang bénévole (FFDSB), Michel Monsellier, « ce n’est pas une question d’opposition, mais de risque de contamination, lié à des pratiques sexuelles à risque. Cela ne concerne pas tous les homosexuels, et c’est pour cela que les critères ont évolué ».

Président de l’Association française des hémophiles (AFH), Nicolas Giraud dit aussi « n’avoir ni dogme ni problème avec le passage de douze mois à quatre mois, du moment que ces évolutions reposent sur des données scientifiques ». Quant à la demande « d’inscrire le droit du don pour tous dans la loi, c’est bien beau, mais il ne s’agit pas d’un droit », ajoute-t-il, déplorant que la position de l’AFH l’amène à « être pointée comme “discriminante”, ce qui n’est absolument pas le cas ».

Mêmes propos à Aides, dont le directeur, Marc Dixneuf, se dit « tout à fait favorable à une ouverture sur la base des études[de Santé publique France], mais pas au motif que cela serait une discrimination ». Déplorant un manque d’intérêt des associations LGBT pour la santé gaie, il y voit « une négation du droit à la sécurité des receveurs, mais aussi de l’épidémie de VIH. [Ces critères de sélection] sont tout de même fondés sur quelque chose que tout le monde connaît depuis quarante ans ! Un gay multipartenaire, ce n’est pas la même chose qu’un hétéro multipartenaire », du seul fait de la circulation très active du VIH au sein de la communauté.

Autre grief, le sujet du don de sang chez les HSH occulterait celui, plus vaste, de l’évolution des critères de sélection : « beaucoup de personnes voudraient donner leur sang, mais ne le peuvent pas », déplore Nicolas Giraud. Exemple, les personnes ayant vécu au Royaume-Uni entre 1980 et 1996 sur des durées cumulées supérieures à un an, en raison d’un risque très hypothétique de la maladie de la vache folle. Ou encore les personnes ayant elles-mêmes été transfusées. « Tout le monde est d’accord sur la même chose : que la sécurité soit maximale, qu’un maximum de gens puisse donner leur sang », estime le président de l’AFH. Un appel d’autant plus nécessaire que les réserves de sang, Covid-19 oblige, sont dans une situation « extrêmement inquiétante », a annoncé l’EFS mi-septembre.

Notes

[i] Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité. Créée en 2004, elle a été dissoute en 2011, ses missions étant confiées au Défenseur des droits.

[ii] BEH, n°8-9, 2 avril 2020.

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