Le réservoir viral est l’ultime obstacle à franchir pour venir à bout de l’infection VIH et enfin parler de guérison ou « Cure ». Etabli dès les prémices de l’infection, le réservoir persiste, tapis dans l’ombre, à l’abri dans les cellules. Caractériser le réservoir et identifier la pluralité des paramètres impliqués dans son établissement et son maintien mènerait au développement de stratégies permettant d’en limiter la taille, voire l’éradiquer.
Au cours de l’infection, le virus va intégrer son génome dans celui de la cellule pour fabriquer de nouveaux virus. Lors de ce processus, une partie de ces cellules contenant l’ADN viral intégré (ou provirus) va entrer en « sommeil ». C’est ce que l’on nomme les réservoirs viraux. Ces cellules peuvent persister de nombreuses années dans cet état de latence. Ces provirus étant inactifs, les traitements antirétroviraux actuels, qui agissent à différentes étapes du cycle viral, ne sont pas capables de les atteindre. Le moindre changement conduisant à une réactivation de ces cellules va entraîner le « réveil » des provirus qui vont alors produire de nouveaux virus.
Connaitre son ennemi pour mieux le combattre
Caractériser finement les réservoirs viraux, permettra de trouver les failles à exploiter pour les détruire. Les mystères du réservoir ne sont pas tous élucidés, mais la recherche a tout de même apporté des réponses à un grand nombre de questions. Au cours du symposium dédié aux réservoirs viraux, le Dr Daniel Douek (NIH, USA) a présenté une vue d’ensemble des connaissances acquises.
Chez les personnes sous traitement, 99 % des cellules infectées se trouvent dans les tissus lymphoïdes (intestins et ganglions) [i]. Elles forment la source de virus ré-activable quand le traitement est stoppé. Le profil du réservoir viral est pluriel. La grande majorité des cellules du réservoir contient des provirus défectueux, incapable de produire de nouveaux virus si les cellules sont activées. Les autres cellules contenant des provirus compétant se subdivisent en plusieurs groupes. Dans certaines cellules, l’ADN viral est intégré dans des zones dites de « désert génique », c’est à dire des zones qui ne sont pas actives transcriptionnellement. Dans ces cas, même si la cellule est réactivée elle ne pourra pas produire de nouveaux virus. Les provirus compétant peuvent aussi se retrouver dans des lymphocytes T CD4 dans un état de profond sommeil et qui ne peuvent être réactivés.
Une très faible portion du pool du réservoir est composée de provirus compétents, intégrés dans des zones transcriptionnellement activables dans des cellules pouvant être réactivées. Selon le Dr Douek, il est difficile de trouver des marqueurs spécifiques d’identification pour ces cellules-là, autrement qu’en se basant sur l’analyse du provirus. Pour lui, rechercher ces cellules serait « comme chercher une aiguille dans une botte de foin faite d’aiguille ». Bien que la proportion de ces cellules soit infime, elle peut conduire à un rebond de l’infection virale, si le traitement est stoppé.
Un rôle du nombre de CD4 sur la taille du réservoir ?
L’étude menée par l’équipe du Pr Edwina Wright (Université de Melbourne, Australie) s’est intéressée à savoir si le taux de lymphocytes T CD4 pouvait influencer sur la taille du réservoir, chez les personnes ayant initié précocement leur traitement antirétroviral. L’étude a enrôlé 146 participants, dont 60% de femmes, dans trois pays : Ouganda, Pérou et Afrique du Sud. Les personnes ont été réparties en différents trois groupes, selon leur nombre de CD4 à l’inclusion dans l’étude : 500-599, 600-799, >800 cellules/mm3.
Une analyse poussée des marqueurs de la persistance virale a été menée sur des échantillons prélevés trois ans après la mise en place du traitement : mesure de l’ADN total du VIH, de l’ADN circulaire non intégré, de l’ARN non épissé dans les cellules CD4 et l’ARN plasmatique. L’équipe a également évalué l’état d’activation des lymphocytes T, en mesurant l’expression des marqueurs HLA-DR, PD-1 and pSTAT5.
Les résultats indiquent que l’ADN total et l’ARN viral plasmatique ont été significativement réduits chez les personnes ayant commencé leur traitement avec un nombre de lymphocytes T CD4 supérieur à 800 cellules/mm3. De même, l’expression du marqueur d’activation HLA-DR dans les lymphocytes T CD4 était significativement plus faible chez ces personnes. Concernant les autres paramètres mesurés (ADN circulaire non intégré, ARN non épissé associé aux cellules, expression des marqueurs PD-1 and pSTAT5) aucune association avec le taux de CD4 n’a été trouvée. Une forte corrélation a été trouvée entre l’expression de pSTAT5 et les faibles taux d’ADN viral et d’ARN non épissé. De manière plus générale, les paramètres virologiques mesurés étaient significativement plus faibles chez les femmes que les hommes.
Selon les auteurs de l’étude, l’ensemble de leurs données indiquent que les personnes vivant avec le VIH, avec un taux de lymphocytes T CD4 ≥ 800 cellules/mm3 à l’initiation de leur traitement, présentent une meilleure capacité à éliminer les cellules infectées de manière latente. Ces profils pourraient constituer un groupe pouvant potentiellement bénéficier d’études sur les stratégies de guérison fonctionnelle.
[i] https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28967921/