vih La révolution douce de la PrEP

21.03.19
Pierre Bienvault
7 min
Visuel La révolution douce de la PrEP

La PrEP est-elle vraiment une révolution dans l’histoire de la lutte contre le sida ? « C’est en tout cas un tournant important, explique le Pr Jean-Michel Molina, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Saint-Louis (Paris). Jusque-là, nous n’avions qu’un seul outil de prévention, le préservatif. Désormais, nous en avons un deuxième, d’une efficacité remarquable. Et si nous arrivons à le diffuser largement, nous pouvons avoir l’espoir de juguler l’épidémie. »

La PrEP ?

Pour l’immense majorité des Français, ces quatre lettres restent sans doute bien mystérieuses. Et le défi, qui attend le monde du VIH, est de les faire connaître au plus grand nombre. C’est ce qu’a commencé à accomplir l’association Aides l’été dernier, en lançant la première campagne nationale sur la PrEP. Avec un message simple : « Un comprimé par jour vous protège du VIH ».

Aujourd’hui, selon Jean-Michel Molina, on dénombre environ 12 000 personnes sous PrEP en France. « Des hommes gays à 99%, précise-t-il, en soulignant la nécessité de diffuser ce traitement préventif auprès des personnes migrantes. Mais les choses avancent puisqu’à ce jour on recense 250 sites qui proposent des consultations PrEP en France. »

Cette petite révolution a démarré à la fin des années 2000. C’est à cette période que des spécialistes du sida, notamment en Suisse, observant la non-transmission du VIH de la mère sous ARV à l’enfant, ont commencé à parler des bénéfices préventifs des traitements antirétroviraux. Puis, en faisant un constat simple : chez les personnes infectées, une trithérapie bien suivie permet d’empêcher la transmission du virus lors des relations sexuelles. C’est ce que l’on appelle le « TasP » (Treatment as Prevention).

Des divisions associatives et médicales

L’étape suivante était logique : utiliser les traitements chez les personnes séronégatives. Mais la PrEP a mis du temps à faire l’unanimité. Pendant des années, une lutte violente a ainsi opposé les associations et le monde médical sur l’opportunité de développer ces traitements préventifs. Certains estimaient que cela risquait d’entraîner une démobilisation dans l’usage du préservatif, outil emblématique de la prévention. D’autres considéraient nécessaire, tout en continuant à promouvoir la capote, de diversifier les outils de prévention afin d’enrayer une épidémie toujours active.

Selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), rendu public en juin dernier, un certain nombre de dysfonctionnements et de dissensions entre les acteurs concernés a contribué à retarder la mise en place de la PrEP en France, devenue disponible à partir de janvier 2016. Un retard relatif en regard de la situation à l’international. La France a ainsi été le premier pays européen et le quatrième au monde à proposer ce traitement, après les États-Unis (juillet 2012), puis l’Afrique du Sud et le Kenya(novembre 2015).

Le préservatif, has been ?

En dehors de quelques voix minoritaires, un consensus est établi. « Toutes les associations font la promotion d’une prévention combinée, avec le préservatif, la PrEP et le TasP », explique Corinne Le Huitouze, en charge des programmes Île-de-France à Sidaction. « On continue de parler des préservatifs et d’en distribuer très largement, ajoute Étienne Fouquay, chargé de mission Nouvelles stratégies de santé à Aides.Et cela n’est pas incompatible avec des messages en faveur de la PrEP, laquelle est très utile pour les personnes qui n’arrivent pas toujours à utiliser des préservatifs. »

Ici ou là, quelques interrogations subsistent néanmoins. Certains soulignent notamment que la PrEP, à la différence du préservatif, ne protège pas contre les autres infections sexuellement transmissibles (IST). « D’abord, il y a des patients qui prennent la PrEP et utilisent le préservatif. Ensuite, les patients qui utilisent la PrEP sont obligés de revenir tous les trois mois pour renouveler leur traitement. Cela permet de dépister d’éventuelles IST et de les traiter rapidement », répond Jean-Michel Molina

Continue ou intermittente : une PrEP à la carte

Une autre interrogation porte sur les possibles effets indésirables de ce traitement pris par des personnes non infectées. Les médecins répondent qu’ils ont plus de quinze ans de recul sur le médicament utilisé dans le cadre de la PrEP, en l’occurrence le Truvada®, du laboratoire Gilead. « On sait que sa tolérance est bonne, même s’il faut faire attention aux fonctions rénales chez certains patients », indique le Pr Molina.

Il existe deux modes d’administration de la PrEP : en continu –à raison d’un comprimé par jour – ou à la demande, avant un rapport sexuel. Dans ce dernier cas, il faut prendre deux comprimés entre 24 heures et 2 heures précédant le rapport, puis un comprimé 24 heures et un autre 48 heures après la première prise. « Aujourd’hui, la moitié des personnes sous PrEP prennent le traitement en continu et l’autre moitié de façon intermittente », précise-t-il.

Quelle est la meilleure formule ? Tout dépend de la fréquence des rapports non protégés. « Au début, on a vu arriver des hommes de la communauté gay ayant parfois entre 10 et 20 partenaires par mois. Et qui ont plutôt opté pour une PrEP en continu, explique le Dr Christophe Segouin, chef du service de santé publique au groupe hospitalier Saint-Louis–Lariboisière–Fernand-Widal. Ensuite, notamment en faisant de la prévention dans les saunas, on a réussi à toucher des personnes ayant des rapports plus occasionnels, mais pas toujours protégés. Et ceux qui ont accepté de prendre la PrEP ont plutôt choisi la formule intermittente. »

Élargir la diffusion de la PrEP

De l’avis général, d’importants efforts restent à mener pour répandre plus largement la PrEP chez les gays. Mais la priorité est aussi et surtout d’arriver à sensibiliser les personnes migrantes. Un vrai défi, car il s’agit généralement de personnes en situation précaire et éloignées du système de soins. « On sait pourtant que certaines sont très vulnérables, en particulier les femmes arrivées depuis peu de temps en France, indique le Dr Nicolas Vignier, chef du service de santé publique au groupe hospitalier Sud–Île-de-France (Melun). C’est un moment où bien souvent elles n’ont pas de situation stable, sans logement ou travail. Et certaines d’entre elles subissent des violences sexuelles ou des rapports plus ou moins consentis dans un cadre “transactionnel”. »

Pour entrer en contact avec ces femmes, soignants et militants associatifs développent des actions de terrain. « Mais cela reste difficile. Et quand on arrive à les voir, on constate de nombreux freins à l’usage de la PrEP, rapporte Nicolas Vignier, en précisant que le problème de la confidentialité est crucial. Certaines personnes disent qu’en prenant la PrEP elles auraient peur que des personnes de leur entourage découvrent leurs boîtes de médicaments. Et que tout le monde pense qu’elles sont malades du sida. » La peur d’être rejetées à cause d’un virus dont, grâce à la PrEP, elles pourraient se protéger.

La PrEP, combien cela coûte-t-il ?

À la suite d’une décision en justice, en juin 2018, les génériques du Truvada® ont été autorisés à être commercialisés en France. Ce qui a fait chuter les prix du traitement de la PrEP. « Pour une boîte de 30 comprimés, soit un mois de PrEP en continu, il faut compter environ 400 euros pour le Truvada® et entre 180 et 190 euros pour les génériques », explique le Pr Jean-Michel Molina. Les utilisateurs, eux, n’ont rien à payer puisque ce traitement préventif est entièrement pris en charge par la Sécurité sociale.

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