Bien que leur rôle soit crucial pour lutter contre les inégalités sociales dans le domaine de la santé, les médiateurs sont pourtant entravés dans leurs missions. Un constat pointé par une étude copilotée par la Fnasat-Gv et Sidaction, dans le cadre du plaidoyer porté par le Collectif pour la promotion de la médiation en santé.
Selon une enquête Ipsos datant de mars 2024, plus de six Français sur dix ont déjà renoncé à au moins un acte de soin lors des cinq dernières années, en raison d’un accès aux soins de plus en plus compliqué. Les causes sont nombreuses : des délais d’attente trop longs, des ressources financières insuffisantes pour payer les restes à charge, l’éloignement géographique par rapport aux professionnels de santé, mais aussi, parfois, une méconnaissance du système de santé, la barrière de la langue, la difficulté à utiliser les outils numériques, l’isolement familial ou social. Pour contourner ces obstacles, l’appui d’un intermédiaire s’avère essentiel : c’est justement le rôle du médiateur de santé.
Se remettre sur les rails de la santé
Tel un « pont » entre le système de santé et les personnes qui en sont éloignées, ce professionnel informe, oriente et accompagne les personnes concernées et, ainsi, les remet sur les rails du parcours de santé. Si cette fonction a été officiellement reconnue par la loi de modernisation du système de santé du 26 janvier 2016 et que son efficacité est reconnue, le métier reste insuffisamment valorisé et sécurisé, indique l’étude copilotée par la Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tsiganes et les Gens du voyage (Fnasat-Gv) et Sidaction [i].
De fait, ce n’est pas la première fois que ce constat est réalisé. En juillet 2023, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) a publié un rapport [ii] qui dénonçait une « absence de reconnaissance statutaire » de la médiation en santé, ses « financements publics complexes et non pérennes » et « des emplois perçus comme précaires tant matériellement que symboliquement ». L’atout majeur de cette nouvelle enquête est qu’elle « s’appuie sur des données probantes et de nombreuses expériences provenant du terrain », souligne Frédérique Quirino Chaves, responsable du pôle Santé de la Fnasat-Gv.
Dirigée par Sabrina Cossais, responsable de l’analyse de données à Sidaction, et Élodie Richard, sage-femme et épidémiologiste, l’enquête a été conduite de février à septembre 2023 dans le cadre du plaidoyer porté par le Collectif pour la promotion de la médiation en santé (CPMS). Ce collectif a été créé en 2022 afin de promouvoir et de sécuriser le métier de médiateur et est coordonné par Sidaction et la Fnasat-Gv.
Mise en lumière d’une précarité multiple
En pratique, cette enquête a porté sur 215 médiateurs en santé exerçant dans 151 structures en France. « L’étude comportait un volet quantitatif [destinée à collecter des données chiffrées, NDLR]), réalisé à l’aide de deux questionnaires en ligne, et un volet qualitatif [visant à approfondir les résultats préliminaires et à vérifier certaines hypothèses, NDLR], avec des entretiens auprès de six groupes de médiateurs en santé, détaille Sabrina Cossais. Le premier volet avait pour but de faire l’état des lieux du cadre professionnel des médiateurs en santé ; le second, d’approfondir les résultats quantitatifs obtenus et d’identifier des solutions concrètes susceptibles de remédier aux difficultés perçues. »
Les données collectées ont permis, en premier lieu, d’esquisser le profil des médiateurs en santé. Ceux-ci s’avèrent être majoritairement des femmes (69 %), sont âgés de moins de 50 ans (83 %) et sont dotés d’un niveau d’études équivalent à un bac +3 et plus (plus de 65 %). Plus des deux tiers (67 %) travaillent dans une association et 19 % dans un établissement public.
Mais, surtout, les données de l’étude ont mis en lumière la précarisation de ces professionnels et les difficultés de reconnaissance de leur métier, de leur statut et de leur personne. Il est notamment apparu que près de la moitié (49 %) des structures qui les emploient les financent avec des budgets multiples et labiles ; un tiers d’entre eux (34 %) sont en contrat à durée déterminée. La moitié ont une ancienneté inférieure ou égale à deux ans au sein de sa structure d’exercice. Quant à leur salaire net mensuel, il est inférieur ou égal à 1 620 euros dans 20 % des cas. Au total, plus de six participants sur dix perçoivent leur situation financière comme « juste » (37 %), « difficile » (17 %), voire « impossible » (6,5 %).
