Certaines recherches sur la cure du VIH nécessitent l’interruption temporaire du traitement antirétroviral des participants. Comment concilier l’utilité de cette approche et la protection des personnes qui acceptent de s’y soumettre ? Des recommandations viennent d’être publiées.
Dans la recherche sur le VIH qui vise une suppression durable de la charge virale, voire l’éradication du virus, les interruptions analytiques du traitement (ATI en anglais) sont de plus en plus utilisées. Les chercheurs doivent cependant y avoir recours à moindre risque pour les volontaires qui contribuent aux études tout en s’assurant qu’elles conservent leur intérêt scientifique. Sur ce tiraillement, une position consensuelle faisait défaut à la communauté scientifique. Mais cette page est tournée avec la publication par différents experts du VIH – médecins, biostatisticiens, virologues, immunologues, militants associatifs, chercheurs en sciences sociales, etc. – des conclusions d’un atelier de réflexion auquel ils avaient participé en 2018, aux États-Unis.
Principes clés
Le traitement antirétroviral doit être pris à vie. S’il est interrompu, la charge virale contrôlée redevient détectable (on parle de « rebond viral »), exposant les individus à des risques : résistances virales, syndrome rétroviral aigu (symptômes de la primo-infection), diminution des plaquettes, apparition de maladies liées au VIH.
Pourquoi les ATI se justifient-elles dans le cadre de certains essais ? À ce jour, seul le laps de temps entre l’arrêt du traitement et la réapparition de la charge virale est l’indicateur majeur d’efficacité des différentes stratégies testées, telles certaines immunothérapies censées retarder le rebond virologique. En outre, les ATI permettront peut-être un jour d’identifier des marqueurs biologiques annonçant l’imminence du rebond virologique, par exemple des marqueurs d’inflammation détectés dans le sang.
Tenant compte de ces deux réalités, les experts ont mis l’accent sur la nécessité que toute personne souhaitant participer à ce type d’études soit le plus complètement informée des risques et des avantages d’une ATI avant de signer son consentement. Selon eux, cet éclairage ne devra pas se limiter aux risques cliniques. Un investigateur pourrait par exemple aborder avec un patient la question de l’expansion du réservoir du VIH (cellules infectées par le VIH, mais ne produisant pas de nouveaux virus pendant une longue période) en citant les études selon lesquelles, si cette expansion est inévitable pendant une ATI, elle devrait se résorber dans les six mois qui suivent la reprise du traitement.
Deux autres principes clés ont été soulignés. D’abord, il serait inacceptable que les ATI soient utilisées pour générer des hypothèses sans fondement scientifique (une stratégie ne devrait être éprouvée dans ce cadre que si des données d’études in vitro et/ou sur l’animal suggèrent son efficacité). Ensuite, tout investigateur devra démontrer la justification scientifique de l’étude qu’il souhaite conduire et définir à l’avance les critères d’interruption ou de poursuite de cette recherche.
Qui seront les participants
Le souci de protéger les personnes des risques a conduit les experts à définir des critères types d’éligibilité aux études exploitant des ATI.
Il s’agirait donc de personnes dont la charge virale est bien contrôlée par le traitement antirétroviral, préalablement à l’entrée dans l’étude ; qui n’ont pas de comorbidités graves ; dont le système immunitaire est fonctionnel et qui, avec 500 CD4 ou plus, sont pressenties comme pouvant tolérer une charge virale élevée pendant un certain temps.
De l’avis général des experts, les complexités inhérentes aux enfants (infection à la naissance, systèmes immunitaire et neurologique incomplètement développés, dépendance vis-à-vis des adultes pour les choix thérapeutiques) indiquent la nécessité de recommandations qui leur soient plus spécifiques.
Critères d’exclusion
Le groupe d’experts a aussi défini des critères d’exclusion. Globalement, ne pourraient participer à ces recherches des personnes ayant des coïnfections actives (tuberculose, hépatites), un cancer, des résistances du VIH à leur traitement antirétroviral, des maladies cardiovasculaires, rénales ou hépatiques, une histoire médicale rapportant une maladie définissant le stade sida, un nadir (niveau le plus bas jamais atteint) de CD4 inférieur à 200/mm3 ou encore les femmes enceintes.
Les experts ont pourtant fait preuve de flexibilité : il n’est pas nécessaire d’exclure de ces essais des personnes dont l’hépatite C a guéri spontanément ou sous l’effet d’un traitement ; la tuberculose latente n’est pas un critère d’exclusion, à condition que l’on ne perde pas de vue la possibilité de son activation en l’absence du traitement ; traités dans le passé, certains cancers n’indiqueraient pas forcément un critère d’exclusion.
Risque de transmission sexuelle
Le risque de la transmission sexuelle du VIH au cours d’une ATI – inexistant lorsque la charge virale est parfaitement contrôlée par le traitement – a été largement discuté. Les experts ont insisté une fois de plus sur la nécessité de fournir aux participants une information complète sur ce risque, mais aussi d’en faire des acteurs de la prévention du VIH en les incitant à transmettre cette information à leurs partenaires sexuels. Cette démarche devrait d’ailleurs englober des explications sur les prophylaxies préexposition (PrEP) et postexposition (TPE), les divers modes de dépistage du VIH et leur accessibilité.
Les investigateurs doivent-ils pour autant s’engager à réduire, de manière plus directe, les risques auxquels s’exposeraient ces partenaires ? À leur fournir, a minima, ces services de prévention, alors que le droit à la confidentialité des participants doit toujours être respecté ? Faut-il prendre en considération les seuls partenaires stables ou aussi les partenaires occasionnels ?
En reconnaissant l’importance des problèmes éthiques soulevés par ces questions, mais aussi les difficultés pratiques d’une action de prévention auprès des partenaires en général, les experts ont pris le parti d’un conseil information intensifié auprès des seuls participants aux recherches. Mais le débat, amorcé à travers la communauté des chercheurs et des personnes atteintes, dont une autre publication scientifique récente s’est fait l’écho, n’est pas près d’être tranché.