Responsable du développement des essais cliniques à l’ANRS (Agence nationale de recherche sur le sida) et président du groupe d’experts chargés d’actualiser les recommandations en matière de traitement du VIH de 1990 à 1996, le professeur Jean Dormont s’est éteint le 1er février 2021 à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière à Paris à l’âge de 91 ans.
L’homme a toujours été d’une grande discrétion. Plus soucieux d’écouter les autres et de transmettre son savoir que de faire parler de lui, Jean Dormont fait pourtant partie de ces hommes qu’il est difficile d’oublier quand on les a connus. Du militant associatif aux grands professeurs spécialisés dans le VIH, tous ont voulu rendre hommage à son esprit novateur et sa profonde humanité.
Né le 28 septembre 1929 à Paris, Jean Dormont a commencé sa carrière scientifique dans les années 60 à l’hôpital Necker auprès du professeur Jean Hamburger, alors chef du service de néphrologie. À ses côtés, il s’est spécialisé dans l’immunologie des greffes et les problèmes éthiques que soulèvent les greffes issus de donneurs vivants.
En 1970, il quitte Necker pour prendre la direction du service de médecine interne à l’hôpital Antoine-Béclère qui vient de se construire à Clamart (92). C’est là que le Professeur Jean-François Delfraissy, alors jeune interne, fait sa connaissance : « Jean Dormont était un grand monsieur, un grand serviteur de l’État, nous confie l’ancien directeur de l’ANRS. C’était à la fois un grand scientifique et quelqu’un d’une très grande humanité. Il m’a montré une direction que je n’ai eu de cesse d’essayer de suivre. Je lui dois beaucoup. »
Coordinateur des essais thérapeutique de l’ANRS (1987-2002)
Directeur de l’unité Inserm de néphrologie et d’immunopathologie puis doyen de la faculté de médecine de Paris-Sud, Jean Dormont s’intéresse très vite au VIH auquel il consacre la fin de sa carrière. Nommé coordinateur des essais thérapeutiques de l’ANRS peu après la création de l’agence alors qu’il a déjà presque 60 ans, il participe en 1988 au lancement avec le MRC (Medical Research Council) de l’essai multicentrique Concorde (ANRS 002) qui tente de déterminer à quel stade il convient de prescrire l’AZT aux personnes infectées par le VIH. Un premier essai qui est ensuite suivi par les essais Alpha (ANRS 006), Delta (ANRS 017) et Initio (ANRS 089).
« Là où Jean Dormont a été particulièrement novateur c’est par sa décision d’ouvrir ces essais à tous les acteurs, se souvient Patrick Yeni, actuel président du Conseil national du Sida. Il n’impliquait pas seulement les chercheurs et les cliniciens mais aussi des virologues, des statisticiens, des spécialistes en sciences sociales et des épidémiologistes. » Au sein de ce groupe, « Jean Dormont était plus qu’un chef d’orchestre. Il savait stimuler la réflexion, apaiser les discordes, faire émerger les idées », se souvient Christine Rouzioux, professeur émérite de virologie et présidente d’Arcat. « C’était aussi un grand monsieur qui avait beaucoup de considérations pour les patients. Je me souviens qu’il avait inclus dans l’équipe un chercheur en sciences sociales spécialisé dans la qualité de vie, ce qui ne se faisait alors qu’extrêmement rarement », souligne-t-elle.
Toujours à l’écoute, il fait très vite participer le milieu communautaire à la recherche. Pour lui, le fait que le patient s’intéresse à sa maladie n’est pas seulement légitime mais également une excellente chose. Aussi, « quand Didier Lestrade, co-fondateur d’Act-up va le voir à l’ANRS pour la première fois, il lui dit :’Ah ! Enfin, vous vous décidez à venir nous voir. On vous attendait !’ », nous raconte Maxime Journiac, ancien membre du TRT5.
« Jean Dormont était un peu comme un grand-père pour nous, résume Didier Lestrade. Au début, il me semblait sortir d’une vieille génération un peu poussiéreuse, mais en entrant en tant qu’observateur à l’AC5 [i] j’ai appris à le connaître et j’ai découvert un homme d’une grande gentillesse. J’ai été très ému quand il a quitté l’ANRS car son départ marquait la fin d’une époque. En nous ouvrant grand les portes, il nous a permis de déconstruire certains mythes, certains préjugés que nous avions vis-à-vis de la recherche institutionnelle. »
Profondément pédagogue et toujours ouvert à la discussion, il savait prendre du temps pour faire comprendre des notions compliquées aux profanes et tenait à impliquer les uns et les autres
Le rapport Dormont en 1990, 1993 et 1996
Estimé et reconnu par ses pairs, Jean Dormont s’est également vu confier par Claude Évin, alors ministre de la Santé la direction des premières recommandations pour le traitement et la prise en charge des personnes vivant avec le VIH en février 1990. Réactualisées en 1993, et 1996 « ces recommandations, alors appelées rapport Dormont [ii] ont par leur approche globale fait à la fois consensus et autorité. Elles ont induit pas mal de modifications dans l’organisation des soins », note encore Patrick Yeni.
Comme à son habitude, Jean Dormont a voulu pour les établir constituer un groupe d’experts multidisciplinaires auxquels il a associé les acteurs communautaires de la lutte contre le sida. « Sa vision inclusive avait quelque chose de très précurseur. Il a été un de ceux qui ont tout de suite compris que cette implication était importante et utile, note le Dr Jean-François Chambon, ancien directeur d’Arcat Sida – aujourd’hui directeur de la communication et du développement de l’Institut Pasteur – qui l’a suivi une bonne partie de sa carrière. Il conclut : « Je garde de lui le souvenir de quelqu’un de très brillant, de très élégant et de très délicat. Je n’ai jamais vu s’énerver. Il fait partie pour moi de ces grandes figures de la médecine qui sont à la fois des scientifiques, des experts mais aussi de grands humanistes. »
[i] Dans le cadre des essais menés sous l’égide de l’Agence Nationale de Recherches sur le sida (ANRS), l’Action Coordonnée n°5 (AC5), disparue depuis, était la cellule qui élaborait et discutait le programme des recherches cliniques.
[ii] Elles seront reprises et poursuivies par J-F. Delfraissy, Patrick Yeni et Philippe Morlat.