vih Jennifer Gorwood : « Le VIH contribue au mauvais fonctionnement des tissus adipeux »

07.03.20
Nicolas Gateau
6 min
Visuel Jennifer Gorwood :
« Le VIH contribue au mauvais fonctionnement des tissus adipeux »

Transversal : Avec larrivée des dernières générations dARV, l’étude de limpact des traitements ou du VIH sur les tissus adipeux ne semblait plus vraiment dactualité. Pourquoi sy intéresser aujourdhui

Jennifer Gorwood : Historiquement, les laboratoires de recherche ont d’abord travaillé sur les premières formes de dysfonctions du tissu adipeux constatées chez les personnes vivant le VIH (PVVIH), les lipodystrophies [i]. Assez spectaculaires, qu’il s’agisse d’une perte de graisse au niveau du visage, des membres ou des fesses, celles-ci étaient principalement liées aux premiers traitements, très toxiques, comme la stavudine. Aujourd’hui, on s’intéresse moins à ce type de lipodystrophies qu’à la prise de poids anormal, avec une accumulation de graisse abdominale parfois conséquente, chez les PVVIH. C’est une préoccupation de plus en plus importante, chez les médecins comme chez les patients.

T : Quest-ce qui justifie cette prise de conscience?

JG : Que les cliniciens commencent à tirer la sonnette d’alarme n’est pas vraiment un hasard. Progressivement, depuis qu’a été trouvée une solution thérapeutique viable, les médecins se sont moins inquiétés du virus en soi, que de la manière de bien vivre avec. Nécessairement, on s’est de plus en plus intéressé aux comorbidités qui affectent les PVVIH, notamment celles qui vieillissent : la prise de poids, et ses conséquences sur la santé, en est une.

T : Vos recherches portent notamment sur limpact du VIH sur la prise de poids. Ya-t-il un lien entre les deux ?

JG : Si on ne peut pas assurément poser le VIH comme conséquence de la prise de poids chez les PVVIH, on sait désormais que le VIH a un effet spécifique sur les tissus adipeux. On constate que la fibrose des ces tissus est plus importante chez les PVVIH et qu’elle s’accroît au cours de l’infection.

T : C’est à dire ?

JG : Les tissus adipeux, qu’ils soient positionnés autour des reins, au niveau de l’abdomen ou des seins, sont composé de cellules, les adipocytes, qui « stockent » le gras. Les adipocytes s’insèrent dans une structure complexe, la matrice extra-cellulaire, composée de nombreuses matières et, en particulier, de fibres collagènes. La fibrose intervient lorsque ces fibres sont produites en excès, qu’elles « rigidifient » les tissus, bloquant le développement et le fonctionnement normal des adipocytes. Ce dysfonctionnement des cellules du tissu adipeux peut avoir un impact la santé. Pour faire simple, si le gras n’est pas correctement stocké dans les tissus dont c’est la fonction, il ira se stocker ailleurs : dans le foie, dans les muscles ou autour du cœur, par exemple. De quoi provoquer certains désordres métaboliques, le diabète notamment, causer des pathologies hépatiques ou fragiliser le système cardiovasculaire.

Toutes les études menées sur le sujet montrent que les traitements antirétroviraux favorisent une prise de poids.

T : Il semblerait également que les traitements puissent avoir un impact sur la prise de poids des personnes vivant avec le VIH. Quen est-il ?

JG : Toutes les études menées sur le sujet montrent que les traitements antirétroviraux favorisent une prise de poids. Il peut s’agir, en premier lieu, d’un phénomène normal, lié au « retour à la santé » du patient traité tardivement. Néanmoins, cette prise de poids s’observe chez tous les patients, même ceux qui sont traités tôt. On a également constaté que certains antirétroviraux sont liés à des prises de poids plus importantes : c’est le cas des inhibiteurs de l’intégrase [ii], sur lesquels je travaille, qui semblent avoir un effet spécifique sur le tissu adipeux.

T : Existe-t-il des facteurs de risque, des personnes plus particulièrement concernées ?

JG : Les femmes sont plus susceptibles que les hommes, pour des raisons qui tiennent à leur physiologie, de prendre du poids. Il en va de même pour les patients qui n’avaient jamais pris d’antirétroviraux, lorsque leur taux de CD4 est très bas au moment de leur prise en charge. Par ailleurs, certaines circonstances viendront favoriser une prise de poids : la mise sous inhibiteurs de l’intégrase chez les patients naïfs de traitements, d’origine afro-caribéenne notamment, ou, pour les patients déjà traités, lors d’un switch [iii] intégrant des inhibiteurs de l’intégrase.

T : Que peut-on faire pour limiter la prise de poids ?

JG : Malheureusement, nous n’avons pas beaucoup de recul sur le sujet aujourd’hui. En ce sens, il semble difficile de faire d’autres recommandations que de pratiquer une activité physique régulière et d’adopter un régime alimentaire adapté. Sinon, l’utilisation de la metformine, un médicament efficace contre le diabète, ou les statines, des molécules utilisées contre le cholestérol, pourraient permettre pour lutter contre la fibrose du tissu adipeux et les désordres métaboliques qui en découlent.

T : Quelles sont aujourd’hui les perspectives pour vos recherches ?

JG : Le fonctionnement des tissus adipeux reste encore mystérieux. A court terme, j’aimerais comprendre s’il existe un effet synergique des traitements et du VIH sur la fibrose des tissus et, en relation, mieux comprendre l’impact, bénéfique ou négatif, des traitements sur celle-ci. A plus long terme, j’aimerais me pencher sur les mécanismes physiologiques à l’origine de la fibrose. On sait, par exemple, que les personnes séronégatives obèses sont également sujettes à la fibrose des tissus adipeux. Hors le VIH, découvrir ce qui produit la fibrose permettrait d’envisager de nouvelles stratégies de traitement contre l’obésité, la fibrose rendant plus difficile la perte de poids, mais également contre les comorbidités associées à cette maladie. 

Notes

[i] Dysfonctionnements des tissus adipeux qui se manifestent par la perte de graisse, en particulier au niveau du visage, des membres, des fesses, avec des veines apparentes (la lipoatrophie) ou la prise anormale de graisse, en particulier au niveau du ventre, de la poitrine pour les femmes, de la nuque et du cou (lipohypertrophie).

[ii] Les inhibiteurs de l’intégrase constituent une classe de médicaments antirétroviraux. Elle comprend plusieurs médicaments au fonctionnement similaire, qui empêchent le VIH d’intégrer le génome de la cellule cible, bloquant ainsi la réplication du virus.

[iii] Changement de traitement.

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