Des personnes migrantes LGBTI en passant par le non-recours ou l’usage de la PrEP, la seconde plénière du 22ème congrès de la SFLS s’est attaché à analyser les déterminants sociaux qui freinent l’accès aux soins et à la prévention. Et à présenter les leviers à disposition pour les contourner.
« Inégalité de santé et VIH », voici le thème ambitieux choisi pour la 22ème édition du congrès de la SFLS, un thème largement abordé lors des plénières de l’évènement. Alors que la première souhaitait fixer un cadre de compréhension des inégalités sociales de santé [voir encadré], la seconde a fait place à l’illustration du phénomène, puisant dans les données issues du terrain.
A la croisée des rapports de domination : les personnes migrantes LGBTI
Premiers intervenants de cette plénière, Helena Revil et Grégory Beltran, deux chercheurs à l’Observatoire des non-recours aux droits et aux services (ODENORE), ont d’abord présenté quelques éléments concernant le non-recours et le renoncement aux soins[i] par les personnes migrantes LGBTI, éléments issus d’une étude en cours.
Précisant à quel point cette population est à la fois disparate, peu visible et peu accessible, les deux chercheurs ont rappelé, en contrepoint, à quel point son niveau de prévalence et d’incidence au VIH était élevé. Une situation rendue plus inquiétante par le fait que les personnes migrantes LGBTI renoncent régulièrement à se faire soigner.
Pourquoi ? « A la croisée des rapports de domination », en tant que personnes appartenant à une minorité sexuelle et racisées, cette population doit malheureusement faire face à de nombreux obstacles si elle souhaite se faire soigner.
Comme le soulignent les deux chercheurs, les personnes migrantes LGBTI éprouvent principalement, à l’instar de la population migrante générale, des difficultés à s’orienter dans le système de soins. Elles doivent également prioriser d’autres problèmes, tel que le logement ou le travail, sur leur propre état de santé.
Par ailleurs, les barrières sont également administratives, faute de droits ouverts en France et d’accès à la couverture sociale. Enfin, les discriminations présentes et passées (vécues dans le pays d’origine) sont également prégnantes concernant le renoncement, influant sur le rapport que les migrants LGBTI entretiennent avec les soins et les soignants.
Les inégalités d’accès à la prévention : l’exemple de PrEP
Outil de prévention incontournable, la PrEP, malgré la promotion qui en est faite par les autorités de santé et les associations de lutte contre le VIH, est encore largement sous-utilisée[ii]. Comme le souligne le docteur Nicolas Vigner, praticien hospitalier à Cayenne et second intervenant de la plénière, le recours à la PrEP reste déterminé par de nombreux facteurs sociaux.
Ainsi, si elle concerne près de 32 000 personnes en France, il n’en reste pas moins qu’elle touche peu les femmes, les personnes trans, les jeunes, les personnes migrantes, les personnes en situation précaires (7% d’usagers de la PrEP sous CMU-C) ou vivant hors des grands centres urbains.
A suivre les résultats de l’étude ERAS 2019 menées auprès des HSH non séropositifs, la PrEP concernerait donc plus souvent les hommes ayant un bon niveau d’étude, avec une situation financière favorable et résidant dans une grande agglomération. Nicolas Vignier souligne ainsi une triple inégalité éducative, jouant sur la capacité à s’informer et se saisir de l’outil PrEP, financière et territoriale, le nombre de prescripteurs étant réduit, souvent localisé dans les services hospitaliers des grandes villes.
Appelant à faciliter l’accès à la PrEP à certaines populations qu’il considère négligées par le dispositif, notamment les hommes, les femmes et les personnes trans migrantes ou étrangère, vivant dans les outre-mer et/ou en situation de précarité, Nicolas Viginier s’appuie sur les dernières recommandations du Conseil national du Sida (CNS) pour inviter à mettre en place des dispositifs de dispensation de la PrEP en « aller-vers » opérés par les acteurs communautaires.
Quels leviers actionner pour lutter contre les inégalités sociales de santé ?
Dernière intervenante de la session, France Lert, présidente de Vers Paris sans Sida, conclue cette plénière sur une note plus positive, détaillant les leviers pour lutter contre les inégalités sociales de santé (ISS).
Soulignant l’ampleurs du travail qu’il reste à faire pour s’assurer d’un accès équitable à tous aux soins et à la prévention, notamment en direction des personnes migrantes, des travailleurs du sexe, des usagers de drogue ou, encore, des personnes LGBT, France Lert s’inspire des exemples offerts par la lutte contre le VIH pour pointer le rôle moteur joué par les associations et la société civile en matière de réduction des inégalités sociales de santé.
Les modalités d’action qu’elle détaille sont nombreuses, de l’interpellation aux manifestations en passant par des opérations de plaidoyer pour faire évoluer les recommandations. Mais aussi l’expérimentation de nouveaux modèles existant déjà ailleurs dans le monde, comme l’avait fait, par exemple, Médecins du monde (MDM) avec son programme d’échange de seringues.
Par ailleurs elle invite à faire évoluer la configuration de l’offre de soins et de prévention en misant sur de nouvelles stratégies de communication adaptées à la diversité des publics, en développant toujours plus « l’aller-vers », en renforçant l’accessibilité du dépistage sur l’exemple d’Au labo sans ordo (ALSO), en s’appuyant sur la formation des professionnels de santé et sur des médiateurs, en tirant parti de la crise sanitaire pour développer les auto-prélèvement, ou en comptant sur la recherche pour aboutir à de nouvelles modalités de prévention.
Dernier élément, central à ses yeux, elle insiste sur la nécessiter de faire évoluer le vocabulaire désignant les personnes les plus susceptibles d’être concernées par les inégalités d’accès au soin. Parler de Personnes vivant avec le VIH, de travail du sexe ou de personne trans est une manière, en nommant avec respect, « de faire sauter ce qui peut créer et entretenir des formes de stigmatisation ».
Inégalités sociales en santé : de quoi parle-t-on ?
Les inégalités sociales de santé couvrent les différences d’état de santé entre individus ou groupes d’individus, liées à des facteurs sociaux, qui sont inéquitables et qui sont potentiellement évitables. Il peut s’agir d’écarts importants concernant l’espérance de vie ou la plus forte probabilité d’être atteint de telle ou telle maladie selon le groupe social auquel on appartient ou la région dans laquelle on habite. Ainsi, par exemple :
- à 35 ans un cadre peut espérer vivre 6,3 ans de plus qu’un ouvrier, cet écart étant de 3 ans pour les femmes ;
Ces inégalités résultent d’une inégalité de distribution d’une multitude de déterminants sociaux tels que le genre, le pays de naissance, la composition familiale, le revenu, la scolarité, le métier, le soutien social mais aussi d’autres déterminants plus globaux, telles que les politiques sociales. Les déterminants sociaux sont à l’origine des inégalités sociales de santé, définies comme « toute relation entre la santé et l’appartenance à une catégorie sociale ». Ces inégalités s’accompagnent d’inégalités territoriales d’accès à des services ou à l’emploi selon les territoires. Elles s’accompagnent aussi de disparités de qualité de vie, d’environnement et de travail.
[i] Le non-recours aux droits et aux services désigne le fait qu’une personne remplissant pourtant les conditions d’obtention d’un droit social ou d’une prestation liée à un service public ne va pas en bénéficier.
[ii] CNS, Avis sur la place de la PrEP dans la prévention du VIH en France : changer de paradigme, changer d’échelle, 2021