Vivre avec le VIH aujourd’hui, c’est pouvoir se projeter dans l’avenir grâce aux traitements. Mais c’est aussi traverser beaucoup d’épreuves physiques et, surtout, devoir encore affronter, ici ou ailleurs, le regard de la société.
Christine
« Ma vie a toujours tourné autour du football. J’ai commencé à taper dans le ballon au PSG en 1982, à l’âge de 12 ans, jusqu’à évoluer au plus haut niveau en première division, à 16 ans. Ensuite, j’ai été infectée par le VIH. J’ai dû arrêter de jouer pendant plusieurs années.
Quand j’ai appris ma contamination, le monde s’est écroulé : nous étions en 1994, j’avais 22 ans. Je me suis dit que je ne pourrais plus jouer au foot, que je ne pourrais pas avoir d’enfant ni me marier. Tout d’un coup, il n’y avait plus d’avenir, plus d’espoir, la mort m’était annoncée. Cela a été comme un trou noir.
Et puis, en 1996, les trithérapies sont arrivées. Les effets secondaires étaient importants. Mon corps a changé, il s’est masculinisé. Mon cou est devenu très mince, j’ai perdu les muscles de mes cuisses et des déplacements de graisses se sont produits au niveau de mon abdomen. De grands bouleversements physiques…Depuis cette époque, je n’ai plus jamais envisagé le futur sur le long terme. On ne guérit pas du VIH. Les effets secondaires restent importants , même si cela va mieux. L’évolution de la maladie est stoppée, mais on déclenche plein de maladies qui, si elles sont plus ou moins graves, sont toutes des handicaps au quotidien.
Comme c’est le cas pour beaucoup de jeunes encore aujourd’hui,je pensais à l’époque que j’étais à l’abri de cette maladie. J’ai compris trop tard qu’on peut être en bonne santé, faire du sport de haut niveau et se faire contaminer. Il ne faut surtout pas penser que ça n’arrive qu’aux autres. Le seul moyen, c’est de se protéger [1] »
Maxime
« J’avais 32 ans quand j’ai appris ma contamination. C’était en 1986. Cette même année, j’ai perdu mon compagnon, Bob, qui est mort à 35 ans d’une toxoplasmose. Un autre homme, un ancien petit ami, est aussi mort du sida. J’étais convaincu qu’il ne me restait que quelques mois à vivre, au mieux quelques années.
Autour de nous, c’était des chagrins et des deuils permanents. On voyait des amis qui, parfois en 48 heures, étaient emportés par une pneumocystose. J’ai milité pour faire avancer plus vite la recherche et pour comprendre ce qu’il se passait dans mon corps. Je me disais que si je devais mourir de ce virus, je ne mourrais pas idiot.
L’arrivée des trithérapies a tout changé. C’est grâce à ces traitements que je suis toujours en vie. Mais à l’époque, cela n’a pas toujours été simple à gérer. Pendant des années, on s’est battu avec une énergie incroyable pour rester en vie, tout en pensant qu’on allait mourrir. Et brusquement on pouvait réinvestir cette vie à laquelle on ne croyait plus.
Aujourd’hui, j’ai l’impression que mon corps et mon esprit sont un vaste champ de bataille. Au total, j’ai enchaîné six traitements contre le VIH et sept contre l’hépatite C. J’ai par ticipé à trois essais cliniques. À cause de ma coïnfection VIH/VHC, j’ai développé une hypertension artérielle pulmonaire qui a failli me tuer en 2017.
C’est une chance d’être vivant alors que tant d’autres sont morts. Mais le VIH a quand même bousillé ma vie. Comme de nombreux séropos de cette génération, j’ai perdu beaucoup de proches. Et des difficul tés économiques viennent s’ajouter, car les carrières professionnelles ont été écourtées par la maladie, ce qui a un impact certain sur les retraites. »
Aimée
« J’ai 56 ans. Je suis originaire du Congo Brazzaville. C’est là-bas, à l’âge de 26 ans, que j’ai découvert que j’étais séropositive. Je l’ai découvert alors que je voulais donner mon sang lors d’une collecte. Je ne le savais pas encore, mais j’allais consacrer ma vie à ce combat. Pour moi et aussi pour les autres, en m’engageant sur le terrain associatif.
Avant d’apprendre ma contamination, je ne savais même pas ce qu’était cette maladie. Au départ, je pensais qu’il s’agissait de quelque chose de banal. Ensuite, quand j’ai compris, j’ai été très surprise de ce qui m’arrivait. Je me suis demandé combien de temps il me restait à vivre. Trois ans plus tard, je suis venue en France pour me faire soigner et suivre des études de droit. J’avais 29 ans. Après avoir été accompagnée par les associations, je me suis impliquée pour aider à mon tour les malades et essayer de changer le regard des professionnels sur cette question.
J’ai toujours trouvé la force de me battre parce que j’aime la vie. Prendre des médica ments, ce n’est pas grand-chose pour moi. Ma grande difficulté, ce sont les autres mala dies qui s’ajoutent au VIH. Aujourd’hui, j’ai une hépatite Cet je suis sous dialyse parce que j’ai besoin d’un foie et d’un rein.J’ai travaillé à l’hôpital de Gonesse (Val d’Oise), où j’accompagnais les personnes vivant avec le VIH. L’annonce de la séropositivité est un moment très important. On était en face de mères ou de chefs de famille pour qui le monde s’écroulait. J’ai toujours essayé de donner un peu de lumière aux gens quand ils pensaient que leur combat était perdu d’avance. »
Rodrigue
« Suite au décès de notre père, en 1996, nous avons emménagé dans une maison sans eau courante ni électricité. Et nous avons passé des journées sans manger. En plus, maman a commencé à être malade. Face à mes soupçons et à mes questions, son assistante sociale m’a confirmé sa sérologie début 1999, j’avais 13 ans. Être confronté à cette maladie si jeune a été une épreuve terrible pour nous, malgré le soutien du centre SAS [centre Solidarité action sociale] : répartir les tâches entre frères et soeurs pour s’occuper de notre mère et jouer son rôle, réussir à lui faire prendre ces nombreux comprimés quotidiens… Pendant les vacances scolaires, j’ai vendu des mouchoirs en papier dans la rue grâce à un prêt de SAS. Maman est décédée en février 2000, et j’ignore si elle a su ou deviné que le quatrième de ses cinq enfants était informé de son statut sérologique.
En mars 2000, avec d’autres jeunes, nous avons créé l’association N’Zrama (« étoile ») pour accompagner les enfants et les jeunes infectés ou affectés par le VIH, briser le silence autour de la maladie et faire reculer les préjugés. Le sida est loin d’être banalisé en Côte d’Ivoire. L’image négative venue des premières campagnes d’information montrant des gens très affaiblis reste forte dans les esprits.
Aujourd’hui, les programmes semblent ne pas penser que les enfants infectés grandissent, deviennent des adolescents, puis des adultes : leurs besoins évoluant, il est nécessaire de les soutenir au-delà de leurs 18 ans. De plus, s’il est totalement légitime d’avoir un regard spécial pour les enfants et les adolescents infectés, il ne faut pas que ceux qui sont affectés soient oubliés. Quand il n’est pas séropositif, l’enfant ou l’adolescent contribue à l’accompagnement d’un proche (parent, soeur ou frère) infecté. Le VIH est pour tous un marqueur avec et autour duquel il faut construire son parcours de vie. »
Retrouvez Rodrigue Koffl sur Twitter (@rodrigueVOY).