Premier roman d’Anthony Passeron, « Les Enfants endormis » entremêle avec brio le désarroi de sa famille face à la découverte de séropositivité de son oncle Désiré et celle du VIH par des chercheurs français au début des années 1980. Rencontre avec un auteur promis à un bel avenir.
Transversal : Qu’est-ce qui vous a donné envie de traiter ce sujet pour l’écriture de votre premier roman ?
Anthony Passeron : Ma famille ne s’est jamais remise de la mort de mon oncle, car elle n’a jamais réussi à en parler. Je ne voulais pas tomber dans cet écueil. Écrire cette histoire était ma manière de me délivrer de ce fardeau familial et de l’archiver pour les générations futures.
Et puis la découverte du VIH est un événement important de la fin du xxe siècle, qui a marqué de nombreuses familles, un peu comme la Première Guerre mondiale. Raconter comment ma famille a vécu cette situation était aussi une façon de l’inscrire dans une histoire collective.
T. : Pourquoi teniez-vous à mêler l’histoire de votre famille à celle des débuts de la recherche sur le VIH ?
A. P. : Je voulais mettre en regard ce que ma famille savait du VIH avec ce que l’on savait dans les milieux les plus autorisés. Même dans les grandes institutions hospitalières, les gens ne savaient pas grand-chose. Je souhaitais montrer que ma famille n’était pas seule dans son sentiment de solitude.
Je voulais également que le grand public et ma famille connaissent le nom des chercheurs français qui ont participé à la découverte du VIH. C’est ma manière de leur rendre hommage. Je trouve injuste qu’ils n’aient pas tous, à titre collectif, reçu le prix Nobel de médecine.
T. : Rares sont les récits et les romans traitant du VIH à donner la primauté aux usagers de drogues injectables. Lesquels avez-vous lus ou vus ?
A. P. : Il doit y en avoir, mais c’est vrai que parmi les œuvres qui ont pris le devant de la scène les toxicomanes sont oubliés. En tout cas, ils sont beaucoup moins représentés que les homosexuels. D’anciens toxicomanes qui ont lu mon livre m’ont ainsi confié avoir la sensation d’être la branche oubliée dans les représentations.
C’est d’ailleurs un des moteurs qui m’ont poussé à écrire ce roman : c’est précisément parce qu’il n’y avait pas de livre dans lequel ma famille aurait pu se reconnaître qu’il fallait l’écrire.
Je pense cependant à deux documentaires : un, très dur, sur la toxicomanie, Drogues, dis-leur, de Nils Tavernier et un autre, Sida, paroles de familles, de Paule Muxel et Bertrand de Solliers, dans lequel on voit des familles de personnes touchées par le VIH raconter comment elles ont vécu l’arrivée de la maladie et la mort de leurs proches.
Côté fiction, je pense aussi au roman Trainspotting, d’Irvine Welsh, où la question du VIH/sida traverse le récit avec, à un moment, un personnage qui meurt de toxoplasmose.
T. : Quel est votre regard sur la politique de réduction des risques menée en France ?
A. P. : J’habite à la frontière franco-italienne. Je fais régulièrement mes courses dans un supermarché italien et, au rayon hygiène, on trouve des seringues stériles en vente libre, alors qu’en France il faut aller en pharmacie pour s’en procurer, ce qui n’est pas toujours facile dans les villages où tout le monde se connaît. Je pense qu’en France nous sommes vraiment en retard. Les autorités publiques ont une part de responsabilité qui me paraît démentielle.
À Nice – où je vis –, on commence à revoir des personnes s’injecter de la drogue dans la rue. Pour autant, je ne pense pas que cette ville, qui est très conservatrice, ouvrira une salle d’injection à moindre risque, ce qui est dommage.
T. : Profiterez-vous de votre métier d’enseignant pour porter l’histoire du VIH dans les écoles ?
A. P. : Oui, bien sûr. Cela fait quinze ans que je suis professeur de français et d’histoire en lycée professionnel. Je le ferais avec plaisir. Je commencerai par intervenir dans les anciens établissements que j’ai fréquentés, à Villepinte, Menton et Nice. Je participerai ensuite à des rencontres organisées dans des collèges et des lycées franciliens à l’occasion d’un festival littéraire qui aura lieu au printemps prochain.
T. : Sur quelles sources vous êtes-vous appuyé pour les chapitres retraçant la recherche sur le VIH ?
A. P. : Pour toute la partie scientifique, j’ai travaillé avec le service d’archives de grands journaux, comme Libération et Paris Match, mais aussi Radio France.
J’ai également lu les récits des différents acteurs de la recherche. Presque tous ont raconté leur histoire dans des livres, mais je n’ai pas osé interviewer directement les chercheurs que je cite. À l’occasion d’une conférence, j’ai rencontré Willy Rozenbaum, mais j’étais trop impressionné pour le questionner.
[i] Éd. Globe, Paris, août 2022, 288 pages, 20 euros.
[ii] France, 1993.
[iii] France, 1995.
[iv] Royaume-Uni, 1993 (trad. Française, Paris, Seuil, 1995).