En octobre, novembre et décembre 2022, la revue scientifique Current HIV/AIDS Reports dédiée au VIH, a pré-publié en ligne une dizaine d’articles sur la « circoncision masculine médicale volontaire », en prévision d’un numéro spécial sur cette pratique. L’occasion de faire un point sur ce que l’on sait de l’efficacité de cette technique en termes de prévention contre le VIH… et sur ses limites.
Ces dernières décennies on a pu constater une intensification de la circoncision masculine médicale volontaire dans plusieurs pays africains fortement touchés par le VIH ; cependant, il subsiste encore des débats sur l’efficacité et la sécurité de cette pratique en vie réelle…. : Voilà le message fort qui ressort d’un article visant à donner « un aperçu mondial » sur cette stratégie, pré-publié en novembre 2022 par les chercheurs américains Chen Zhang et Sten Vermund, dans le journal Current HIV/AIDS Reports [i].
Appelée aussi posthectomie, et pratiquée dans certains pays depuis des milliers d’années dans le cadre de rites religieux, la circoncision masculine consiste en l’ablation du prépuce, l’anneau de peau qui recouvre le bout du pénis (gland). Selon une étude internationale parue il y a quelques années , à l’échelle mondiale, 37 à 39 % des hommes sont circoncis pour des raisons religieuses, culturelles, ou médicales [ii].
L’efficacité de la circoncision à réduire le risque d’acquisition du VIH a été démontrée notamment grâce à trois grandes études menées entre 2002 et 2006 dans 3 pays : l’Afrique du sud, l’Ouganda et le Kenya. Ainsi, lors de l’une de ces recherches, qui a porté sur 3 274 hommes d’Afrique du Sud (essai « ANRS 1265 »), Bertran Auvert de l’Assitance Publique-Hôpitaux de Paris et ses collègues ont conclu que cette pratique réduit le risque d’acquisition du VIH par les hommes hétérosexuels, lors des rapports vaginaux… de 60 % [iii], soit de plus de la moitié !
Une pratique relativement efficace contre les contaminations…
« La relative protection permise par la circoncision s’expliquerait notamment par la nature de la surface interne du prépuce. En effet, celle-ci consiste en une muqueuse riche en cellules immunitaires, lesquelles sont la cible du VIH, présent dans les sécrétions vaginales ou rectales. Donc en ôtant le prépuce, on supprime une des portes d’entrée du VIH dans le corps ; ce qui réduit le risque d’infection par ce virus », éclaire Morgane Bomsel, responsable de l’équipe « Entrée du VIH par les muqueuses et immunité muqueuse », à l’Institut Cochin, à Paris.
A la lumière des premiers résultats encourageants concernant l’efficacité de la circoncision, dès 2007, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (Onusida) et des autorités nationales de santé publique, telles que les Centres américains de contrôle et de prévention des maladies (CDC), ont recommandé cette pratique comme une stratégie clé de prévention du VIH, à utiliser en complément des autres méthodes de prévention (préservatif, traitements anti-rétroviraux…). L’espoir alors était que cette stratégie fasse reculer le virus, notamment en Afrique australe (Zimbabwe, Botswana, Afrique du Sud…), une région à forte prévalence des infections et où la circoncision était alors peu répandue.
Depuis, le recours à cette technique s’est intensifié : selon un document publié en avril 2022 par l’OMS et Onusida [iv], entre 2008 et 2020, la circoncision a concerné plus de 29 millions d’hommes, dans 15 des pays les plus prioritaires d’Afrique subsaharienne. Au total, sur la même période, elle aurait permis d’éviter 615 000 nouvelles infections par le VIH, dont 71 % concernaient des hommes (430 000) et 29 % (180 000) des femmes. Lesquelles sont protégées indirectement, en raison d’une moindre contamination de leurs partenaires sexuels masculins et donc d’une diminution de leur exposition au VIH.
…Mais qui favoriserait les comportements à risques
Problème, « malgré des preuves prometteuses concernant l’efficacité de la circoncision médicale masculine volontaire dans la réduction de l’incidence du VIH et son intensification et sa popularité dans certaines régions, l’extension de cette pratique est critiquée par certains défenseurs des droits des enfants et des hommes et dans les communautés universitaires », explique le chercheur américain Chen Zhang, co-auteur de l’article cité au début de cet article. Un des arguments souvent avancés ici est « le manque de libre arbitre chez les nourrissons de sexe masculin » qui ne peuvent décider pour eux-même, de bénéficier ou non de cette pratique, précise le chercheur. Mais surtout, « certains redoutent que la circoncision favorise des comportements à risque… Car se croyant protégés contre l’infection par le VIH, les hommes circoncis peuvent penser – à tort – qu’ils peuvent avoir des relations sexuelles sans préservatif et/ou avec plus de partenaires ».
Or, pour rappel, la circoncision ne protège pas à 100 % les hommes qui en bénéficient. De plus, elle réduit le risque d’infection seulement chez l’homme et non ses partenaires. Donc elle ne protège pas les femmes du risque de transmission du VIH par un homme infecté. « Les campagnes actuelles de circoncision masculine ont été lancées à la hâte, sans recherche contextuelle adéquate », déplorent l’Américain Max Fischer et ses collègues dans un article paru en fin 2021[v].
Ceci dit, en 2021, Yanxiao Gao et son équipe de l’Université Sun Yat-sen, en Chine, ont analysé les résultats de 27 études rigoureuses qui ont porté au total sur de 99 292 hommes et qui ont évalué l’association entre circoncision et comportements à risque [vi]. Résultat : ils n’ont trouvé « aucune association statistiquement significative entre la circoncision masculine médicale volontaire et le sexe sans préservatif ou l’augmentation du nombre de partenaires sexuels ». Néanmoins, les auteurs précisent : « il y a toujours des limites dans les méta-analyses, qui peuvent inquiéter les chercheurs. Par exemple, les résultats peuvent ne pas être valables dans des sous-groupes spécifiques d’hommes circoncis ou chez les adolescents avant leurs débuts sexuels ». Bref, d’autres études sont nécessaires pour trancher définitivement…
En attendant, pour éviter toute fausse croyance concernant la protection conférée par la circoncision – qui pour rappel, n’est que partielle – et « maximiser [son] effet », Yanxiao Gao et ses collègues ont appelé, dans un article pré-publié en novembre 2022 [vii], à mettre également en place, « de manière continue », des « services de conseil systématiques et pratiques en matière de santé sexuelle ». La protection des femmes étant également nécessaire, en plus de celle des hommes.
[i] Chen Zhang et Sten Vermund. Curr HIV/AIDS Rep. 8 novembre 2022. doi: 10.1007/s11904-022-00632-y.
[ii] Brian J Morris et al. Popul Health Metr. 1er mars 2016. doi: 10.1186/s12963-016-0073-5.
[iii] Bertran Auvert et al. PLoS Med. Novembre 2005 . doi: 10.1371/journal.pmed.0020298. Epub 2005 Oct 25.
[v] Max Fish et al. Dev World Bioeth. Décembre 2021. doi: 10.1111/dewb.12285. Epub 2020 Sep 9.
[vi] Yanxiao Gao et al. Lancet Glob Health. Juillet 2021. doi: 10.1016/S2214-109X(21)00102-9.
[vii] Yanxiao Gao et al. Curr HIV/AIDS Rep. 9 novembre 2022. doi: 10.1007/s11904-022-00635-9.