Les acteurs de la lutte contre le VIH et les grandes pandémies se sont trouvé un nouvel adversaire de taille l’an passé. La Covid-19 et les crises, sanitaire, économique et sociale qu’il a engendrées a profondément bouleversé le fragile équilibre du financement de la santé mondiale, qui agit en particulier pour permettre l’accès aux soins et aux traitements au sein des populations les plus pauvres.
Dès le début de la nouvelle pandémie, les autorités sanitaires internationales ont pris conscience de l’impact que la crise du Covid-19 pourrait avoir sur les systèmes de santé des pays les plus défavorisés, mais également du caractère d’urgence de la mobilisation pour tenter d’en limiter les effets à court terme.
Cette prise de conscience s’est traduite, au printemps, par une réorientation des fonds déjà alloués aux grandes pandémies, à commencer par le VIH, le paludisme et la tuberculose. En mars, cinq mois seulement après la dernière Conférence de reconstitution des ressources du Fonds mondial pour la période 2020-2022 qui avait permis de mobiliser un montant historique de plus de 14 milliards d’euros, ce dernier a mis sur pied un « dispositif de riposte ». Ce dispositif consistait dans un premier temps « à encourager les pays à reprogrammer les économies réalisées sur les subventions en cours et à redéployer les ressources sous-employées pour atténuer les éventuelles conséquences négatives du Covid-19 sur la santé et les systèmes de santé ». À titre exceptionnel, les subventions pouvaient également être redirigées directement vers la riposte au Covid-19.
Les services de santé touchés de plein fouet
Un an après l’identification du coronavirus, les craintes se sont avérées fondées. Le dernier rapport de situation, en date du 23 décembre 2020 [i], fait état de « très importantes perturbations » des systèmes de santé dans 15% des pays bénéficiaires de fonds dédiés à la lutte contre le VIH, le paludisme et la tuberculose. Globalement, près de 60% des pays ont subi des perturbations à des degrés divers, principalement pour des programmes relatifs au VIH et à la tuberculose. Les difficultés signalées concernaient en premier lieu la baisse de fréquentation des établissements de santé, dans un contexte de restrictions sanitaires, affectant la cascade de soins. En outre, la crise sanitaire affecte directement l’approvisionnement en traitements clés contre les pandémies. Plus de 15% des pays concernés rapportaient une capacité d’approvisionnement entre 0 et 3 mois, et 6% des pays signalaient en décembre des pénuries de traitements contre le VIH.
Une enquête auprès des réseaux d’associations de personnes vivant avec le VIH (PVVIH) dans 37 pays, synthétisée par les réseaux mondiaux GNP+, ICW et Y+ Global, rapportait également, en juillet 2020 [ii] , de nombreuses difficultés liées aux conséquences de la crise sanitaire et des mesures prises par les pays pour y faire face : rupture d’accès aux traitements et aux soins, transports déficients, aggravation de la pauvreté, stigmatisation accrue à l’encontre des populations vulnérables.
« Dans de nombreux pays, la pénurie de médicaments – ou tout simplement la peur des ruptures de stock – a poussé les prestataires de santé à ne délivrer que des ordonnances de quelques semaines, malgré les directives claires de l’OMS sur la fourniture d’un approvisionnement minimum de trois mois aux personnes vivant avec le VIH qui sont stables sous traitement », indiquait ce rapport. Les communautés y rapportaient des ruptures d’approvisionnement, mais aussi des fermetures partielles de services ambulatoires, ou encore la peur chez de nombreuses personnes de se rendre dans les centres, compte tenu des restrictions de déplacement. « En raison de la stigmatisation liée au VIH, les PVVIH vont chercher leurs médicaments dans d’autres villes, mais avec la fermeture des villes avec des cas de COVID-19, elles ne peuvent plus se rendre dans leurs centres de santé », rapportait ainsi un réseau communautaire basé au Burkina Faso.
La crise a également affecté profondément la prévention et le dépistage. Dans plusieurs pays, des établissements de santé faisaient état d’une chute de ces dépistages. « En raison de mesures restrictives, le nombre de détections de cas de VIH au niveau des soins de santé est réduit d’environ 50 à 60 % », témoignait le réseau en Ukraine. « Les établissements de santé ne testent que les patients urgents en fonction des symptômes cliniques. Le flux de patients a diminué, ce qui réduit considérablement la portée du conseil et du dépistage volontaires du VIH ainsi que des tests basés sur l’évaluation des risques comportementaux. » Les restrictions ont également pu se traduire par des annulations de consultations dédiées à la PrEP ou à la santé sexuelle.
