Pour la conception et le suivi des essais Cure, les chercheurs travaillent étroitement avec les personnes vivant avec le VIH et les associations qui les représentent. Explications avec Hugues Fischer, militant d’Act Up-Paris.
Transversal : vous vivez avec le VIH et vous militez dans une association de lutte contre le sida… Quelle est votre participation aux essais Cure ?
Hugues Fischer : Je suis représentant associatif dans le comité de pilotage de RHIVIERA [i], une initiative ouverte et pluridisciplinaire dont le but est de proposer des pistes et des stratégies pour atteindre la rémission du VIH, et qui dirige des essais Cure. Depuis 2017, au sein de ce groupement, je suis le porte-parole du TRT-5 CHV, un collectif interassociatif qui rassemble 14 associations de lutte contre le VIH, les hépatites et les infections sexuellement transmissibles, dont Act Up-Paris.
T. : l’implication d’associatifs dans des essais thérapeutiques est-elle courante ?
H. F. : Oui. Que ce soit pour les essais Cure ou pour d’autres études ayant trait à la recherche thérapeutique contre le VIH, l’agence ANRS-Maladies infectieuses émergentes (ANRS-MIE) [ii] a l’habitude d’inclure des représentants de personnes vivant avec le VIH (PVVIH) dans les comités qui pilotent ces projets. Ce partenariat est unique dans la recherche française ; il est même la marque de fabrique de la communauté VIH. Cela dit, il n’en a pas toujours été ainsi…
T. : c’est-à-dire ?
H. F. : Au début de l’épidémie, il y a près de quarante ans, le milieu de la recherche n’était pas ouvert aux profanes. Mais, très vite, les associations de PVVIH ont voulu rencontrer les chercheurs afin d’être informées sur l’évolution des travaux menés sur le virus et de participer aux décisions concernant ces recherches. Cela a parfois créé des tensions. Mais quand on nous fermait la porte…, nous rentrions par la fenêtre ! Cette relation qui s’est progressivement construite dans le domaine du VIH a ensuite été généralisée à toute la santé : en 2002, une loi [la loi du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite loi Kouchner, ndlr] a instauré la démocratie sanitaire, qui implique un dialogue et une concertation entre les chercheurs et les patients lors de l’élaboration et de la mise en œuvre de recherches concernant ces derniers. Résultat : désormais, dès que l’ANRS-MIE commence à concevoir un projet de recherche, elle propose au collectif TRT-5 CHV d’inclure un ou quelques-uns de ses représentants dans les réunions traitant de ce projet.
T. : pourquoi est-il particulièrement important que des représentants de PVVIH participent à la conception des essais Cure ?
H. F. : Notamment parce que ce type d’études implique des risques spécifiques pour les participants. Les essais Cure porteront, en effet, sur des PVVIH qui, grâce à leur traitement antirétroviral (ARV), ont une charge virale contrôlée et qui, de ce fait, vivent une vie normale, sans risque de transmettre le VIH. Or lors de ces recherches, cet équilibre pourrait être perturbé, car, sans aucune garantie de bénéfice direct, les participants devront interrompre leur traitement pendant un certain temps [durant au moins six mois dans le cadre de l’essai Cure ANRS 175 RHIVIERA 01, lancé début 2023, ndlr]. Il est donc nécessaire que des représentants de PVVIH donnent leur avis – celui de personnes directement concernées – au cours des discussions qui abordent les aspects éthiques de l’inclusion aux essais cliniques.
T. : concrètement, dans le comité de pilotage de RHIVIERA, comment intervenez-vous lors des échanges sur ce sujet ?
H. F. : En tant que représentant du TRT-5 CHV, je fais des propositions – discutées au préalable avec le collectif – sur ce qui paraît légitime et le plus respectueux possible à faire – ou à ne pas faire – vis-à-vis des PVVIH qui participeront aux essais Cure. Les représentants associatifs interviennent également pour proposer d’éventuelles mesures à adopter afin de limiter au mieux les risques et, ainsi, sécuriser le plus possible les participants. Enfin, nous apportons un certain savoir-faire éthique et de vulgarisation pour la rédaction des notes d’information et de consentement à l’intention des participants. Sur ce dernier point, depuis sa création, en 1992, le TRT-5 a toujours été impliqué dans la conception de ces notices ; c’est même ce qui a créé notre légitimité vis-à-vis de l’ANRS. En pratique, nous émettons des suggestions sur comment « traduire » les messages scientifiques, souvent jargonneux, en des termes compréhensibles par tous.
T. : les PVVIH sont-elles demandeuses de participer aux essais Cure ?
H. F. : Oui ! Car, malgré les risques susmentionnés, la recherche Cure est porteuse d’un grand espoir pour toutes les PVVIH : arriver un jour à guérir l’infection par le VIH et, ainsi, pouvoir arrêter les ARV, un traitement lourd (prise quotidienne) qui peut induire des effets indésirables (allergies, fatigue, mal de tête, nausées, diarrhée, etc.) et des comorbidités plus ou moins importantes, comme les maladies cardiovasculaires liées à une prise de poids favorisée par certains ARV. De fait, les essais Cure sont d’un intérêt majeur pour les personnes vivant avec le VIH. J’espère que cette recherche, complexe et qui n’en est qu’à ses débuts, débouchera sur des résultats positifs.
[i] Pour « Remission of HIV Infection Era » : ère de la rémission de l’infection à VIH.
[ii] Agence qui anime, évalue, coordonne et finance la recherche sur le VIH, les hépatites virales, les infections sexuellement transmissibles, la tuberculose et les maladies infectieuses émergentes et réémergentes.