Du haut de ses 28 ans, Andréa Mestre entend bien contribuer à libérer la parole autour du VIH/sida. Pour cela, elle prend la plume et conte, en ligne, son quotidien de femme séropositive et de mère de famille. Un combat pour la joie, loin des préjugés.
Malgré la fatigue inhérente à sa vie de jeune maman, Andréa Mestre semble aussi douce qu’inébranlable. Celle qui répond à nos questions en veillant précieusement sur sa troisième fille, âgée d’à peine quelques semaines, est bien déterminée à faire avancer les choses par la force de son témoignage. Sur la toile, elle se livre en effet à travers Instagram et ses deux blogs : Vivre Après, dédié à sa lutte contre le VIH/sida et Jolies petites choses, qui dévoile, entre douceurs et bons conseils, quelques extraits de son quotidien. « Mon témoignage est intéressant, parce qu’il casse les idées reçues. Beaucoup de gens pensent qu’il n’est pas possible d’avoir des enfants et une vie de famille épanouie quand on a le VIH/sida ».
Il faut dire qu’il fut un temps, où elle-même a eu bien du mal y croire. Son envie d’écrire et de bouger les lignes, elle la puise dans le souvenir douloureux de sa propre expérience. Lorsqu’elle se fait dépister pour la première fois, il y a 6 ans, elle ne s’attend pas à découvrir qu’elle est séropositive. « J’étais jeune, je ne faisais pas d’excès, je n’avais aucun symptôme, je ne me sentais donc pas réellement concernée ». Mais le résultat tombe comme un couperet : positif.
Pour Andréa Mestre, tout s’arrête. « Socialement, le VIH/sida, c’est toujours difficile, mais dans la culture africaine, c’est vraiment la fin du monde. » La jeune femme rentre alors dans une spirale de silences et de souffrances. Sa famille proche la soutient, mais il s’agit de ne surtout pas le dire, au moins de gens possible. Rester discrète pour espérer avoir du travail. Et faire une croix sur l’amour et les enfants. « On se demande ce qu’on a fait de mal pour vivre comme ça, avec le poids du secret et de la honte, alors qu’on est juste malade ». Au rejet social s’ajoutent les difficultés médicales. Détectée alors que l’infection est au stade sida, elle doit faire face à la lourdeur des traitements et de leurs effets. « J’ai vécu un an de calvaire, qui s’est terminé par une tentative de suicide. Heureusement pour moi, je m’en suis bien sortie ».
C’est une rencontre qui va venir désamorcer son désespoir. Quand elle fait la connaissance de Nicolas, le courant passe très vite, mais elle craint pourtant de lui révéler sa séropositivité. « Je l’imaginais fuir. Il avait toute la vie devant lui, pourquoi serait-il resté avec moi alors que j’avais le VIH/sida ? Mais quand je lui ai appris, il m’a répondu que ça ne changeait rien pour lui. Il était amoureux et il n’avait pas peur. Ça a été une grande surprise. ». La réaction de celui qu’elle épousera quelques mois plus tard va transformer le regard qu’elle-même porte sur sa maladie. « Ça m’a donné beaucoup de courage, et petit à petit, ça m’a permis de guérir de la détresse psychologique dans laquelle l’annonce de la séropositivité m’avait plongée ».
Aujourd’hui, Andréa Mestre et son mari ont trois petites filles en bonne santé. « Bien sûr, j’ai été très bien encadrée médicalement, et je prends tous les jours un traitement qui impacte ma forme, même si je m’y suis habituée. Mais, à côté de cela, j’ai une vie tout à fait normale, je suis une maman comme les autres. Et c’est ça, mon message. » Un message qui lui tient à cœur et qu’elle diffuse désormais en ligne. Ce besoin de partager est arrivé il y a quelques années. « A un moment, je me suis dit que j’avais tout ce que je désirais, et que je ne pouvais plus vivre dans la honte. C’est là que j’ai commencé à nourrir l’idée d’en faire un combat ». Cette honte tenace, qui assombrit trop souvent le quotidien des personnes vivant avec le VIH/sida, elle décide donc de la défier en publiant son histoire sur les réseaux sociaux.
Au début, elle s’attend au pire, mais reçoit rapidement « beaucoup de soutien et d’amour ». Preuve que les mentalités évoluent doucement, même si l’ignorance et la peur restent de mise. « Il faut démystifier la maladie. Ça n’arrive pas qu’aux autres ! De nombreuses personnes sont encore bloquées dans des stéréotypes qui datent des années 1980/90. Certaines m’accusent même de mentir, parce que je ne corresponds pas à l’image qu’elles se font d’une personne séropositive. Parce que je ne suis pas maigre, que j’ai l’air épanoui, que j’ai des enfants… ».
La jeune Lyonnaise a toujours aimé écrire, alors pour tordre le cou aux opinions préconçues, elle raconte les petites choses du quotidien, elle explique, rassure et répond aux questions des personnes touchées, de près ou de loin. De fil en aiguille, ses mots se frayent un chemin. Originaire de Côte d’Ivoire, elle se réjouit de pouvoir toucher la communauté africaine. « En Afrique de l’Ouest, c’est très difficile de sortir de la stigmatisation, les gens ont vraiment peur du rejet, et préfèrent parfois ne pas prendre leurs médicaments plutôt que d’y faire face ». Elle aimerait s’impliquer davantage dans des associations – et pourquoi pas créer la sienne -, en France ou sur le continent africain, pour ouvrir la voie et continuer à communiquer sur cette « vie d’après » où tout reste possible.
« Nous manquons de témoignages de gens qui vivent avec le VIH/sida, et certaines informations ont du mal à passer. Moi-même, par exemple, j’ai su au bout de quelques mois que j’étais indétectable, mais on ne m’a pas expliqué tout de suite que cela voulait dire que je ne transmettais plus le virus ». Une différence pourtant significative pour elle et son conjoint. Mais en matière de VIH/sida, la science évolue plus vite que les mentalités, alors Andréa Mestre a compris l’importance de donner de l’écho à son vécu. « C’est une maladie sexuellement transmissible, et ça envoie un signal qui n’est pas facile à gérer, d’autant plus pour une jeune femme. J’aimerais pouvoir dire à toutes celles qui apprennent leur séropositivité qu’elles pourront travailler, avoir des enfants, être amoureuses. Que la vie n’est pas finie, qu’elle recommence lorsque l’on est sous traitement, et qu’on devient plus fortes ».
Si ces filles sont trop jeunes pour le moment – l’ainée vient d’avoir 4 ans –, elle songe déjà à la meilleure façon de leur parler de tout ça. Pour elle, pas question de mener le combat sans sa famille. Son mari, ses enfants, ses proches, ce sont les raisons qui lui ont données la force de se battre. Quand on lui demande ce qu’elle souhaite pour l’avenir, elle répond : « j’aimerais évidemment que l’on trouve une façon de guérir du VIH/sida ou au moins, d’alléger les traitements. Mais j’aimerais aussi pouvoir remédier aux impacts psychologiques de la maladie. C’est ça, le plus dangereux ». Alors, et même si sa voix tremble de temps à autre, en évoquant les heures les plus sombres de son parcours, Andréa Mestre continue d’avancer et de diffuser son message, « pour que le VIH/sida ne soit plus une malédiction ». Avec le sourire, comme arme de reconstruction.