Au niveau mondial, malgré les campagne U=U, on recense 82 pays dotés de lois pénales spécifiques au VIH, permettant d’engager des poursuites mettant souvent en péril les efforts de prévention et renforçant les discriminations.
Le procès s’est tenu en novembre 2021 à Montpellier. Et il s’est achevé avec une peine assez lourde : 10 ans de prison. Cette peine a été infligée à un homme de 58 ans qui était jugé pour avoir sciemment transmis le VIH à trois partenaires : un homme et deux femmes qu’il avait également escroqués à hauteur de plusieurs dizaines de milliers d’euros. Au final, la cour criminelle de l’Hérault a estimé que la transmission intentionnelle du virus du sida ne pouvait être retenue que pour une seule partenaire. « Mais les détournements d’argent et le fait qu’il avait des antécédents de délinquance ont pesé dans la balance. Ces 10 ans de prison s’expliquent aussi par le fait que la cour criminelle de Montpellier est réputée pour sa grande sévérité », indique Me Fanny Laporte, avocate de l’accusé.
Ce procès a une nouvelle fois posé la question de la pénalisation de la transmission du VIH. Un sujet sensible sur lequel les associations de lutte contre le sida ou les organisations internationales alertent depuis des années en dénonçant le risque de voir se développer une nouvelle forme de discrimination faisant des personnes vivant avec le VIH des« criminels en puissance ».
En prison après un crachat sur un policier
Dans d’autres pays, cette pénalisation peut aller au-delà des relations sexuelles. « Au Lesotho, nous avons eu le cas d’une femme séropositive qui avait été accusée d’avoir allaité une petite fille dont elle avait la garde. Il s’est avéré que cette femme avait été accusée à tort et heureusement, elle n’a pas été condamnée. Un autre cas est celui d’un homme aux Etats-Unis qui, après une interpellation, a craché sur un policier. Il a été envoyé en prison alors que les données de la science ne montrent aucun cas connu de transmission du VIH par la salive », indiqueMianko Ramaroson conseillère sur les droits humains à l’Onusida.
Ce problème de la pénalisation de la transmission du VIH est très étendu au niveau international. « Dans un rapport de juin dernier, nous avons recensé 134 pays où ont déjà été engagées des actions judiciaires contre des personnes vivant avec le VIH », précise Mianko Ramaroson. De son côté, le groupe « Advancing HIV justice », très en pointe sur ce sujet, recense 82 pays dotés de « lois pénales spécifiques au VIH ».
Il est important, en effet, de faire la distinction entre ces pays, qui disposent de lois criminalisant de manière spécifique la transmission du VIH et d’autres, comme la France, où la législation générale en vigueur peut entraîner la poursuite de personnes séropositives. « Dans ce dernier cas, la poursuite judiciaire devrait se limiter aux case où l’intention criminelle doit être prouvée au-delà du bénéfice du doute; l’action de l’accusé comportait un risque réel de transmission du VIH et qu’une transmission du VIH a réellement eu lieu comme résultante de l’action de l’accusé. Dans ces circonstances bien précises, et souvent rares, l’Onusida fait exception et estime que le droit pénal pourrait s’appliquer », précise indique Mianko Ramaroson .
« C’est compliqué de savoir ce qui se passe dans une relation intime »
Toute la difficulté pour les tribunaux est de savoir dans quelle mesure une personne a pu transmettre le virus de manière intentionnelle. « C’est toujours compliqué de savoir ce qui se passe dans une relation intime,indique Me Laporte. Dans le cas de mon client, la cour criminelle a estimé qu’il avait volontairement transmis le VIH sans jamais avoir dévoilé sa séropositivité à ses partenaires. Pour ma part, je pense qu’il s’agissait plutôt d’une certaine forme d’inconséquence de sa part. Mon client a été contaminé dans les années 1980. Cela fait donc près de 40 ans qu’il vit avec le VIH et une certaine forme banalisation a pu s’installer dans son rapport à la séropositivité. Il y a des moments dans sa vie où il suivait bien ses traitements et avait une charge virale indétectable et d’autres où sa situation personnelle était plus compliquée et où il pouvait être contaminant pour ses partenaires ».
Ces dernières années, plusieurs personnes poursuivies en justice ont évoqué les progrès de la science pour minimiser les conséquences d’une contamination en estimant que cela ne revenait plus à une certaine forme de « condamnation à mort » comme par le passé. Cet argument est très mal vécu par les personnes ayant été contaminées. Elles font valoir que, même s’il existe des traitements efficaces, l’annonce d’une séropositivité reste un événement profondément traumatisant qui bouleverse une vie.
