vih « La proctologie est très peu développée en Afrique, c’est une spécialité taboue »

16.12.20
Anthony Cotte
6 min
Visuel « La proctologie est très peu développée en Afrique, c’est une
spécialité taboue »

Proctologue et gastro-entérologue à l’hôpital Bichat – Claude-Bernard (Paris), le Dr Laurent Abramowitz intervient dans des structures associatives africaines afin de former des médecins à la proctologie, une discipline encore mal connue.

Transversal : Comment est née votre collaboration avec Sidaction ?

Laurent Abramowitz : Le partenariat entre Sidaction et la Société nationale française de colo-proctologie (SNFCP), rendu possible grâce à l’Agence française de Développement, a commencé il y a une douzaine d’années, lorsque des associations qui prenaient en charge des personnes vivant avec le VIH ont signalé des problèmes au niveau de l’anus chez leurs patients (douleurs, saignements ou encore boules anales). Les médecins de ces structures ne savaient ni les diagnostiquer ni les traiter. Est alors née cette collaboration, dont le but est de leur apprendre le diagnostic et le traitement des condylomes, des hémorroïdes, des fissures et des fistules anales.

T. : Quels pays ont pu bénéficier de cette formation ?

L.A. : On a commencé en Côte d’Ivoire, puis au Cameroun, au Mali, au Burkina Faso, au Burundi et au Togo. Ces six pays d’Afrique nous ont accueillis pour former des médecins qui prennent quotidiennement en charge des personnes vivant avec le VIH. Nous avons apporté une connaissance qui leur permet aujourd’hui de diagnostiquer et de traiter à peu près 90 % des maladies de l’anus.

T. : Assurez-vous un suivi au sein de ces cliniques associatives ?

L.A. : Sidaction a très rapidement ressenti le besoin de retourner dans les différentes associations partenaires. Lorsqu’on commence un apprentissage, on croit avoir tout compris. Puis, confronté à la réalité, des questions se posent. On retourne donc dans chaque association tous les deux à trois ans. En parallèle, on organise des formations croisées. Quand on se rend dans un pays, on convie également des médecins venus d’ailleurs. Enfin, certains médecins formés deviennent eux-mêmes formateurs. Ils accueillent des soignants ou vont dans les centres de ces derniers pour délivrer cette formation.

T. : Quelle est la place de la proctologie en Afrique ?

L.A. : La proctologie y est très peu développée, voire pas du tout, comme dans de nombreux pays à travers le monde. C’est une spécialité taboue, pour les patients comme pour les professionnels. Lorsqu’on forme des médecins, ces derniers sont quasiment les seuls à pouvoir assumer la prise en charge, le diagnostic et le traitement des maladies de l’anus dans leur pays.

T. : Comment expliquez-vous ce tabou ?

L.A. : C’est une question complexe à laquelle on a essayé de répondre dans différents travaux. Le premier frein est l’absence de formation. Quand on manque d’informations médicales, on n’a pas forcément le réflexe de le vérifier. On ne sait pas où et quoi chercher. L’aspect repoussant joue également un rôle. Oui, cela ne sent pas bon. Et on ne regarde pas spontanément l’anus d’une personne que l’on rencontre. Enfin, dans un système de soin avec peu de médecins pour un nombre important de patients, il est difficile de prendre le temps d’une consultation avec examen de l’anus et d’expliquer ce qu’il y a à faire.

T. : Comment peut-on y remédier ?

L.A. : La qualité humaine des médecins formés permet de pallier une partie de cette problématique. Quand on ressent une vraie empathie de la part du corps médical, on a plus de facilité à raconter ses problèmes. Mais un tabou peut causer de fausses croyances bien ancrées. Dans les pays où l’homosexualité est pénalisée, évoquer ses problèmes d’anus, c’est exposer sa sexualité. Même si ces derniers ne sont généralement pas liés aux rapports anaux ou à l’homosexualité.

T. : Quel est le profil de la file active des associations dans lesquelles vous intervenez ? 

L.A. : Il s’agit de garçons et de filles homosexuel·le·s, de professionnel·le·s du sexe et, dans un plus faible pourcentage, de la population générale. Au fil des années et des dépistages dans les différents pays d’Afrique, on a vu des femmes, souvent des travailleuses du sexe, avec des condylomes dits florides* au niveau de l’anus et du sexe. Dans leur métier comme dans l’intimité, la situation peut vite devenir complexe.

Le cancer du col utérin est très fréquent en Afrique. Il est important que ces femmes reçoivent une prise en charge proctologique afin de détruire les lésions associées au niveau de l’anus et qu’elles aient aussi une prise en charge gynécologique, notamment pour vérifier le col utérin.

T. : Comment l’expliquez-vous ?

L.A. : Les femmes qui présentent des lésions au niveau génital n’ont pas d’examen proctologique systématique. Dans la très grande majorité des cas, les gynécologues ne sont pas formés à la proctologie. Lorsqu’on dépiste une femme au niveau anal, on vérifie également qu’elle bénéficie d’une prise en charge gynécologique, et inversement. Il est important de tout traiter.

T. : Vos interventions concernent les infections liées aux papillomavirus humains (HPV). Quel est le lien avec les personnes vivant avec le VIH ?

L.A. : Lorsque l’on vit avec le VIH, on est plus à risque de développer des liaisons dues au HPV. On n’en connaît pas exactement les raisons. Les personnes séropositives éliminent moins facilement ces papillomavirus. Et quand elles ne contrôlent pas leur immunité, leurs lésions deviennent alors plus florides et elles sont plus à risque de développer un cancer.

T. : Pour autant, nous sommes tous concernés par le virus HPV…

L.A. : En effet, nous sommes tous infectés par le virus HPV : hommes, femmes, homosexuel·le·s, hétérosexuel·le·s, porteurs ou non du VIH… Nous sommes tou·te·s concerné·e·s par ce virus dès les premiers contacts intimes sexuels. On peut très bien l’éliminer… ou pas ! Si ce virus reste plus longtemps, il peut modifier les cellules au niveau anal et génital, et ainsi provoquer des lésions (dysplasies) précancéreuses, voire un cancer.

Le condylome est un peu la face visible de l’iceberg : lorsque la cellule est infectée par le papillomavirus, cela provoquera des petits boutons qui peuvent être, le plus souvent, en dysplasie de bas grade, mais aussi en dysplasie de haut grade (lésions précancéreuses). C’est pour cette raison qu’il est important de rechercher les lésions au niveau de l’anus, qui sont plus ou moins visibles. Lorsqu’on les trouve, il faut les détruire pour diminuer le risque de cancer.

* Se dit d’une affection, notamment dermatologique, dont la forme clinique est particulièrement développée et qui se manifeste souvent par l’apparition d’une couleur rouge intense.

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