Le 23 septembre dernier a eu lieu la traditionnelle Journée scientifique TRT5, intitulée cette année : « VIH, hépatites, inégalités au temps du Covid ». Les différents intervenants associatifs et scientifiques se rejoignaient sur un constat : la crise du Covid 19 a largement impacté les populations les plus vulnérables au VIH.
Les associations de lutte contre le VIH ont d’abord expliqué comment elles ont dû s’adapter, lors du premier confinement, à une situation totalement inédite.
Pour Julie Sarrazin, co-directrice de l’association toulousaine de santé communautaire Grisélidis, agissant depuis plus de vingt ans auprès des travailleurs et travailleuses du sexe sur la prévention du VIH et des IST, l’accès aux soins et aux droits, les travailleuses du sexe ont été des oubliées de cette crise du Covid qui a aggravé leur situation sanitaire et sociale. Elle a décrit l’état de panique dans lequel la plupart se sont retrouvées, confrontées à une perte totale de revenus du jour au lendemain. « Pendant cette période, elles ont accumulé des dettes, certaines ont perdu leur logement. Nous continuons aujourd’hui à suivre des personnes qui sont à la rue suite au premier confinement. »
Julie Sarrazin a listé d’autres conséquences majeures de la crise sanitaire sur cette population : démarches administratives suspendues, procédures de régularisation entravées pour les migrantes, nombreux retards de dépistage VIH, interruption du recours aux soins et aux traitements, explosion des problèmes de santé mentale, risques suicidaires…
Répondre à l’urgence sociale
L’équipe de Grisélidis, qui a dû faire face à une énorme surcharge de travail pour répondre aux besoins immédiats des travailleuses du sexe, a mis en place des permanences pour distribuer argent et nourriture. « Notre association de lutte contre le VIH est devenue une association d’urgence sociale », a expliqué la co-directrice. « On délivrait 35 € hebdomadaires de chèques-service : à la 3ème semaine de confinement, 300 personnes faisaient la queue dans la rue. C’était très dur mais nécessaire. » L’association a également envoyé des autotests VIH partout en France pour pallier la fermeture des CEGIDD.
Julie Sarrazin a souligné les répercussions qu’a eue cette crise sanitaire sur les membres de l’équipe, qui ont dû aussi assurer un soutien moral indispensable auprès des travailleuses du sexe : « Dès la fin du confinement, l’ensemble de l’équipe a fait une formation sur la prévention du suicide. »
L’un des rares points positifs de cette période si particulière ? L’association s’est encore rapprochée des communautés de travailleurs et travailleuses du sexe. Julie a ainsi cité la réaction de l’une d’entre elles : « Franchement, si vous n’aviez pas été là, on allait crever. »
Détenus et migrants abandonnés
Sandrine Fournier, directrice du pôle financement de Sidaction, a mis l’accent sur deux autres populations particulièrement vulnérables, les détenus et les migrants. Rappelant que des masques n’avaient été distribués aux détenus qu’à partir du mois d’octobre, elle a aussi pointé le fort impact psychologique de la suppression des parloirs, ainsi que l’absence d’accompagnement des 8000 personnes libérées à l’occasion du premier confinement, qui se sont majoritairement retrouvées sans abri et sans ressources.
La crise du Covid et les confinements successifs ont fragilisé encore plus la situation des personnes migrantes : préfectures inaccessibles, services sociaux en télé-travail, peur d’une expulsion suite à un contrôle d’attestation Covid, difficultés d’accès aux soins, report des rendez-vous médicaux, manque de suivi après la 1ère consultation VIH entraînant un problème d’adhésion au traitement…
D’un point du vue psychologique, les personnes migrantes vivant avec le VIH ont souffert de promiscuité lorsqu’elles étaient hébergées chez des proches, mais aussi d’isolement quand elles étaient logées en hôtel via des associations.
Sandrine Fournier a salué la très forte réactivité des associations de lutte contre le VIH qui ont réalisé de nombreuses mises à l’abri, créé de nouveaux partenariats avec des associations humanitaires, distribué des aides financières et des milliers de repas, mis en place des groupes de parole et du soutien psychologique à distance. Elles ont innové pour faire face à des défis : par exemple, l’Observatoire International des Prisons (OIP) a élargi ses permanences et mené un plaidoyer sur le cas particulier des détenus ; l’association Basiliade a activé une vigilance sur les violences conjugales en convenant d’un code avec ses bénéficiaires : au téléphone, celles qui se sentaient en danger devaient dire « je n’ai plus de serviettes hygiéniques ».
L’angoisse au bout du fil
Le Dr Radia Djebbar, de Sida Info Service (SIS), est revenue sur le rôle joué pendant la crise Covid par la célèbre ligne téléphonique : « Les personnes vivant avec le VIH ont contacté directement SIS pour s’informer sur la Covid 19 car ils nous identifient comme un espace d’écoute et une source d’information fiable. Des écoutants anciens, dont certains avaient répondu aux premiers appels sur le VIH, ont retrouvé des similitudes dans ces appels, en particulier l’angoisse de la contamination et la peur de la mort. »
Des personnes vivant avec le VIH ont raconté les difficultés induites par la crise sanitaire et le confinement : pas d’accès à une consultation pour des personnes nouvellement dépistées positives au VIH, d’où une prise en charge thérapeutique compromise, ruptures de soins ou de traitement pour les personnes déjà suivies…
Dr Radia Djebbar a également rapporté des réactions de personnes vivant avec le VIH lors de la mise à disposition du vaccin contre la Covid 19. La rapidité de cette découverte a pu générer un sentiment d’injustice, alors qu’on n’a toujours pas trouvé de vaccin contre le VIH. D’autre part, lors de la première phase de vaccination contre la Covid 19, des personnes vivant avec le VIH se déclaraient inquiètes de ne pas être considérées comme prioritaires pour recevoir ce vaccin.
*Le TRT-5 est un collectif interassociatif français créé en 1992 dans un contexte d’urgence médicale pour les personnes vivant avec le VIH, afin qu’elles se dotent d’un outil commun d’action et d’information sur les questions thérapeutiques et de recherche clinique. Le sigle « TRT » signifie « Traitements et Recherche Thérapeutique » et le chiffre 5 le nombre d’associations membres à sa création. Le TRT-5 se focalise sur des problématiques liées au traitement de l’infection au VIH et à la recherche menée dans ce domaine.