Dans ce contexte, les acteurs de terrain ont souvent dû recourir au système D. Les associations communautaires ont déployé leur savoir-faire en matière de dépistage (distributions d’autotests à domicile, etc.), ou encore en organisant la livraison des traitements par la poste dans de nombreux pays. Les groupes de soutien se sont également mobilisés pour organiser des réunions ou des consultations virtuelles. La mobilisation a concerné au premier chef les réseaux associatifs. Coalition Plus, par exemple, a débloqué un fonds d’urgence de 1,4 million d’euros pour assurer le maintien des soins dans 45 pays particulièrement touchés [iii].
Si la riposte à la crise s’est organisée très vite sur le terrain, les conséquences de cette crise à plus long terme inquiètent. Onusida a fourni cet été un scénario alarmant, donnant une idée des risques que fait courir la crise sanitaire sur la lutte contre le VIH/sida. Un arrêt de six mois de traitement du VIH pourrait se traduire par 534.000 décès supplémentaires en Afrique subsaharienne en seulement douze mois. Une catastrophe qui ramènerait le niveau de mortalité dû au sida au niveau de 2008.
De nouvelles contributions mondiales seront nécessaires
Selon le Fonds mondial, le dispositif de riposte au Covid-19 avait permis, en décembre, de remobiliser plus de 800 millions de dollars de fonds dans 120 pays, principalement en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud. L’institution alertait toutefois sur un épuisement imminent des ressources financières, prévenant que certains pays avaient déjà excédé les fonds disponibles. Sollicité, le Fonds nous confirmait le 21 décembre la nécessité urgente de mobiliser à nouveau les pays partenaires. « Pour poursuivre la lutte mondiale contre le Covid-19, le VIH, la tuberculose et la malaria, nous avons besoin en urgence de 5 milliards de dollars au cours des 12 prochains mois », a indiqué à Transversal Melanie Brooks, la porte-parole du Fonds mondial, qui se voulait toutefois optimiste pour l’avenir.
« Les donateurs ont été et continuent d’être extrêmement généreux dans leur soutien à la lutte contre les pandémies », a-t-elle expliqué, rappelant les engagements historiques pris fin 2019 lors de la Conférence de reconstitution. Pour l’heure, plusieurs pays ont déjà répondu à l’appel, même si le compte est loin d’y être. Plus de 200 millions de dollars supplémentaires ont été annoncés en novembre, auxquels se sont ajoutés 65 millions de dollars promis par le Canada en décembre. Chez les principaux donateurs privés, l’heure est également à la remobilisation des ressources. La fondation Gates, qui a redirigé une partie de son budget vers la lutte contre la Covid et la recherche des nouveaux vaccins, a ainsi appelé à une « réponse mondiale » pour prévenir le risque que fait peser le coronavirus sur l’accès aux traitements.
Les besoins ne concernent d’ailleurs pas le seul Fonds mondial. Le Pepfar, budget américain de lutte contre le sida au profit d’une centaine de pays, doit être revu à la hausse – 5,7 milliards de dollars – en raison de la crise sanitaire, occasionnant un manque de près d’un milliard de dollars, selon l’Americain Foundation for Aids Research (Amfar). Un manque qui « menace lui seul des progrès durement acquis contre le VIH, entraînant potentiellement des milliers d’interruptions de traitement, de nouvelles infections et de décès évitables », a alerté l’Amfar. Début décembre, l’administration de transition du président élu Joe Biden s’est toutefois engagée à amplifier les efforts pour répondre à la crise.
La mobilisation internationale doit en outre s’organiser sur plusieurs fronts. À court terme, le dispositif Covax, qui doit permettre, sous l’égide de l’OMS, de rendre accessible les vaccins contre la Covid-19 dans le monde, doit encore lever 6,8 milliards de dollars en 2021, après les 2 milliards récoltés en urgence en 2020. Par ailleurs, le creusement des inégalités provoqué par la crise sanitaire nécessitera de nouveaux efforts des pays donateurs en matière d’aide au développement. « Nous devons transformer cette crise mondiale en une opportunité de transformer le monde et mettre un terme au Covid et au VIH », a prévenu, le 1er décembre dernier, la directrice exécutive d’Onusida Winnie Byanyima. « Il s’agit de trouver des ressources complémentaires qui permettront aux pays de faire les investissements nécessaires. 54 pays dépensent davantage pour rembourser leurs dettes que pour leur santé. C’est inacceptable. Les pays les plus riches devront s’engager à annuler la dette et, a minima, à prolonger les mesures d’allègement de la dette jusqu’à la fin de 2022. »