Anthropologue de la santé, Élise Nédélec consacre ses recherches aux cancers féminins et au VIH en Afrique subsaharienne. Entre enquêtes de terrain et collaboration avec les populations concernées, elle développe une approche transversale et humaniste.
C’est en découvrant le livre de Claude Lévi-Strauss Tristes Tropiques, offert par son père, qu’Élise Nédélec trouve sa vocation : « J’avais 14 ans, j’étais en quatrième ou en troisième, et je me suis dit qu’un jour je serai anthropologue. » Dès le lycée, puis tout au long de sa formation académique, elle construira son parcours autour de cet objectif. Diplômée en 2023 d’un doctorat en ethnologie, option « anthropologie sociale et culturelle », elle se spécialise naturellement dans l’anthropologie de la santé. « Depuis mon master, mes travaux ont toujours porté sur des questions de santé », précise-t-elle.
C’est par l’étude des cancers féminins qu’Élise Nédélec entre dans le champ du VIH : « À l’origine, je suis anthropologue sur la question des cancers féminins », confirme-t-elle. Actuellement en postdoctorat au Ceped (Centre population et développement), un laboratoire de l’Institut de recherche pour le développement, elle mène deux recherches en Afrique subsaharienne, soutenues par Sidaction dans le cadre de projets pluridisciplinaires.
La première recherche, relative au projet Iphother, se déroule en Côte d’Ivoire et porte sur le suivi des femmes vivant avec le VIH après une thermoablation pour des lésions précancéreuses. Elle examine les enjeux sociaux et médicaux liés à la communication soignant-soignée, aux rapports de genre et aux freins au suivi posttraitement, dans un contexte où ces femmes sont plus vulnérables à une persistance du papillomavirus humain (HPV).
La seconde recherche, conduite dans le cadre du projet OptiTri, se concentre sur l’optimisation des stratégies de dépistage du cancer du col de l’utérus chez les femmes vivant avec le VIH au Cameroun. Elle cible des populations aux profils variés, en zones urbaines et rurales, en intégrant des méthodologies participatives et en s’appuyant sur une approche pluridisciplinaire afin d’adapter les interventions aux contextes locaux.
Un engagement pour la santé des femmes
« C’est la première fois que je collabore aussi étroitement avec les populations et les différents groupes d’acteurs sur le terrain, explique Élise Nédélec. Ce n’est pas un travail réalisé auprès d’eux, mais véritablement avec eux, dans une démarche de coconstruction. Cette approche me semble être la plus pertinente pour mener un projet de recherche interventionnelle. » Cette implication, dès la conception des projets, aux côtés d’équipes pluridisciplinaires et de partenaires locaux, incarne parfaitement la vision qu’elle a de sa discipline : une anthropologie engagée, profondément ancrée dans la réalité du terrain et tournée vers l’action.
Au cœur des recherches d’Élise Nédélec se trouve une autre ambition forte : comprendre et améliorer les conditions de santé des femmes vivant avec le VIH. « Ces femmes, souvent marginalisées, doivent composer avec un double fardeau, rappelle la chercheuse. Elles gèrent une maladie chronique tout en étant exposées à un risque accru du cancer col de l’utérus. » Dans ses travaux, l’anthropologue s’attache donc à analyser leurs parcours de soins, en mettant en évidence les défis qu’elles rencontrent. Elle met ainsi en lumière des lacunes criantes dans les politiques de santé publique et des parcours marqués par des inégalités profondes : « Certaines femmes sous traitement antirétroviral voyaient leur espérance de vie prolongée grâce aux progrès contre le VIH, mais mouraient malgré tout de cancers, faute d’un suivi adapté. »
La démarche d’Élise Nédélec ne s’arrête donc pas à l’analyse, mais vise un impact réel sur la prise en charge des patientes. Ses projets actuels en Côte d’Ivoire et au Cameroun s’inscrivent dans cette continuité, en cherchant à répondre aux besoins spécifiques des femmes dans des contextes socioculturels variés. Qu’il s’agisse des enjeux liés à la persistance du HPV ou des obstacles à la participation au dépistage, Élise Nédélec s’attache à rendre visibles ces problématiques souvent négligées : « Travailler sur ces thématiques, ce n’est pas seulement documenter des situations, c’est aussi contribuer à trouver des solutions concrètes et adaptées. »
Renforcer l’impact de la recherche
Élise Nédélec se projette avec une ambition claire : poursuivre et approfondir ses travaux sur le VIH et les cancers féminins tout en renforçant l’impact effectif de la recherche interventionnelle. « Je n’ai jamais été aussi épanouie professionnellement que maintenant », confie-t-elle. Pour elle, l’anthropologie de la santé doit se situer à la croisée de la coordination scientifique, des interventions de terrain et de la production de savoirs théoriques. Son objectif est de produire une réflexion transversale à travers différents projets sur le dépistage du cancer du col de l’utérus chez les femmes vivant avec le VIH et en population générale, menés dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale.
Au terme de son postdoctorat, Élise Nédélec envisage de travailler sur la question du risque de comorbidité cancer/VIH, au sein des populations vivant avec le VIH vieillissantes. « Avec les traitements, le VIH est devenu une maladie chronique, mais cela pose de nouveaux défis, particulièrement en Afrique subsaharienne, affirme-t-elle. Les recherches sur le vieillissement avec le VIH commencent à émerger dans les pays du Nord, où elles apportent de premiers éclairages. Mais dans les pays du Sud, ces enjeux revêtent une importance encore plus grande, en raison de l’impact qu’auront les transitions épidémiologiques en cours et à venir. »