Avec sincérité, Pascale, qui aura 56 ans cette année, se confie sur ce que c’est que de vieillir avec le VIH.
« Lorsque j’ai été diagnostiquée en 1994, dix ans après ma contamination, on m’a donné quelques années à vivre seulement… Et je viens de devenir grand-mère ! Jamais je n’aurais pensé atteindre les 55 ans. C’est une bonne surprise, évidemment, mais qui entraîne beaucoup de questionnements. Ma plus grande préoccupation est de savoir jusqu’où mon corps va tenir. Les docteur·e·s spécialistes du VIH considèrent qu’une personne séropositive vieillit dix à quinze ans plus vite que le reste de la population. Mon compagnon, lui aussi séropositif, est justement décédé l’année dernière d’un cancer du poumon, alors qu’il avait seulement 45 ans. Ça a été une sacrée claque… Depuis, j’ai encore plus peur de tomber malade, même si je suis globalement en bonne santé. Mon système immunitaire reste faible, car j’ai été diagnostiquée tardivement. Et puis j’ai des années de traitements derrière moi, dont certains extrêmement lourds, comme l’AZT. Toute cette chimie que j’ai avalée ! C’est pour ça que je ne me plains pas de devoir passer beaucoup d’examens médicaux, car ça me rassure – j’ai des ami·e·s séropositif·ive·s de mon âge qui en ont ras le bol. Je suis extrêmement bien suivie : une prise de sang tous les trois mois pour la mesure de la charge virale ; une échographie du cœur chaque année ; des tests à l’effort ; un frottis ; un rendez-vous avec un·e diététicien·ne et un examen des os tous les trois ans. Aujourd’hui, les personnes séropositives comme moi ne meurent plus du sida, mais de maladies cardio-vasculaires ou de cancers, qui sont beaucoup plus fréquents que pour les autres.
Toute cette chimie que j’ai avalée !
Ce qui m’handicape le plus aujourd’hui, c’est l’extrême fatigue. Cela a toujours fait partie des effets secondaires les plus pénibles pour moi, et j’ai même dû arrêter de travailler il y a dix ans, à mon grand regret. J’étais fleuriste et j’adorais ça. J’ai consulté un psychologue pendant un an pour accepter le fait d’être en invalidité, d’autant que les répercussions financières ont été importantes. D’ailleurs cela fait aussi partie des questions que je me pose en vieillissant : comment vais-je m’en sortir financièrement ? Lorsqu’on arrive à l’âge de la retraite [65 ans, NDLR], on ne touche plus l’allocation [aux adultes] handicapés, mais l’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) [ex-minium vieillesse], qui est de 801 euros… Et où irons-nous quand nous ne serons plus autonomes, puisque les maisons de retraite n’acceptent pas les personnes séropositives ? J’ai de la chance d’être entourée et de savoir que ma fille ne me laissera pas tomber, mais ce sont des sujets qui m’angoissent, et je sais que je ne suis pas la seule.
Fatigue grandissante
Je vis au jour le jour.
Parfois je me demande comment je suis encore là, après tout ce par quoi je suis passée. À chaque fois que j’ai été hospitalisée, j’ai cru mourir. C’est ancré en moi. Je devrais être optimiste, car je suis visiblement solide. D’ailleurs dans ma famille on vit très vieux, donc j’ai peut-être hérité des [bons] gènes ! Mais je me sens extrêmement fragile. La peur, c’est ma compagne de route. Au début de l’hiver, je me suis dit que j’allais me terrer comme un ours dans ma grotte pour être sûre de ne pas attraper de maladies. C’est ridicule, on ne peut pas vivre dans une bulle stérile ! À chaque anniversaire, je me dis : “Une année de plus !” Je suis incapable de me projeter dans l’avenir, car j’ai conscience que tout peut s’arrêter très vite. Je vis donc au jour le jour. Par exemple, quand je pars en vacances, j’achète mon billet à la dernière minute. Aujourd’hui, pourtant, je vis avec cette peur et, d’une certaine façon, je l’ai acceptée. J’ai compris que c’était normal et que cela m’aidait aussi à me protéger, à prendre soin de moi et à être à l’écoute de mon corps. Et puis maintenant que mon petit-fils est né, j’ai une raison de plus de m’accrocher et de me battre : j’ai envie de le voir grandir. »