Un sentiment de « trahison »
En fait, dans les affaires de pénalisation du VIH, deux camps s’opposent en général. Les associations de lutte contre le sida et les organisations internationales s’élèvent contre les plaintes déposées en justice, inquiètes des risques de dérive de toute criminalisation. Cette position de principe est souvent mal comprise par les personnes qui portent plainte et ont le sentiment de ne pas être soutenues.
Historiquement, en France, les premières poursuites ont été engagées par un petit groupe de femmes séropositives de Marseille. Comme beaucoup d’autres femmes ayant saisi la justice au cours des années suivantes, elles avaient été contaminées dans le cadre d’une relation stable par un partenaire qui les avait volontairement laissées dans l’ignorance de sa séropositivité et du risque qu’il leur faisait courir. Et bien souvent, c’est ce sentiment de « trahison » d’une confiance mutuelle qui les a conduit à porter plainte.
De leur côté, les acteurs de la lutte contre le sida mettent en avant le concept de « responsabilité partagée » qui a toujours été un fondement dans le domaine du VIH ; « Si une personne vivant avec le VIH a la responsabilité de ne pas transmettre le virus, la personne non contaminée a la responsabilité, à l’occasion d’une nouvelle relation, de se protéger du VIH et des autres infections sexuellement transmissibles. Par conséquent, cette responsabilité ne saurait être unilatérale », soulignait le Conseil national du sida (CNS) dans un avis du 27 avril 1996.
« Opposer des malades à d’autres malades »
Dans un nouvel avis de 2015, cette instance notait une évolution importante. « Alors que les mobilisations de personnes atteintes avaient jusque-là affirmé la dimension politique de la crise du sida et visé les manquements et la responsabilité de la collectivité et de l’État dans le développement de l’épidémie, la démarche pénale a resitué l’enjeu sur le terrain de la responsabilité individuelle, et conduit à opposer des malades à d’autres malades. Du point de vue pénal, la responsabilité est par nature indivisible et l’effet du procès est de signifier, avec la solennité de la loi, qu’une transmission du virus implique un coupable ».
Dans les pays, disposant de lois spécifiques de pénalisation du VIH, les poursuites ne se limitent pas aux seules situations de contaminations intentionnelles et manifestement malveillantes. « On voit que dans certains endroits, le fait de vivre avec le VIH est une circonstance aggravante qui peut pousser la justice à prononcer une peine plus lourde. Dans certains pays, par exemple, une personne accusée de viol peut être condamnée à la peine de mort pour viol si elle est séropositive », indique Mianko Ramaroson.
Cette pénalisation peut aussi entraver les actions de prévention et de lutte contre les discriminations. « Cela peut dissuader les personnes d’aller se faire dépister tant qu’elles ne sont pas malades puisqu’en cas de poursuite, la connaissance du statut sérologique sera un critère pris en compte par la justice », Mianko Ramaroson. « La pénalisation du VIH est un phénomène mondial qui a un impact négatif considérable sur la santé publique et les droits humains, et qui affaiblit la riposte au VIH et exacerbe l’épidémie. L’impact des affaires pénales va bien au-delà de la salle d’audience et est profondément néfaste pour les personnesconcernées. La couverture médiatique de la pénalisation du VIH diabolise souvent les personnes vivant avec le VIH et perpétue les idées erronées et l’ignorance concernant le VIH et ses modes de transmission », souligne Advancing HIV justice.
« Loin d’être un outil légitime de santé publique, la pénalisation du VIH est souvent utilisée comme un mécanisme de substitution pour renforcer le contrôle de l’État, la surveillance des groupes marginalisés, l’imposition d’une certaine moralité et la punition de la vulnérabilité sociale, exacerbant ainsi les inégalités et le déséquilibre des rapports de force », ajoute ce groupe, en citant le célèbre juge sud-africain, Edwin Cameron lors de la 17e Conférence internationale sur le sida en 2008. « Le VIH est un virus, pas un crime », avait alors lancé le magistrat en lançant une campagne mondiale contre la pénalisation du VIH. Une campagne activement soutenue par l’Onusida qui, dans sa dernière stratégie de lutte contre sida fixe un objectif ambitieux : parvenir d’ici 2025 à ce que moins de 10 % des pays dans le monde pénalisent la non-divulgation, l’exposition et la transmission du VIH.