Concernant leur reconnaissance, 85 % des sondés signalent une méconnaissance de leur métier et de leur rôle ainsi qu’un manque de communication chez les partenaires avec qui ils travaillent au quotidien. Enfin, tous partagent un sentiment de non-existence officielle de leur métier et un défaut d’identité sociale de la médiation en santé dans les secteurs social et médicosocial, surtout dans le secteur sanitaire. Des freins sérieux qui entravent le bon exercice de leurs missions.
Le plaidoyer de la médiation en santé
Finalement, les principaux besoins qui ressortent de l’étude sont : une reconnaissance du statut professionnel de la médiation en santé ; une mise en place de formations initiales et continues dédiées à cette profession ; une demande de soutien et d’accompagnement professionnel des médiateurs en santé et la nécessité d’un financement pérenne de leurs postes. Pour répondre à ces besoins, le plaidoyer du CPMS, en coordination avec les médiateurs en santé, préconise que le financement du métier soit issu de « canaux stables, lisibles et adaptés », que la reconnaissance du métier inclut son « inscription dans le code de la santé publique et le répertoire opérationnel des métiers et des emplois (Rome) ». Le collectif souhaite également que les formations en médiation en santé soient « accessibles sans exigence de diplôme préalable à l’entrée » et qu’une certification professionnelle « permette de valoriser les compétences acquises par l’expérience ». Enfin, le CPMS demande que les médiateurs en santé puissent bénéficier « d’un soutien personnel dans l’exercice du métier (appui psychologique) ».
« En plus de préciser de façon concrète les problèmes auxquels sont confrontés les médiateurs de santé au quotidien et de proposer plusieurs pistes pour les solutionner, notre étude est aussi un moyen de relancer les pouvoirs publics sur ce sujet, relève Anaïs Saint-Gal, responsable de plaidoyer au pôle Analyse et plaidoyer de Sidaction. En effet, depuis la publication du rapport de l’Igas en juillet 2023, quatre ministres de la Santé différents se sont succédé ; un rappel du sujet est donc essentiel. »
Depuis sa publication en ligne en février 2024, cette étude a été envoyée aux Agences régionales de santé, aux collectivités territoriales, au ministère de la Santé et au Premier ministre. Elle a également été présentée lors des Rencontres annuelles organisées par Santé publique France en juin 2024.
« Il y a un mouvement, une émulation qui se crée autour de la médiation en santé. On sent un désir de voir les choses bouger. Mais cela ne suffit pas », constate Anaïs Saint-Gal. En effet, ajoute Frédérique Quirino Chaves, « s’il existe des initiatives fortes de la part de plusieurs villes et régions (Marseille, Strasbourg, Corse, Guyane, Hauts-de-France, Nouvelle-Aquitaine, Bretagne, etc.), et un engagement significatif de certains acteurs institutionnels et élus, l’échelon national reste à mobiliser. Or sans l’implication du gouvernement, il sera très complexe d’inscrire enfin le métier de médiateur en santé dans le code de la santé publique et le Rome ».
De fait, conclut Anaïs Saint-Gal, « depuis la reconnaissance de la médiation en santé en 2016, il y a eu plusieurs mobilisations sans que cela mène à une reconnaissance politique de ce métier… Il est temps que cela change ! »
[i] « Médiation en santé : Sécuriser le métier de médiatrice et médiateur en santé pour en assurer l’efficacité. Étude sur le cadre professionnel des médiatrices et médiateurs en santé (Étude C-PRO-MS) », Fnasat-Gens du voyage et Sidaction, février 2024. Disponible ici : https://urlr.me/yYD71
[ii] La médiation en santé : un levier relationnel de lutte contre les inégalités sociales de santé à consolider, Igas, juillet 2023.